Nouvelle-Calédonie : un an après le référendum, quelles perspectives ?

12 décembre 2022

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Photo : Nouvelle-Calédonie (c) Unsplash
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Nouvelle-Calédonie : un an après le référendum, quelles perspectives ?

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Un an après le 3e référendum, la France manque toujours d’une vision pour la Nouvelle-Calédonie. Ce ne sont pourtant pas les intérêts qui manquent, entre la présence chinoise et l’enjeu indopacifique.

Il y a un an, le 12 décembre 2021, le troisième référendum sur l’autodétermination de la Nouvelle-Calédonie venait clore un long chapitre de l’histoire du « Caillou », entamé avec les Accords de Matignon-Oudinot (1988) puis Nouméa (1998). À 96,50% les électeurs – ceux en tout cas qui pouvaient voter (20% des Français résidents calédoniens étaient exclus de la liste électorale spéciale) et se sont déplacés (l’abstention a dépassé 55%) – rejetaient l’option de la « pleine souveraineté », synonyme d’indépendance pour la « Kanaky ». Ce résultat ne faisait plus de doute depuis que le principal parti indépendantiste, le FLNKS, avait appelé au boycott du scrutin. Officiellement, car le non-report de la date du vote ne permettait pas la sincérité du résultat dans un contexte de (post-)crise sanitaire ; en réalité, car il avait compris qu’il ne l’emporterait pas dans les urnes, et a préféré délégitimer le résultat pour pouvoir ensuite expliquer que l’île n’était toujours pas « décolonisée » (sur un plan tactique, il est difficile de lui donner tort : pour éviter d’être défait dans les urnes trois fois en trois ans, mieux vaut prétendre qu’on n’a pas été battu, puisqu’on n’a pas combattu).

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La Nouvelle-Calédonie reste donc française. De toute évidence, ce n’est pas le résultat qui avait été envisagé à l’époque : MM. Rocard en 1988 et Jospin en 1998 avaient cru se débarrasser du dossier calédonien en promettant, à mi-mots, aux indépendantistes qu’ils auraient leur indépendance, mais une génération plus tard (lorsqu’eux-mêmes, donc, ne seraient plus aux affaires). De manière stupéfiante, l’accord de Nouméa ne prévoyait d’ailleurs rien en cas de triple non : « les partenaires politiques se réuniront pour examiner la situation ainsi créée ».

Le drapeau français flotte à Nouville, près de l’ancien bagne de Nouméa (octobre 2019). La Nouvelle-Calédonie ne faisant pas partie de l’Union européenne, le pavillon tricolore n’est pas accompagné de celui aux douze étoiles. (c) ED

Rien n’a été anticipé

Pourtant, cela fait 24 ans que ce scénario était envisageable – probable à vrai dire, étant donné la configuration ethnoculturelle du vote (les Kanaks, un peu plus de 40% de la population, sont presque tous indépendantistes ; en revanche, très peu de non-Kanaks le sont). Malgré cela, 24 ans n’ont pas semblé suffire aux gouvernements français pour préparer la suite des événements. Mi-2021, alors que deux référendums avaient déjà eu lieu, le ministère des outre-mer a fini par publier un document sur « les conséquences du oui et du non », dans lequel était annoncé un quatrième référendum avant la mi-2023 (sur un projet de constitution en cas de oui, un nouveau statut de l’île – le 15e depuis 1853 – sinon).

Il était difficile de prendre cette perspective au sérieux : comment imaginer pareil projet être mené à bien en 18 mois ? Si le fait que ce scrutin ait été annoncé est intéressant, c’est uniquement pour ce qu’il nous dit de l’absence de crédibilité du gouvernement français (s’il a cru à ce qu’il disait, il ne sait pas ce que gouverner veut dire ; s’il n’y croyait pas, il n’est pas digne de gouverner). Un an plus tard, il n’y a évidemment aucun projet de statut en vue, et l’échéance de 2023 a été abandonnée.

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Qu’a fait le gouvernement depuis le dernier référendum, demandera-t-on alors ? Réponse : pas tout à fait rien, puisqu’il a organisé une réunion du Comité des signataires de l’accord de Nouméa, mais enfin à peu près rien. (La réunion a naturellement été boycottée par les indépendantistes, ce qui est la suite logique de leur tactique de délégitimation).

Un « logiciel » colonial

Entre-temps le ministère des outre-mer a d’ailleurs disparu, absorbé par l’Intérieur : cela résume à la perfection la perception qu’ont nos gouvernants de la France ultramarine. En Nouvelle-Calédonie comme ailleurs (on le constate tout particulièrement en Guadeloupe et Martinique depuis un an), ils voient dans la France d’outre-mer des « classes dangereuses » qu’il convient de réprimer à grand renfort de RAID, GIGN et autres forces de l’ordre. L’État, dans ces territoires, se comporte comme un maître colonial : arrogant et brutal.

Ce logiciel colonial est visible à tous les niveaux. Fin 2021, le directeur général de la gendarmerie nationale avait ainsi expliqué que son ambition était de pouvoir « tenir l’aéroport » de Nouméa après le référendum. Personne ne semblait lui avoir indiqué qu’il n’était pas sur Barkhane et que les Kanaks n’ont jamais eu l’intention d’attaquer qui ou quoi que ce soit (le colonel Kadhafi étant mort il y a quelque temps déjà, ils ne sont de toute manière pas très armés). Que, d’ailleurs, les Kanaks ne sont pas des tribus du Sahel ; qu’ils ne sont pas des ennemis, pas plus d’ailleurs qu’ils ne sont des étrangers : ils étaient chez eux en Nouvelle-Calédonie 2 500 ans avant les Européens…

Le DGGN ne semble pas davantage comprendre que ce genre de langage ne fait que renforcer l’idée, déjà prégnante sur l’île, selon laquelle la gendarmerie n’opère pas au service de l’intérêt général, mais de celui d’une des communautés ethnoculturelles en conflit.

Gagner sur tapis vert

Décembre 2021-décembre 2022 : un an de plus, donc, pendant lequel le gouvernement français n’a rien fait – sauf, précisément, attiser le ressentiment outre-mer. Difficile d’imaginer pire bilan. Pendant ce temps, le Sénat s’est saisi de la question des élections provinciales de 2024, qui élisent non seulement les Assemblées de province – Nord, Sud et Iles Loyauté – mais également le Congrès. Celles-ci pouvaient-elles, se demandait-on, avoir lieu sous le régime électoral actuel (qui exclut, là encore, de nombreux électeurs) ? La réponse positive de la chambre haute semble correcte, ce régime n’ayant pas de date d’expiration particulière. Cependant, de manière inquiétante (quoique là encore parfaitement prévisible), certains juristes auditionnés à l’occasion en ont profité pour remettre en avant l’idée de l’État associé comme solution au problème calédonien.

L’État associé n’est évidemment une « solution » à rien du tout : c’est une manière pour la Nouvelle-Calédonie de devenir indépendante sur le papier – un chef d’État, un siège à l’ONU, etc. – tout en confiant à un État « partenaire », la France, le soin de tout faire tourner sur l’île (à ses frais bien entendu). Dans la mesure où il était évident que les indépendantistes essaieraient d’obtenir sur le tapis vert ce que les urnes s’apprêtaient à leur refuser, nous avions mis en garde contre ce scénario avant le dernier référendum.

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Un an plus tard, la mise en garde demeure : l’État associé signifierait la fin de la Calédonie française. Non seulement il est contraire à tous nos intérêts ; il a maintenant été rejeté à trois reprises par les électeurs néo-calédoniens. Il ne doit pas se réinviter dans le débat.

Que faire alors ? Ce n’est naturellement pas en un court billet que l’on répondra à cette question ; mais qu’il nous soit permis ici quelques remarques à la fois juridiques et extra-juridiques.

Juridiquement, préserver ce qui peut l’être

Sur le plan du droit, il nous faut partir de ce qui devra nécessairement être modifié. Avant tout, ces listes électorales restreintes privant des citoyens français du droit de vote dans leur propre pays. Contraires à tous les principes constitutionnels, elles n’avaient été validées, en France et devant les instances internationales, que parce qu’elles s’inscrivaient dans un processus de « décolonisation ». Mais ce processus est achevé : la Nouvelle-Calédonie a choisi librement de rester française. Exit donc les listes électorales spéciales. À partir du moment où il n’existe plus deux catégories de citoyens français sur l’île, la « citoyenneté calédonienne » devra également être abandonnée, puisqu’elle n’avait de sens qu’en tant qu’elle discriminait entre eux. Si on la conservait, il faudrait la donner à tous les Français résidant sur place, mais elle n’aurait alors pas plus de valeur qu’un justificatif de domicile.

Pour le reste, la solution la plus réaliste consiste à préserver le statu quo. Certes, il est défaillant : les institutions calédoniennes ne fonctionnent pas – nous en sommes à 17 gouvernements en 23 ans – et elles s’avèrent incapables d’exercer toutes les prérogatives que leur ont dévolu l’accord de Nouméa (c.-à-d. à peu près tout ce qui ne ressortit pas aux compétences régaliennes). Mais les institutions nationales de la Ve République ne fonctionnent pas tellement mieux, et elles aussi peinent à assumer leurs fonctions…

Le jour où nous changerons de constitution en France, alors nous pourrons repenser ces questions d’organisation – y compris pour la métropole. Pour l’instant, l’essentiel est qu’il y ait en Nouvelle-Calédonie des institutions viables, et les actuelles ne sont sans doute pas pires que celles qui pourraient leur succéder. L’île étant à peine plus peuplée que le XVe arrondissement de Paris, le maître-mot se doit d’être la simplicité. (Certes l’organisation actuelle est complexe ; mais en changer maintenant ne ferait que rajouter à la complication).

Un « nœud » calédonien qui n’est pas institutionnel

Fin des lois d’exception et de la citoyenneté calédonienne, possible début de refrancisation des compétences : ce qui précède pourrait apparaître comme un manuel de centralisme français, pro-Européens et anti-Kanaks (terme quasi synonyme d’indépendantistes). Rien, pourtant, ne serait plus faux. Il est fondamental, à cet égard, de se rappeler que ce qui compte dans l’exercice du pouvoir, ce ne sont pas les institutions ; ce sont les hommes qui l’exercent. D’un point de vue calédonien (y compris, bien sûr, autochtone), ce qui importe est que ceux-ci comprennent leur intérêt et aient à cœur de le servir. Cela peut être mieux fait depuis Paris que depuis Nouméa : tout est question de compétence et de sens du devoir.

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Surtout, il importe de comprendre que les réformes institutionnelles dont on débat depuis 35 ans sont un faux-fuyant. Le nœud calédonien n’est pas, et n’a jamais été, un problème juridique : c’est un problème identitaire et humain, qu’aucune loi ne pourra jamais régler. Ce nœud, c’est que les Kanaks ne se sentent pas reconnus et respectés au sein de la communauté nationale. Il est difficile là encore de leur donner tort, puisque depuis 1853 l’État français les traite comme un problème sécuritaire à régler : hier, en faisant tirer la troupe ; aujourd’hui, à coups de gendarmes mobiles (pour la plupart métropolitains, blancs, parfaitement ignorants des réalités calédoniennes).

Cette question de la reconnaissance, du respect, est première ; à vrai dire, elle est la seule qui compte si l’État veut regagner là-bas estime et crédibilité. Respecter l’autre, le gouvernement français en semble incapable, mais ce n’est au fond pas si compliqué que cela : il suffit de le traiter comme quelqu’un qui lui aussi importe. La Chine nous respecte en nous envoyant un ambassadeur qui parle notre langue à la perfection ; nous l’insultons quand nous lui en envoyons un incapable de parler mandarin – puisque, ce faisant, nous lui disons que sa civilisation plurimillénaire n’importe pas.

Les hommes avant le droit

La situation est exactement la même en Nouvelle-Calédonie : en envoyant à Nouméa un haut-commissaire de la République qui n’y avait jamais mis les pieds avant d’être nommé gouverneur, qui évidemment ne parle pas un mot des langues autochtones, et qui (comme nombre de préfets dans les anciennes colonies) a été choisi parce qu’il est un ancien militaire, l’État français insulte la population indigène. Il lui dit que son histoire, sa culture, ses représentations du monde ne comptent pas ; qu’elle ne mérite pas qu’on aille passer deux ans de sa vie étudier le drehu à l’INALCO ; que savoir manier une machette et un fusil d’assaut suffit à qualifier son représentant (et ensuite, certains se demandent pourquoi les Kanaks votent à plus de 95% pour l’indépendance…)

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Le jour où le représentant de l’État français pourra aller à Ouvéa et parler dans leur langue aux enfants de ceux qui étaient de l’autre côté en 1988, la relation franco-calédonienne aura été réellement décolonisée (dans les faits, pas juste en droit), et le « problème » calédonien assez largement résolu. En revanche, tant que nous essaierons de le régler par la voie institutionnelle, nous n’avancerons pas : le gouvernement est en train d’en faire une nouvelle fois l’expérience.

Institutionnellement, il faut supprimer les lois d’exception ; pour le reste, laisser la Calédonie essayer de faire vivre ce qu’elle a. Ce n’est pas idéal, mais rien n’est jamais idéal et, s’il y a une chose que l’on apprend en étant professeur de droit, c’est que celui-ci est une réalité très secondaire dans la vie des hommes. En tout cas, ce n’est pas de lui que viendra le dénouement de la situation en Nouvelle-Calédonie.

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À propos de l’auteur
Eric Descheemaeker

Eric Descheemaeker

Eric Descheemaeker est professeur à l'Université de Melbourne
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