Océans : autoroutes digitales stratégiques

5 mars 2025

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Océans : autoroutes digitales stratégiques

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Les câbles sous-marins transitent par les mers et les océans. Un rôle stratégique essentiel pour permettre le fonctionnement des communications mondiales. 

99 % du trafic intercontinental passe par 559 câbles sous-marins. À la vitesse de la lumière, nos exabits[1] de données transitent chaque seconde, d’un data center à l’autre, dans le silence discret des abysses. Les satellites, icônes triomphantes de la connexion globale et du génie technologique, sont plus lents, plus coûteux, et ne représentent finalement qu’une partie infime des télécommunications, se cantonnant à des niches bien précises.

Article paru dans le N55 de Conflits. Géopolitique des montagnes

Les câbles possèdent leur propre instance de représentation internationale, l’International Cable Protection Committee, et la Convention des Nations unies sur le droit de la mer leur garantit un cadre juridique protecteur pour être posés et exploités en haute mer, au-delà de la juridiction des États. Les géants technologiques ont aujourd’hui envahi le secteur, Alphabet possédant 33 câbles, Meta 16, Microsoft 6 et Amazon 4. 70 % des projets de câbles sont financés par Alphabet et Meta, et leur appétit a multiplié par deux les nouveaux projets en quelques années.

Au-delà de l’augmentation des capacités, cette multiplication est bienvenue à des fins de résilience. Il arrive régulièrement que les activités de pêche ou des séismes endommagent les câbles… ou que des puissances rivales coupent les communications[2].

Croisée maritime et digitale de la France

Ouverte sur un océan et deux mers depuis sa métropole, présente sur six continents grâce à ses outre-mer, la France est géographiquement favorisée pour tenir un rôle central dans la géopolitique des données.

Marseille est ainsi le point d’atterrissement de pas moins de 15 câbles sous-marins, la reliant directement à une multitude de pays comme Singapour ou les Émirats arabes unis[3]. Son port héberge certes des activités industrielles et logistiques clés pour la France et l’Europe, mais également cinq data centers. Le hub de connexion marseillais se hisse ainsi au cinquième rang mondial, offrant un atout géopolitique majeur pour qui sait lire le flux d’informations. Car si la coupure d’un câble peut se retourner contre son commanditaire, le traitement et l’écoute des communications donnent un avantage militaire et diplomatique important[4].

La France possède aussi un industriel capable de fabriquer ces câbles, Alcatel Submarine Networks (ASN), dont l’État a racheté 80% des parts en 2024. Seules l’américaine SubCom et la nippone NEC concurrencent ASN, qui s’appuie sur l’armateur Louis Dreyfus Armateurs pour poser les câbles, Orange Marine opérant ses propres navires.

Intervenir sur ces autoroutes digitales requiert donc une expertise rare et l’un des 60 navires en opérations aujourd’hui. Une flotte dont la taille n’a presque pas évolué depuis un siècle, mais qui est dominée par le pavillon français, avec 13 navires : sept pour ASN, trois pour Orange Marine et trois pour Optic Marine Group, entreprise malaisienne qui opère ses navires sous pavillon français.

Bien loin de l’immatérialité qu’on lui prête, les sillons tracés par les charrues et les sillages des câbliers rappellent que l’échange d’informations repose sur une infrastructure maritime stratégique, sur du personnel capable de ressouder à la main ses dommages et sur une filière ballottée par les remous de politiques nationales qui l’ont parfois oubliée.

[1] La capacité des câbles sous-marins est estimée à 8 Eb/s, soit 8 000 Tb/s.

[2] Des sabotages documentés ont eu lieu lors de la guerre hispano-américaine, la Première et la Seconde Guerre mondiale, la guerre du Golfe et la guerre de Crimée.

[3] Pour découvrir le réseau de câbles global : TeleGegraphy – https://www.submarinecablemap.com/landing-point/marseille-france

[4] Le contrôle des points d’atterrissement des câbles sous-marins était au cœur du système d’écoute mis en place par la NSA et les Five Eyes, révélé en 2013 par WikiLeaks.

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Colomban Monnier

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