La Russie mène une percée importante sur le front ukrainien. Vladimir Poutine espère ainsi disposer d’un élément majeur dans ses négociations avec Donald Trump.
Alors qu’une rencontre diplomatique entre les États-Unis et la Russie a lieu en Alaska le vendredi 15 août, une offensive russe dans l’oblast de Donetsk semble avoir infiltré les défenses ukrainiennes quelques jours avant. Cette percée, de près de 20 kilomètres, menace deux grandes agglomérations de la région toujours sous contrôle ukrainien. En effet, le 13 août, l’état-major ukrainien a officiellement annoncé que les troupes russes avaient pénétré les défenses au nord-est de Pokrovsk, une ville disputée depuis plusieurs mois[1]. La Russie aurait pris le contrôle de plusieurs localités à la suite d’une double offensive dirigée vers le nord. Cette manœuvre contournerait la ville de Dobropillia par l’ouest et pourrait, à terme, la mettre en danger. Elle menace aussi les routes menant à la ville de Kostiantynivka, à l’est.
Une autre manœuvre, cette fois-ci vers l’ouest, aurait pour objectif de couper les routes en direction du nord de la ville contestée de Pokrovsk et la menacerait ainsi d’un encerclement. S’il s’avère que les Russes arrivent à transformer cet élan en véritable opportunité, ce revers pourrait s’avérer dangereux tant d’un point de vue militaire que politique.
Une percée dangereuse pour les défenses ukrainiennes
La manœuvre russe met en danger une grande partie du front ukrainien dans l’oblast de Donetsk.
Grâce à leur avancée en profondeur, les troupes russes se seraient rapprochées, voire auraient atteint à plusieurs endroits l’autoroute entre Dobropillia et Kramatorsk (autoroute territoriale T-05014 et 015), une voie de ravitaillement majeure pour le front ukrainien dans la région. Couper ce chemin mettrait en péril l’équilibre actuel sur plusieurs kilomètres et fragiliserait la défense sur plusieurs points différents. Cette autoroute est la seule à relier le front (Pokrovsk-Myrnograd) avec la partie arrière de Kramatorsk et Slovyansk. Après la perte d’Avdiivka en février 2024, la logistique de cette ligne s’était principalement réorganisée sur ce secteur. L’avancée des troupes russes représente un danger majeur pour la cohérence du front ukrainien.
Cette percée vient poser une sévère menace sur les villes de Pokrovsk, Dobropillia et Kostiantynivka. L’avancée aurait déjà permis la capture de neuf localités et permettrait aux Russes de couper l’autoroute T-05015 reliant Pokrovsk à Dobropillia. Sans cette route, il ne subsisterait que celle en provenance de l’oblast de Dnipropetrovsk (autoroute internationale M30).
En faisant pression sur Pokrovsk par le sud et désormais par le nord, les Russes pourraient ainsi espérer voir les Ukrainiens battre en retraite par cette dernière, quittant ainsi cette partie de l’oblast de Donetsk. Dobropillia est aussi menacée par cette offensive. Moins de 10 kilomètres sépareraient l’incursion russe de ce nœud logistique où se rencontrent la T-05014, la T-05015 et le rail. Enfin, c’est la ville de Kostiantynivka, plus à l’est, qui se retrouve menacée d’être prise en étau par la manœuvre. En coupant les lignes de ravitaillement par le nord, les Russes pourraient espérer épuiser les troupes ukrainiennes défendant la ville, ou les pousser à battre en retraite devant le risque d’encerclement, évitant ainsi un combat urbain des plus meurtriers.
Cette zone bien défendue grâce à un réseau de tranchées a néanmoins cédé sous la pression de l’attaque dans une guerre où la défense a d’ordinaire l’avantage. Pour cause, un manque croissant de soldats fragilise structurellement l’armée ukrainienne. Le 5 janvier, la désertion de 1 700 soldats formés en France de la 155e brigade (dite « Anne de Kiev ») avait mis en lumière un problème systémique au sein des forces ukrainiennes. Le manque de matériel et un mauvais commandement avaient été identifiés comme cause de ce départ, avant même que l’unité n’ait rejoint le front[2]. Cette problématique, mise en parallèle avec des difficultés de recrutement rencontrées depuis désormais plusieurs mois, fait que l’Ukraine manque terriblement de troupes pour défendre ses positions tout le long du front. Selon le président Volodymyr Zelensky, la Russie mobilise jusqu’à 45 000 soldats par mois, là où l’Ukraine n’en mobilise que 25 000[3].
Un succès tactique reposant en partie sur l’usage des drones
L’avancée russe aurait été permise grâce à l’infiltration de troupes derrière les lignes ennemies, afin de prendre des positions stratégiques aux alentours du 8 août. Ces unités de sabotage et de reconnaissance auraient notamment été appuyées et ravitaillées grâce à des drones. L’enjeu pour les forces russes est désormais de faire parvenir des renforts et de sécuriser des places fortes pour couvrir les flancs de cette percée, au risque de voir leur propre étau se refermer sur eux. Pour cela, les Russes peuvent s’approprier les différents sites miniers de la zone, que les forces ukrainiennes utilisaient, et qui offrent un certain avantage défensif.
Si des doutes existent quant à l’usage ou non de blindés dans l’offensive, l’utilisation décisive des drones est quant à elle une certitude. Ils auraient été utilisés en amont de l’offensive pour détruire et miner les routes ainsi que les ponts derrière les lignes ukrainiennes, ralentissant ainsi l’arrivée du ravitaillement et des renforts sur le front. Des drones FPV (first person view) auraient aussi été utilisés pour frapper des véhicules roulant sur les autoroutes T-05014 et 015, affaiblissant ainsi les forces ukrainiennes avant l’attaque[4]. Des images montreraient aussi des frappes russes réussies contre la gare de Sinelnikovo le 8 août où transitent des trains de logistiques[5].
Une démonstration de force à quelques jours du sommet avec Washington
Le vendredi 15 août, il est prévu que le président américain Donald Trump et son homologue russe Vladimir Poutine se rencontrent à Anchorage, en Alaska, sur le sol américain. Cette rencontre marque le premier voyage de ce dernier sur le sol américain depuis 2007 – hors visite du siège des Nations unies – et la première en présentiel entre les deux présidents depuis 2019. En arrivant au sommet avec des réussites militaires, Poutine pourra se targuer d’être du camp des vainqueurs, une rhétorique que le businessman Trump affectionne tout particulièrement. En avançant que la Russie est le seul belligérant à gagner du terrain, il pourra alors donner à la Russie une image de puissance militaire inarrêtable, espérant ainsi influencer Trump lors des prochaines négociations de paix.
Les avancées sur les agglomérations formées par Pokrovsk, Myrnohrad et Dobropillia (plus de 100 000 habitants avant février 2022) et par Kostiantynivka, Droujkivka, Kramatorsk et Sloviansk (450 000 habitants) permettraient à Vladimir Poutine de justifier de la conquête progressive et continue de l’oblast de Donetsk, un de ses objectifs de guerre. La réussite de cette opération lui permettrait d’arriver à la table des négociations avec un argument fort, d’autant plus que l’administration Trump est déjà peu encline à apporter un soutien sans faille à Volodymyr Zelensky. Moscou pourrait alors aller jusqu’à demander une reconnaissance de jure de l’oblast de Donetsk comme territoire russe à Washington, une étape supplémentaire dans sa conquête de l’Ukraine.
Une situation désespérée pour l’Ukraine ?
Ainsi, la situation semble s’avérer critique pour les Ukrainiens. Si l’avancée russe se poursuit dans le secteur, c’est une grande partie de la logistique du front ukrainien de Donetsk qui est menacée, ce qui pourrait entraîner un effet boule de neige dégradant la situation à d’autres endroits critiques. La perte de l’avantage défensif qu’octroyait le réseau de tranchées perdu pourrait aussi poser des difficultés à l’avenir pour stabiliser le front, l’armée ne disposant pas assez d’effectifs pour prendre l’avantage. D’autant que le terrain plat n’engendre pas de difficulté de traversée. La conquête par la Russie des agglomérations serait aussi une perte majeure pour l’Ukraine, consolidant ainsi un peu plus le contrôle territorial de facto de la Russie sur l’oblast de Donetsk.
L’infiltration des troupes russes pose aussi un problème tactique important. Cachées derrière les lignes ukrainiennes, il est difficile de les débusquer, et cette situation schizophrénique peut même entraîner des tirs alliés malencontreux, comme ce fut le cas en 2022. L’ancien commandant de la 12e brigade Azov de la Garde nationale d’Ukraine, Bohdan Krotevych, est même allé jusqu’à alerter publiquement son président sur la situation « désastreuse » de la ligne Pokrovsk-Kostiantynivka[6].
Cependant, il reste trop tôt pour évoquer une réelle conquête du territoire par les troupes russes. Ces offensives sont, a priori, le fait de troupes infiltrées. Tant que les Russes n’exercent pas un contrôle incontesté sur les villages disputés, une reprise de ces territoires par les Ukrainiens n’est pas à exclure. En effet, si les renforts russes échouent à rejoindre les positions, une contre-offensive pourrait à tout moment retourner la situation. Kiev a par ailleurs annoncé le déploiement du 1er Corps Azov pour essayer de reprendre le territoire perdu[7]. Cette unité s’était illustrée dans la défense de la ville de Marioupol et est considérée comme une des plus expérimentées. La situation sur place semble chaotique et aucune ligne de front définie n’existe. Les poches éparses occupées par les Russes ne sont pas suffisantes pour justifier d’un contrôle total du territoire. Cette situation pourrait alors permettre à l’Ukraine de voler l’initiative.
[1] État-major de l’armée ukrainienne, Point de situation au 13 avril 2025 (https://www.facebook.com/GeneralStaff.ua/posts/pfbid036R3WeVWtMR98MUat7amSwjPY4zNo1dVjmwsVideqR9VU5LeK4cVc6aVyELZ9KK6ul).
[2] Pugnet Aurélie, « L’Ukraine tente de résoudre le problème des désertions massives de ses troupes », Euractiv, 20 janvier 2025 (https://www.euractiv.fr/section/ukraine/news/lukraine-tente-de-resoudre-le-probleme-des-desertions-massives-de-ses-troupes/).
[3] Fornusek Martin, « Russia mobilizes 40,000-45,000 troops per month, Ukraine 25,000-27,000, Zelensky says », The Kyiv Independant, 28 mai 2025 (https://kyivindependent.com/russia-mobilizing-40-000-45-000-troops-per-month-ukraine-25-000-27-000-zelensky-says/).
[4] Gibson Olivia et al., « Russian Offensive Campaign Assessment, August 11, 2025 », Institut for war, 11 août 2025 (https://www.understandingwar.org/backgrounder/russian-offensive-campaign-assessment-august-11-2025).
[5] « Footage of the aftermath of the attack on Sinelnikovo last night », Dnepr Express, 9 août 2025 (https://www.youtube.com/shorts/uZP2sjKlOHc).
[6] Bohdan Krotevych sur X (https://x.com/BohdanKrotevych/status/1954987845698965587).
[7] Premier Corps Azov de la Garde nationale d’Ukraine, « Déclaration du Premier Corps Azov de la Garde nationale d’Ukraine », 12 août 2025 (https://x.com/azov_media/status/1955214981961503112).