<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Organismes génétiquement modifiés : dans la tourmente des contradictions de la sécurité alimentaire

16 septembre 2020

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Photo : Manifestation contre Monsanto à Lyon (c) Revue Conflits
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Organismes génétiquement modifiés : dans la tourmente des contradictions de la sécurité alimentaire

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L’arrivée des OGM a été révélatrice d’une prise de conscience des bénéfices escomptés de leur introduction en agriculture et de leurs risques potentiels. Si l’homme améliore des plantes depuis l’avènement de l’agriculture, c’est pour apporter de nouvelles techniques. Avec les OGM, la génétique de précision s’invite pour proposer des solutions durables aux agriculteurs des pays développés, et à ceux des pays en développement devant faire face au défi de la sécurité alimentaire.

 

Dans la préface rédigée pour le livre Écoutons les agriculteurs raisonner, paru en septembre 2006, le philosophe et académicien, Michel Serres, abordait la question des OGM sous l’angle de l’accès aux sciences, pour une meilleure maîtrise du métier d’agriculteur : « […] la biotechnique, science moderne, n’est rien d’autre que la maîtrise de la sélection et de la mutation. D’une certaine manière, l’agriculture s’est éteinte vers l’an 2000 comme occupation générale de l’humanité ; et d’un seul coup, elle s’est concentrée de manière extraordinaire sur la mutation. Or je m’interroge précisément sur ce qu’on appelle les manipulations génétiques, les OGM. Du point de vue de l’histoire de l’humanité, la maîtrise de la mutation, qui est tout à fait nouvelle et qui nous inquiète, voire nous angoisse à juste titre, s’inscrit dans la ligne naturelle de l’évolution de l’agriculture. Si l’agriculture consiste réellement à maîtriser la sélection, elle devient aujourd’hui également maîtrise de la mutation. »

L’histoire ne fait que commencer. Depuis trois décennies, les pro et les anti OGM s’affrontent dans un débat où la notion de procès équitable a parfois du mal à se plier aux règles de la bienséance. Cependant, selon le principe du contradictoire, principe général du droit et traduction concrète de la notion de procès équitable, les parties opposées ne peuvent être jugées sans avoir été entendues. Et elles ne s’en privent pas. Le jugement moral relevant de la nécessité d’inscrire ou non les OGM dans le quotidien de la société civile est une question exigeant d’intégrer l’ensemble des conceptions et des critères qui s’associe ou s’oppose dans la notion élémentaire d’éthique. André Malraux écrivait : « Avant de juger, il faut comprendre et quand on a compris, on n’a plus envie de juger. »

Malgré les batailles et les polémiques dont ils font l’objet, les OGM restent source de progrès pour la majorité de la communauté scientifique qui s’active dans cette voie de recherche. Les OGM les plus médiatisés aujourd’hui sont les plantes, notamment le maïs, le soja, le colza, le blé. Même s’ils sont régulièrement soumis au prisme de l’éthique, et accusés de provoquer des désordres écologiques, il n’est pas envisageable que les OGM disparaissent du paysage agricole. Ils ont même l’opportunité de relever l’un des défis majeurs du xxie siècle : la sécurité alimentaire.

 

Des différences législatives et réglementaires entre pays

Les applications des biotechnologies sont multiples, qu’il s’agisse de la santé, de l’agriculture et de l’alimentation. Dans ce contexte, les OGM n’échappent pas à la règle du principe de précaution applicable au niveau européen et transcrit en droit français, ne se limitant pas aux seules questions de santé, mais également aux problématiques environnementales. Au-delà, il y a de forts enjeux géopolitiques liés aux intérêts économiques et aux distorsions de concurrence que traduisent les différences réglementaires entre les États-Unis et l’Europe, mais aussi les pays du Nord et du Sud, entre pays membres d’un même continent ou sous-continent comme l’Amérique du Sud ou entre pays producteurs et consommateurs.

À lire aussi : La géopolitique mondiale et l’agriculture française dans tout ça ?

Dans son documentaire Le monde selon Monsanto, sorti en 2008, Marie-Monique Robin explique comment sont réglementés les OGM aux États-Unis en s’appuyant sur un texte de la FDA (Food and Drug Administration), l’agence chargée de la sécurité alimentaire sous le titre : « Aliments dérivés des nouvelles variétés de plantes » (29 mai 1992). Elle explique : « Les aliments obtenus par modification génétique sont réglementés de la même manière que ceux obtenus par le croisement traditionnel des plantes. En clair, la FDA décide de ne pas créer de catégorie spéciale pour les OGM. Enfin, les composants des aliments provenant d’une plante génétiquement modifiée seront les mêmes ou similaires en substances à ceux que l’on trouve communément dans les aliments. Autrement dit, la FDA considère qu’une plante modifiée génétiquement est similaire à une plante conventionnelle. C’est ce qu’on appelle le principe d’équivalence en substance qui a été repris partout dans le monde et il est au cœur du débat qui oppose les anti OGM aux pro OGM. »

L’Union européenne, quant à elle, définit selon la directive 2001/18 un OGM comme « un organisme, à l’exception des êtres humains, dont le matériel génétique a été modifié d’une manière qui ne s’effectue pas naturellement par multiplication et/ou par recombinaison naturelle ». La commercialisation et la culture des OGM sur le territoire européen sont régies par deux textes : la directive 2001/18 telle que modifiée par la directive 2015/412, relative à la dissémination volontaire d’organismes génétiquement modifiés, et le règlement 1829/2003 concernant les denrées alimentaires et les aliments pour animaux génétiquement modifiés. Pour qu’un OGM soit cultivé ou commercialisé sur le territoire européen, il doit notamment faire l’objet d’une procédure d’autorisation spécifique.

[encadre] De 1996 à 2015, la superficie mondiale cumulée de plantes génétiquement modifiées (PGM) a atteint plus de 179,9 millions d’hectares. En 2015, 20e année de commercialisation des plantes génétiquement modifiées, on note une baisse de croissance de 0,8 % des surfaces, soit 1,8 million d’hectares. Cette même année, les cinq pays leaders dans la culture de plantes génétiquement modifiées sont le Brésil, l’Argentine, le Paraguay, la Chine et l’Inde. Ensemble, ils ont cultivé 87,5 millions d’hectares, soit 48 % de la superficie totale mondiale. En 2014, environ 18 millions d’agriculteurs ont cultivé des plantes génétiquement modifiées dans le monde. 90 % d’entre eux étaient des exploitants de petites fermes des pays en voie de développement.

Source : www.isaaa.org 

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La nouvelle directive 2015/412, modifiant la directive 2001/18, a été adoptée en janvier 2015 afin de donner la possibilité aux États membres de restreindre ou d’interdire la culture des OGM sur leur territoire, même si cette culture est autorisée au niveau de l’Union (clause d’opting out1). Le texte, déposé dès 2010, était resté bloqué pendant quatre ans pour cause de désaccord entre les États membres.

Les autorisations sont valables dix ans, et renouvelables : c’est le cas du maïs MON810. Elles valent pour l’ensemble des pays de l’UE, sauf si un État décide d’interdire ou de restreindre la commercialisation ou la culture d’un OGM sur son territoire.

 

L’UE et la France en marge des OGM

C’est aux États-Unis, où ils sont cultivés depuis plus de vingt ans, omniprésents dans les cultures, et où 80 % des aliments sont des OGM, que la première plante transgénique a été produite en Californie par la société Calgene puis validée pour la consommation humaine et commercialisée de 1994 à 1996 : il s’agissait de la variété de tomate à maturité retardée Flavr Savr. À la différence de l’Union européenne où les OGM servent principalement à l’alimentation animale. En 2016, quatre pays de l’UE cultivaient le maïs MON810 : l’Espagne en tête (129 081 ha), suivie du Portugal (7 070 ha), de la Slovaquie (112 ha) et de la République tchèque (75 ha). Mais les surfaces cultivées et le nombre de pays concernés par la culture des OGM sont en baisse depuis 2012 ; plusieurs États membres ont en effet choisi d’abandonner leur culture (Allemagne, Bulgarie, France, Suède, Roumanie et Pologne). De nombreux États européens, dont la France, ont décidé dès les années 1990 que leurs agricultures pouvaient rester en marge de la technologie des OGM. Cette position est bien illustrée, en France, avec les propos de Philippe Mauguin, PDG de l’Inrae2, dans une interview au quotidien Le Monde, le 27 janvier 2020 : « Nous avons identifié des gènes résistants au mildiou et à l’oïdium dans des variétés de vignes sauvages en Asie et en Amérique. Nous l’avons fait sans OGM, et sans utiliser la méthode Crips-Cas9, qui est pourtant beaucoup plus rapide et que nos chercheurs maîtrisent, pour se conformer à la réglementation européenne. »

 

Forte dépendance de l’UE pour l’alimentation animale

L’importation des OGM en Europe met en avant sa forte dépendance pour l’alimentation de ses animaux d’élevage, car la majorité des OGM importés le sont à cette fin. Selon les estimations de la Commission européenne publiées en 2016, l’UE aurait importé annuellement sur la période 2013-2015 plus de 30 millions de tonnes d’équivalent soja OGM : soit 85 % du soja importé dans l’UE. La France par exemple a dû importer du colza OGM en 2017 du fait de mauvaises récoltes. Mais elle importe de manière générale près de 4 millions de tonnes de plantes transgéniques par an, dont du soja Roundup Ready3 venant du continent américain.

[encadre] .Parmi les 28 pays ayant cultivé des OGM en 2015, 20 étaient des pays en développement et seulement huit étaient des pays industrialisés. Chacun des dix premiers pays, dont huit sont des pays en développement, a augmenté sa surface de production de plus d’un million d’hectares. Les agriculteurs d’Amérique latine, d’Asie et d’Afrique ont collectivement cultivé 97 millions d’hectares, soit 54 % du total.

Source : www.isaaa.org 

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En janvier 2020, la Commission européenne a autorisé huit produits génétiquement modifiés destinés à l’alimentation humaine et animale. Les maïs MZHG0JG, maïs MON 89034 x 1507 x NK603 x DAS-40278-9, maïs MON 89034 x 1507 x MON 88017 x 59122 x DAS-40278-9, maïs Bt11 x MIR162 x MIR604 x 1507 x 5307 x GA21, le renouvellement du soja MON 89788 et le soja A2704-12, le renouvellement du coton LLCotton25 et le renouvellement du colza T45. Tous ces organismes génétiquement modifiés ont été soumis à une procédure complète d’autorisation, dont une évaluation scientifique favorable de l’Autorité européenne de sécurité des aliments. Les autorisations délivrées ne permettant pas la culture de ces OGM.

 

Des brevets et des gènes

En Europe, les variétés végétales ne sont pas brevetables. Depuis 1961, c’est le certificat d’obtention végétale (COV) qui tient lieu de droit de propriété intellectuelle en agriculture et qui permet d’utiliser la variété à la condition que l’agriculteur paie une redevance au propriétaire du COV. Le brevet sur les végétaux existe aussi en Europe, pas pour la variété entière, mais uniquement pour un de ses gènes, qu’il soit obtenu par sélection ou croisement classiques, ou par introduction, par transgénèse dans les cellules de la plante. De ce fait, c’est ce caractère génétique que le propriétaire du brevet détient de manière exclusive. Les brevets accordés sur les fruits et légumes se multiplient en Europe. Le groupe Syngenta, leader mondial des solutions en semences et protection des cultures, a par exemple reçu un brevet sur du melon issu d’un croisement avec un melon indien, pour le caractère doux et amer de son goût. Des ONG s’inquiètent et n’hésitent pas, comme s’alarme SwissAid, à dénoncer que « Bayer et Syngenta détiennent ensemble déjà plus de 50 % des semences de variétés de tomates, poivrons et choux-fleurs enregistrés dans l’UE ». Les fabricants d’OGM sont de grandes compagnies telles Monsanto/Bayer4, l’entreprise qui fait le plus parler d’elle au sujet des OGM avec son désherbant, le RoundUp. D’autres semences OGM sont officiellement autorisées par l’Union européenne, mais aucune n’a été plantée, comme la pomme de terre Amflora, conçue pour ses meilleurs rendements en amidon et retirée du marché par son propriétaire BASF, ou encore le maïs T25, propriété de Bayer résistant à un herbicide.

 

Les nouvelles biotechnologies ou New breeding Technologies

La transgénèse (insertion dans le génome d’un ou plusieurs gènes provenant du génome d’une autre espèce vivante, par transfert d’une portion d’ADN) était jusqu’à présent la principale technique utilisée pour obtenir des OGM. Mais depuis le milieu des années 2000, les techniques de modification du génome se sont considérablement diversifiées. On parle de nouvelles techniques de sélection ou NBT (New Breeding Technologies), d’édition génomique, de nouvelles mutagenèses, comme le système Crispr-Cas95 ou les nucléases à doigt de zinc ou Talen. Ces techniques mettent en œuvre des processus comme la mutation, la réplication, l’activation ou l’extinction de gènes, en modifiant de façon ciblée une séquence génétique.

 

[encadre] Les principales cultures de plantes génétiquement modifiées au niveau mondial

Le soja : 92,13 millions d’hectares

Le maïs : 53,65 millions d’hectares

Le coton : 24 millions d’hectares

Le colza : 8,64 millions d’hectares

Source : www.OGM.org

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Sous la pression des ONG et en réponse au Conseil d’État français, un arrêté de la Cour de justice de l’Union européenne du 25 juillet 2018 confirme que les produits de ces techniques doivent être encadrés par les règles appliquées aux OGM.

 

Une génomique fonctionnelle à haut débit made in France

Le projet Genius (Genome Engineering Improvement for Useful plants of a Sustainable agriculture), coordonné par Peter Rogowsky de l’Inrae, a pour objectif de fournir aux scientifiques et sélectionneurs français un savoir-faire de pointe et le matériel biologique associés. Il a démarré le 1er septembre 2012 et ouvre la voie à une génomique fonctionnelle à haut débit et une sélection végétale à la hauteur des défis de demain. Genius associe 14 partenaires, dont 10 unités de recherche publique dans les domaines des sciences de la vie et des sciences sociales : l’Inrae (8 unités) pour la recherche fondamentale biologie et les sciences humaines et sociales, le Cirad (Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement) pour la recherche fondamentale en biologie et l’université Lyon 3 pour les sciences humaines et sociales. Les quatre entreprises du secteur privé associées sont spécialisées dans la création variétale et les biotechnologies : il s’agit de Biogemma une filiale biotech de semenciers (blé et maïs), Germicopa spécialisé dans la création variétale de pommes de terre, les pépinières et roseraies G. Delbard, spécialiste de la création variétale rosier et pommier, et Vilmorin & Cie spécialisé dans les espèces potagères et les grandes cultures.

[encadre] Six pays cultivent 93 % des surfaces OGM

Parmi les six principaux pays producteurs de plantes génétiquement modifiées (PGM), deux sont industrialisés (États-Unis et Canada) et quatre des pays en développement (Chine, Brésil, Inde et Argentine). À eux seuls, ils ont cultivé plus de 93 % de la surface totale consacrée aux OGM. Chacun des dix premiers pays a cultivé plus d’un million d’hectares et 28 pays ont cultivé des OGM : États-Unis, Brésil, Argentine, Inde, Canada, Chine, Paraguay, Pakistan, Afrique du Sud, Uruguay, Bolivie, Philippines, Australie, Burkina Faso, Birmanie, Mexique, Espagne, Colombie, Soudan, Honduras, Chili, Portugal, Cuba, République tchèque, Roumanie, Slovaquie, Costa Rica et Bangladesh.

Source : www. OGM.org

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Au 31 juillet 2018, Genius avait permis d’établir la technologie de l’édition du génome de neuf espèces cultivées (le blé, le maïs, le riz, la tomate, la pomme de terre, le colza, le peuplier, le pommier, le rosier) et trois espèces modèles (Brachypodium, Physcomitrella, Arabidopsis) au niveau français et amélioré l’efficacité de la transgenèse chez des espèces récalcitrantes comme le peuplier, le pommier et le rosier et pour des génotypes élites (maïs, pomme de terre, pommier, rosier). Les faisabilités ont porté sur la résistance aux maladies, la tolérance à la salinité, la précocité de la floraison, l’architecture de la plante ou encore la reproduction, privilégiant une agriculture plus durable.

 

Des solutions pour les pays en développement

Une méta-analyse datant de 20146 confirme que, malgré l’hétérogénéité de l’impact, les avantages agronomiques et économiques moyens des cultures OGM sont importants. Ils varient en particulier avec le caractère modifié des cultures et la région géographique. Les gains de rendement et les réductions de pesticides sont plus importants pour les cultures résistantes aux insecticides (IR) que pour les cultures tolérantes aux herbicides (HT). Et les améliorations de rendement et de bénéfices pour les agriculteurs sont plus élevées dans les pays en développement que dans les pays développés. Peu d’individus contestent l’apport du génie génétique et des biotechnologies dans le domaine de la santé. Pour Richard Roberts, prix Nobel de physiologie et médecine en 1993, « les OGM peuvent apporter des solutions à l’agriculture des pays en développement et aux problèmes de malnutrition ». Conservons la faiblesse d’écarter cette naïve illusion qui consiste à ne pas croire qu’au fond, « l’Europe est dans un sens trop riche pour comprendre l’importance que revêtent les OGM pour les peuples les plus pauvres du reste du monde ». Dans une tribune datée du 10 juin 2020, un groupe de 22 députés verts allemands s’est prononcé en faveur des biotechnologies, pour soutenir l’utilisation des techniques du génie génétique qui contribueraient, selon eux, « à sauver le climat et l’environnement et à favoriser une agriculture durable ». La position inédite de ce groupe d’écologistes pourrait bien participer à redessiner la carte de la géopolitique des OGM.

À propos de l’auteur
Michel Bru

Michel Bru

Michel Bru est journaliste, spécialiste des questions agricoles, rédacteur en chef de La Niouz’Agri.
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