Pensionnats autochtones au Canada. Entre manipulations politiques et complexité historique

7 juillet 2022

Temps de lecture : 17 minutes
Photo : Le pensionnat de Kamloops.
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Pensionnats autochtones au Canada. Entre manipulations politiques et complexité historique

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En mars 2022, une délégation autochtone rencontrait le pape François au Vatican pour se plaindre du traitement infligé aux jeunes enfants autochtones et inuits dans les pensionnats qui ont été financés par le gouvernement canadien. Selon la loi des Indiens de 1879, les communautés amérindiennes sont placées sous la tutelle du gouvernement fédéral qui est responsable du bien-être et de l’éducation des Autochtones. Au nombre de plus de 130, ces pensionnats, surtout concentrés dans l’Ouest canadien, ont peut-être accueilli environ 150 000 jeunes amérindiens selon certaines estimations.  

Jacques Rouillard, professeur émérite, Département d’histoire, Université de Montréal

Le pensionnat, généralement situé dans la réserve amérindienne, permet de scolariser les jeunes, garçons et filles, provenant de communautés autochtones dispersées dans la région environnante. On y combinait l’éducation générale (parler, lire, écrire, compter) à une initiation au travail agricole, à l’apprentissage d’un métier ou, pour les filles, à coudre et à cuisiner. À partir de 1969, le gouvernement fédéral prend en charge les écoles et en remet graduellement la gestion aux communautés autochtones.

Comment fonctionnent les internats

Bien qu’il en soit rarement question, un plus grand nombre de jeunes ont fréquenté des écoles en externat, le jour uniquement. Sous la responsabilité du gouvernement fédéral, elles sont situées dans les réserves amérindiennes et également rattachées à une dénomination religieuse. L’enseignement est dispensé par des laïcs, dont un certain nombre d’autochtones en fin de période, ainsi que par des religieuses pour les écoles catholiques. Surtout à partir des années 1960 s’ajoutent des enfants scolarisés dans les écoles publiques dépendant du gouvernement des provinces : plus de 10 000 par année de 1960 à 1966[1].

À noter que les pensionnats jouent également le rôle de protection de l’enfance en ce sens qu’on y compte de nombreux orphelins et des enfants dont les parents n’ont pas les moyens d’en prendre soin. Selon le rapport de la Commission pour la vérité et la réconciliation, ils représentent « une partie importante des inscriptions » pendant toute l’histoire des pensionnats.[2]

Pour assurer l’assimilation des jeunes à la culture euro-occidentale, le gouvernement fédéral songe à imposer l’obligation scolaire des autochtones à partir de 1894 pour les écoles de jour. Mais aucune mesure contraignante n’est mise en place pour l’appliquer. Le souci de scolarisation des autochtones se situe aussi dans le sillage des lois d’obligation scolaire adoptée par les gouvernements des provinces pour tous les jeunes relevant de leur juridiction. Pour les autochtones, l’obligation de fréquenter les écoles n’est effective que de 1920 à 1951. Son abrogation n’entraînera pas de diminution du nombre de jeunes qui les fréquentent, car la majorité des parents sont conscients de leur nécessité.

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Pour assurer la scolarisation des jeunes autochtones, le gouvernement fédéral fait appel aux communautés religieuses catholiques et protestantes pour les « conduire graduellement à la civilisation ». L’Église catholique se distingue en administrant environ la moitié des pensionnats et probablement un pourcentage supérieur de jeunes, car elle gère les pensionnats les plus imposants. Pour la plupart, ils sont dirigés par la congrégation des Oblats de Marie-Immaculée dont plusieurs membres viennent de France. Pour l’enseignement, ils sont assistés de nombreuses religieuses appartenant à plusieurs congrégations qui viennent pour beaucoup du Québec. L’enseignement est même dispensé en français dans certains pensionnats de l’Ouest canadien jusqu’en 1911.

En 2016, plus d’un million et demi de personnes au Canada s’identifient comme autochtones, ce qui représente 4,9% de la population canadienne. Ils sont répartis entre les Premières Nations qui comptent 58% des autochtones, les Métis 35%, et les Inuits 4%. Leur pourcentage de la population canadienne croit rapidement depuis les dernières décennies à cause de la croissance de l’espérance de vie et de la tendance à vouloir s’identifier en tant qu’autochtone. Il y a actuellement 630 communautés des Premières Nations qui représentent 50 Nations qui parlent plus de 50 langues différentes. Plus de la moitié des autochtones (51%) habitent dans des villes comptant plus de 30 000 habitants.

Le règlement collectif des préjudices subis dans les pensionnats

Depuis les années 1990, les représentants des Premières Nations, des Métis et des Inuits réclament des excuses de l’Église catholique pour le rôle qu’elle a joué dans le système des pensionnats. L’enseignement dispensé n’aurait pas respecté la culture et la spiritualité amérindienne et les élèves auraient subi de nombreux sévices psychologiques, physiques et sexuels. L’apprentissage des connaissances euro-canadiennes n’aurait pas été bénéfique et il aurait mieux valu que le gouvernement laisse les Premières Nations évoluer à leur propre rythme.

En 1991, les évêques catholiques du Canada et les dirigeants de communautés religieuses consentent à présenter des excuses invitant aussi le gouvernement canadien à assumer ses responsabilités dans le fonctionnement des pensionnats. En 2009, le pape Benoît XVI accepte de rencontrer une délégation de 40 personnes des Premières Nations accompagnées de plusieurs évêques canadiens. Il se dit désolé pour le rôle joué par l’Église dans les pensionnats et déplore la conduite de plusieurs membres de l’Église. Cependant, plusieurs leaders autochtones sont déçus que le pape n’ait pas formulé d’excuses officielles et ne se soit pas engagé à venir au Canada.

Canada : une église incendiée.

L’emphase mise pour dénoncer les pensionnats dans les années 1990 se traduit par des milliers de poursuites civiles intentées contre le gouvernement et les organisations religieuses par d’anciens pensionnaires afin d’être dédommagés pour les préjudices subis. Mais, il s’avère très difficile de satisfaire aux exigences strictes des tribunaux en matière de preuve, car beaucoup de temps se sont écoulés depuis les faits allégués. Les dossiers de certains établissements n’existent plus, de nombreux agresseurs présumés sont décédés et il est difficile d’établir dans quelle mesure les administrateurs des pensionnats peuvent être tenus responsables des gestes répréhensibles de leurs employés. Enfin, les poursuites exigent des frais d’avocat considérables.

Pour remplacer les recours judiciaires, les communautés autochtones réclament qu’on reconnaisse les abus et que des mesures de compensation soient précisées dans le cadre d’un règlement collectif. En 2005, le gouvernement fédéral et les églises catholiques et protestantes signent avec l’Assemblée des Premières nations et les plaignants la Convention de règlement relative aux pensionnats indiens à la portée très significative et aux conséquences très importantes. L’accord part du principe que le gouvernement et les organismes religieux ont eu tort « d’éduquer les enfants autochtones » et que « ces enfants ont subi des sévices et des préjudices ». Pour tourner la page sur cet épisode, les parties conviennent d’un règlement en cinq volets : un paiement d’expérience commune à tous les anciens pensionnaires admissibles, une évaluation indépendante des réclamations liées aux sévices physiques et sexuels, des mesures de soutien à la guérison, des activités de commémoration et la mise sur pied de la Commission de vérité et de réconciliation (CVR) pour faire la lumière sur l’histoire des pensionnats[3].

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Dans cette foulée, le Premier ministre du Canada, Stephen Harper, reconnait à la Chambre des communes en 2008 les torts et dommages causés par les pensionnats aux élèves des pensionnats, à leurs familles et à leurs collectivités. Et, au nom du Canada, il présente des excuses aux Autochtones et leur demande pardon. Les excuses portent spécifiquement sur les points suivants : les pratiques d’assimilation du gouvernement, le retrait forcé des enfants de leur famille, les abus subis par un grand nombre de ces enfants et les effets de ces politiques qui ont été néfastes pour la culture, le patrimoine et les langues autochtones. La résolution de ces séquelles lui apparaît comme indispensable pour parvenir à la réconciliation et au renouvellement des relations entre les Autochtones et tous les Canadiens.

Dès 2007, deux programmes de compensation financière pour les anciens élèves sont mis en place. Le premier, appelé programme d’expérience commune, reconnaît la dimension collective de la fréquentation d’un pensionnat et alloue à chaque ancien élève (Autochtone, Métis, Inuit) 10 000 dollars canadiens (7 500 euros) pour la première année de fréquentation du pensionnat auquel s’ajoutent 3 000 $ (2 240 euros) pour chacune des années suivantes. Il est réservé aux seuls « survivants » des pensionnats, le terme choisi après la parution du rapport de la CVR qui concluait que les élèves des pensionnats avaient subi un génocide culturel. De 2007 à 2012, le programme a permis d’allouer 1,6 million de dollars (1 200 000 euros) à 78 750 anciens étudiants[4].

L’autre programme de compensation supervisé par un organisme indépendant est destiné spécifiquement à indemniser les anciens pensionnaires ayant subi de mauvais traitements, sévices et abus sexuels. Comme le programme s’inscrit dans le règlement des recours collectifs, les demandeurs ne peuvent plus poursuivre devant les tribunaux le gouvernement ou les Églises pour les torts subis. Tout dépendant de la gravité des préjudices et après enquête, le dédommagement peut atteindre jusqu’à 250 000 $ (187 000 euros). À la date d’échéance des réclamations en 2021, 31 023 plaignants ont obtenu une indemnisation moyenne de 91 472 $ (68 500 euros).  Le programme a représenté une dépense considérable pour le gouvernement atteignant près de quatre milliards de dollars (trois milliards d’euros)[5].

La Convention de règlement relative aux pensionnats comprend aussi des compensations provenant des églises catholique et protestante. L’Église catholique est plus touchée, car elle a géré davantage de pensionnats. La somme de 30 000 000 $ attendue (22 450 000 euros) comme dédommagement a fait l’objet de démêlés judiciaires puisque la campagne de financement qui devait générer des fonds provenant des diocèses, des communautés religieuses et des associations catholiques n’a pas eu de succès. Le sujet de compensation financière de l’Église catholique est revenu sur le tapis lors de la rencontre d’une délégation autochtone avec le pape en mars 2022.

Des chaussures d’enfants déposées devant la cathédrale Saint-Paul.

La visite d’une délégation autochtone au Vatican

Dans son rapport remis en 2015, la Commission de la vérité et la réconciliation demande que le pape présente, au nom de l’Église catholique, des excuses aux survivants, à leurs familles ainsi qu’aux communautés concernées pour les mauvais traitements subis dans les pensionnats. Elle rappelle aussi l’engagement de l’Église catholique d’établir un fonds permanent pour contribuer notamment aux projets de guérison et de réconciliation et de revitalisation de la langue et la culture autochtone. Dans ce but, les dirigeants de l’Assemblée des Premières Nations, du Ralliement national des Métis et des Inuits s’efforcent d’obtenir une rencontre avec le pape en collaboration avec la Conférence des évêques catholiques du Canada.

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Mais ce n’est finalement que le 28 mars 2022 qu’ils obtiennent une rencontre, accompagnés d’évêques canadiens. Elle devait avoir lieu en décembre 2021, mais elle a été reportée à cause de la pandémie. La délégation exige des excuses pour le rôle joué par l’Église catholique dans les pensionnats n’ayant pas respecté la culture amérindienne et les élèves ayant subi de nombreux sévices psychologiques, physiques et sexuels. Encore une fois, on souhaite également que le pape vienne en sol canadien pour offrir des excuses. Au menu des discussions, il est question aussi d’une réparation financière destinée aux anciens étudiants ayant fréquenté les pensionnats.

Lors des rencontres, le pape François ne présente pas d’excuses officielles au nom de l’Église catholique. Il se limite plutôt à demander pardon « pour la conduite déplorable des membres de l’Église catholique » qui ont été impliqués dans le système des pensionnats. En revanche, il s’engage à effectuer un voyage au Canada.

À notre avis et de plusieurs commentateurs, c’est la « découverte » de corps d’enfants autochtones sur le terrain du pensionnat autochtone catholique de Kamloops dans la province canadienne de Colombie-Britannique qui a décidé le pape à accueillir une délégation en mars 2022. Cet événement, qui a eu une portée médiatique internationale, a forcé le Vatican à se commettre en mars et à accepter également la visite du pape au Canada du 24 au 30 juillet malgré sa santé fragile et l’annulation de deux voyages à l’étranger. Comme nous le verrons, le compte rendu médiatique de la révélation hypothétique de Kamloops est une énorme méprise qui s’apparente à une « fake news ».

Le « crime » perpétré au pensionnat de Kamloops

Le 27 mai 2021, la cheffe de la Première Nation de la réserve de Kamloops en Colombie-Britannique, Mme Casimir, révèle avoir trouvé dans un verger à l’arrière du pensionnat les restes de 215 enfants autochtones. Ce pensionnat, en activité de 1890 à 1969, sous l’autorité catholique et, jusqu’en 1978, sous celle du gouvernement fédéral, a compté jusqu’à 500 élèves dans les années 1950. La découverte est le fruit d’un rapport préliminaire d’une anthropologue qui dit avoir repéré, à l’aide d’un géoradar, des dépressions et des anormalités dans le sol. Elle est portée à croire qu’il s’agit de restes humains. Le géoradar est un appareil qui affleure le sol en utilisant des ondes radio pour repérer des mouvements ayant perturbé le sol et non pour découvrir des dépouilles. Selon Mme Casimir, on ignore la cause de la mort de ces enfants, jamais documentée par le pensionnat. La présence de ces restes humains, dit-elle, est « un savoir » dans la communauté depuis longtemps.

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Une nouvelle recherche de l’anthropologue, rendue publique le 15 juillet 2021 en conférence de presse, ramène la découverte potentielle à 200 tombes anonymes, toujours grâce au géoradar. Cette recherche l’amène à penser qu’elle a trouvé plusieurs « signatures multiples qui en font un lieu d’enterrement probable ». Cependant, elle ne peut le confirmer sans qu’une excavation soit faite. Elle a noté aussi des perturbations dans le sol provenant de racines d’arbres, de pièces de métal et de pierres. Malheureusement, le rapport complet ne peut être remis aux médias, indique la porte-parole de la communauté. Pour la cheffe Casimir, « il n’est pas encore clair si la poursuite des travaux sur le site de Kamloops impliquera des fouilles[6] ».

La nouvelle cause rapidement une commotion au Canada et à l’étranger. En se fondant sur l’évaluation préliminaire en mai, le Premier ministre du Canada, Justin Trudeau, réagit aussitôt en disant que c’est là « un chapitre sombre et honteux » de l’histoire du Canada. Plusieurs autres communautés autochtones renchérissent en évoquant des tombes anonymes près de leur pensionnat. Le gouvernement fédéral met aussitôt en berne, dès le 30 mai les drapeaux de tous ses édifices en mémoire des enfants qui ont fréquenté les écoles résidentielles et pour ceux qui ne sont jamais revenus à leur domicile. Des chaussures d’enfants sont déposées sur des perrons d’église ou sur les marches de parlements à la mémoire des petites victimes. Dans plusieurs villes, des marches sont organisées, des statues renversées et une soixante d’églises vandalisées ou brûlées. En juin, le gouvernement canadien institue une journée fériée pour rendre hommage aux enfants disparus et aux survivants des pensionnats. Le Premier ministre déplore alors le refus du pape et de l’Église catholique « de reconnaître leur responsabilité et [leur] part de culpabilité dans la gestion des pensionnats autochtones au Canada[7]. »

Dans la foulée des affirmations de leaders autochtones, plusieurs médias amplifient l’histoire en alléguant qu’on a réellement trouvé les corps de 215 enfants, que des milliers d’enfants sont disparus dans les pensionnats et que les parents n’en ont pas été informés. Les lieux de sépulture sont même qualifiés de fosses communes où les corps sont enterrés pêle-mêle, sans sépulture. La nouvelle fait le tour du monde dans de nombreux médias, même jusqu’à nos jours, ce qui ternit sérieusement la réputation du Canada à l’étranger. Par exemple, le journal Le Monde fait état, le 1er juin 2021, de « la découverte de restes dans une fosse commune, située dans un ancien pensionnat à Kamloops, [qui] a provoqué la « consternation » de la classe politique et des demandes de réparations[8]. »

Une déformation de la vérité

Cette déformation de la vérité conduit le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme à découvrir des violations des droits de la personne « commises à grande échelle » et à trouver « inconcevable que le Canada et le Saint-Siège laissent des crimes aussi odieux sans réponse et sans réparation[9] » Amnistie internationale exige qu’on traduise en justice les responsables et les établissements coupables des « ossements » des 215 enfants qu’elle estime avoir été retrouvés à Kamloops – encore une fois sans qu’aucun corps n’ait été inhumé[10].

Les auteurs de ce « crime » se confondent en excuses : les gouvernements, les communautés religieuses et la Conférence des évêques catholiques. Le 6 décembre dernier, à la place Saint-Pierre, le pape endosse « la découverte choquante des restes de 215 enfants » au pensionnat de Kamloops. Les chefs autochtones exigent qu’il s’excuse et, pour plusieurs d’entre eux, qu’il verse des compensations aux « survivants » des pensionnats[11].

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Plusieurs communautés font appel au gouvernement fédéral pour qu’ils les aident à financer la recherche de tombes non marquées près de pensionnats. Il y consent en consacrant 116 millions de dollars (87 000 000 euros) qu’il versera à 70 communautés qui ont recours au géoradar. À moins d’être effectué dans un cimetière existant comme c’est le cas des 751 tombes trouvées à la Mission du Saint-Cœur de Marie Marieval en Saskatchewan, la recherche est peu fructueuse en l’absence de noms précis d’enfants à rechercher. On note des anomalies dans le sol, mais on s’abstient de faire des excavations. Le gouvernement n’en exige pas non plus : le ministre responsable des relations Couronne-Autochtone, Marc Miller, explique que les autochtones considèrent ces sites comme une terre sacrée et que le gouvernement ne doit pas porter atteinte à leur mode culturel d’inhumation des morts. Presque chaque semaine, les journaux canadiens rendent compte de recherches entreprises ici et là au Canada en laissant entendre qu’on trouvera des corps d’enfants disparus.

Toujours est-il qu’à Kamloops, les médias jusqu’à nos jours mettent très rarement en évidence qu’on en est encore au stade des hypothèses et qu’aucune dépouille n’a encore été trouvée. Le gouvernement canadien et les médias laissent s’accréditer la thèse de la disparition de 200 enfants à Kamloops et de milliers d’autres dans d’autres pensionnats. Ainsi, le 1er juillet 2022, jour de la Fête du Canada, le Premier ministre Justin Trudeau et la gouverneure générale Mary Simon ont participé à une cérémonie de réflexion autochtone « après une année 2021 assombrie par les découvertes de centaines de tombes anonymes près d’anciens pensionnats pour Autochtones ». Le Premier ministre voit dans les sépultures de Kamloops et dans toutes celles qui ont découvertes par la suite, l’exemple « de graves erreurs » et « des lacunes » dans l’histoire du Canada[12]. Oui, il y a effectivement erreur dans l’histoire du pensionnat de Kamloops.

Les enfants disparus selon la Commission de vérité et réconciliation

Dans son rapport publié en 2015, la Commission de vérité et réconciliation (CVR) chargée « de révéler aux Canadiens la vérité complexe sur l’histoire et les séquelles durables des pensionnats » a recensé 3 200 décès d’enfants dans les pensionnats. Fait étonnant, elle n’a pu trouver le nom et l’enregistrement du décès du tiers d’entre eux. Ni non plus, pour la moitié d’entre eux, la cause de leur décès. À partir de sources aussi fragmentaires, la commission conclut que beaucoup d’enfants sont disparus sans que leur famille soit informée et plaide pour des compléments d’enquête.

Puisque la commission sollicite plus d’informations, nous avons vérifié celles qu’elle apporte sur les enfants décédés au pensionnat de Kamloops. Fondé en 1890, il est dirigé par les Oblats de Marie-Immaculée et l’enseignement est dispensé par les Sœurs de Sainte-Anne venues du Québec. Le Centre national pour la Vérité et Réconciliation (CNVR), qui a recueilli la documentation de la CVR, a repéré les noms de 51 enfants morts au pensionnat de 1915 à 1964. Nous avons été en mesure de trouver des informations sur ces enfants à partir des dossiers de Bibliothèque et Archives Canada et des certificats de décès conservés aux registres d’état civil de la Colombie-Britannique[13].

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Le regroupement de ces deux sources donne une bonne idée du décès d’au moins 35 des 49 élèves (deux sont des doublons)[14]. Dix-sept sont morts à l’hôpital et huit à la suite d’un accident à leur réserve ou près du pensionnat. Quant au lieu d’inhumation, 24 sont enterrés au cimetière de leur réserve et quatre au cimetière catholique même de la réserve de Kamloops. Pour le reste des enfants, les informations sont manquantes ou exigent la consultation des certificats complets de décès aux Archives de Colombie-Britannique. On est donc loin des affirmations non vérifiées voulant que les autorités n’aient pas enregistré les décès, que les parents n’aient pas été informés ou que les dépouilles ne soient jamais revenues dans leur famille. Quand les informations sont disponibles, on apprend que les parents ont été informés et que les enfants sont inhumés au cimetière de leur réserve.

À partir de 1935, le ministère des Affaires indiennes impose une procédure précise lors du décès d’un élève. Le directeur du pensionnat doit informer l’agent du ministère, qui forme un comité d’enquête composé de lui-même, du directeur et du médecin qui a diagnostiqué le décès. Les parents doivent être avisés de l’enquête et sont autorisés à y assister et à faire une déclaration.

Ainsi, par exemple, Kathleen Michel, 14 ans, tombée malade le 25 avril 1937, a été soignée au pensionnat par une infirmière qui a appelé un médecin. Le 1er mai, elle est conduite en auto à l’hôpital de Kamloops. Soignée par un médecin, elle décède deux jours plus tard d’une néphrite aiguë causée par la rougeole et une dysfonction cardiaque. Ce dernier ne décèle aucune lacune dans les soins prodigués au pensionnat. Le père informé de l’enquête n’a pas voulu y assister. Malheureusement, le seul rapport du ministère ne précise pas où elle a été inhumée.

Il est important de préciser que le pensionnat de Kamloops est situé sur le territoire de la réserve même, ce qui n’est jamais rapporté. Le rapport de la CVR indique que pour « presque tous les pensionnats les obsèques chrétiennes sont la norme » et que le cimetière de l’église attenante « peut servir comme lieu d’inhumation des élèves qui décèdent au pensionnat tout comme pour les membres de la collectivité locale et les missionnaires eux-mêmes ». Il est alors difficile de croire que les dépouilles de 200 enfants, dont on ne connait pas le nom d’ailleurs, soient enterrées clandestinement dans une fosse commune sur le territoire même de la réserve sans que les familles et les conseils de bande ne réagissent et n’avertissent les policiers.

Il est incroyable qu’une recherche préliminaire sur un prétendu charnier dans un verger ait pu conduire à une telle spirale d’affirmations endossées par le gouvernement canadien et reprises par les médias du monde entier. Ce n’est pas un conflit entre l’Histoire et l’histoire orale autochtone, mais entre cette dernière et le gros bon sens. Il faut des preuves concrètes avant d’inscrire dans l’Histoire les accusations d’un meurtre collectif aussi affreux portées contre les pères oblats et les Sœurs de Sainte-Anne.

À Kamloops, aucune exhumation n’a été faite et la cheffe Casimir a précisé que, pour l’été 2022, la tâche de l’anthropologue ne consistera qu’à élargir le périmètre de recherche de potentielles dépouilles d’enfants[15]. Une subvention de 7 386 000$ (5 500 000 euros) étalée jusqu’en 2023 a été obtenue du gouvernement fédéral. Ainsi, on en est encore à vouloir entretenir le mythe de la disparition d’enfants pour attirer la sympathie sur la cause autochtone au détriment de la vérité et de la véritable réconciliation.

Vers une nouvelle étape engageant l’Église catholique

La visite du pape au Canada en juillet s’effectue dans deux grandes villes canadiennes, Québec et Edmonton, et à Iqualuit, une ville au bord de l’océan Arctique. Il ne se rend pas au pensionnat de Kamloops comme le réclamaient les leaders autochtones. La visite place le pape et les évêques canadiens au centre d’une tourmente partagée entre une démarche de réconciliation et le désir des autochtones pour des excuses plus substantielles de l’Église catholique. À leur point de vue, elles devraient dépasser les regrets pour des gestes commis par le personnel des pensionnats pour impliquer la responsabilité de l’Église catholique comme institution.

Le 1er juin 2022, une rencontre de deux jours a eu lieu à Winnipeg entre des représentants du Cercle national des survivants des écoles résidentielles avec trois évêques canadiens pour préparer la visite du pape. Le texte soumis par le groupe demande à l’Église catholique « de reconnaitre et d’accepter la responsabilité des graves préjudices […] dans la mise en œuvre de la politique d’assimilation des pensionnats indiens du Canada ». Elle serait responsable notamment que « beaucoup d’enfants ont été enterrés dans des tombes non marquées sur les sites des pensionnats et que leurs parents n’ont pas été informés de leur décès et n’ont jamais eu la possibilité de ramener leurs enfants chez eux pour qu’ils soient enterrés correctement ».[16]  

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Ils attendent qu’au nom de l’Église catholique, le pape « présente ses profonds remords et ses excuses sincères » aux survivants, à leur famille et à leur communauté tout en demandant humblement leur pardon. Plus de « substance » que de simples excuses sont également réclamée. Sans le dire très clairement, on attend des compensations financières pour soulager les familles des « survivants ». Les trois évêques assistant à cette réunion, qui laisse apparaître des tensions, ne pouvaient évidemment pas agréer à ces demandes sinon de les acheminer au Vatican. C’est donc à suivre si le pape une fois au Canada présentera des excuses engageant officiellement l’Église catholique et s’il ouvre la porte à des compensations aux « survivants » des pensionnats catholiques.

Notes

[1] Department of Indian Affairs, Annual Reports, dans Marc DeWolf, Enrolment Residential School, 2022; Rodney A. Clifton et Mark DeWolf, From Truth comes Reconciliation, Winnipeg, Frontier Centre for Public Policy, 2021, p. 29-31.

[2] Rapport fi­nal de la Commission de vérité et réconciliation du Canada, Pensionnats du Canada : L’histoire, partie 1, des origines à 1939, Montreal & Kingston, McGill-Queen’s University Press, 2015, p.

312.

[3] Canada, Convention de règlement relative aux pensionnats indiens, 8 mai 2006. Entente de principes, En ligne : https://www.residentialschoolsettlement.ca/French/AIP_French.pdf

[4] Wikipedia, Indian Residential Schools Settlement Agreement. En ligne : https://en.wikipedia.org/wiki/Indian_Residential_Schools_Settlement_Agreement

[5] Processus d’évaluation indépendant (PEI). Rapport final, 2021, p. 58-59. En ligne : http://www.iap-pei.ca/media/information/publication/pdf/FinalReport/IAP-FR-2021-03-11-fra.pdf

[6] Jana G. Pruden and Mike Hager, « Anthropologist explains how she concluded 200 children were buried at the Kamloops Residential School ». Globe and Mail, 15 juillet 2021; Tk’emlúps te secwépemc, Press Release, « Kamloops Indian Residential School missing children findings but a fraction of investigation and work need to bring peace to families and communities », 15 juillet 2021; Frances Widdowson, « Billy Remembers », The American Conservative, 15 février, 2022.

[7] Anne-Marie Lecompte, « Pensionnats autochtones : Trudeau presse l’Église de prendre ses responsabilités », Radio-Canada, 4 juin 1921.

[8] Hélène Jouan, « Après la découverte des ossements de 215 enfants autochtones, le Canada confronté à son histoire coloniale », Le Monde, 1er et 2 juin, 2021.

[9] Geneviève Lasalle, « Le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme exhorte le Canada et le Vatican à enquêter sur les circonstances entourant les décès d’enfants autochtones, dont les restes ont été retrouvés près d’un ancien pensionnat à Kamloops, en Colombie-Britannique », Radio Canada, 4 juin 2021.

[10] Amnistie internationale, « Justice pour les enfants autochtones au Canada », Lettre à envoyer au premier ministre du Canada, Justin Trudeau, 2 juin 2021. En ligne : https://amnistie.ca/participer/2021/canada/justice-pour-les-enfants-autochtones-au-canada

[11] Brooklyn Neustaeter, “Indigenous leaders call for apology, compensation from Pope amid possible Canadian visit”, CTV News, October 27, 2021.

[12] Radio-Canada, « Fête du Canada : célébrations sur fond de manifestations et de réconciliation », 1er juillet 2022.

[13] B.C. Archives, Genealogy, General Search. En ligne : http://search-collections.royalbcmuseum.bc.ca/Genealogy

[14] Library and Archives Canada, School Files Series – 1879-1953 (RG10), About the Records: Indian and Inuit Affairs Program sous-fonds: School Files Series, 1879-1953 (RG10-B-3-d), LAC c-8770, number 829; LAC c-8773, number 1323.

[15] Dirk Meissner, « Work to exhume remains at former Kamloops residential school could begin soon, chief says », The Canadian Press, 20 mai 2022. En ligne : https://www.cbc.ca/news/canada/british-columbia/tk-eml%C3%BAps-kamloops-indian-residential-school-215-exhumations-1.6460796

[16] Alex Boyd, « Here’s how survivors of Canada’s residential schools want the Pope to apologize. With Francis planning to visit First Nations communities in Canada, some survivors offered him a suggested apology on behalf of the Catholic Church », Toronto Star, 15 juin 2022; Olivia Stefanovich, « Survivors in Canada say they are facing resistance from some bishops «, CBC News, 29 mai 2022.

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Jacques Rouillard est professeur émérite, Département d’histoire, Université de Montréal.
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