Livre. Aux pays de l’or noir : Une histoire arabe du pétrole

3 juillet 2021

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Livre. Aux pays de l’or noir : Une histoire arabe du pétrole

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Il a fallu attendre les coups d’éclat des années 1970 et en particulier la hausse des prix, décidée en 1973, pour que les Arabes entrent en scène avec fracas dans le récit du pétrole, commence par écrire Philippe Pétriat. Le « choc pétrolier » fit entrer le monde dans une nouvelle ère et ce qui était jadis l’affaire des spécialistes, devint la préoccupation de tous.

À l’occasion de la guerre d’octobre 1973, l’utilisation de l’arme du pétrole avait rendu possible un renversement soudain de la situation. Les pays arabes allaient penser qu’ils pouvaient ainsi sortir du « cercle vicieux » du sous-développement en entraînant l’ensemble des pays en développement. Cette technique qui devait être qualifié de « sans précédent » par la plupart des observateurs et dirigeants, comportait trois séries de conséquences. D’une part, le coût supplémentaire des importations de pétrole en 1974 avait été estimé pour les pays consommateurs à environ 80 milliards de dollars. Compte tenu des capacités limitées d’absorption des pays producteurs, cela représentait pour le groupe de pays à faible population constitué de l’Arabie Saoudite, du Koweït, de la Libye, d’Abou Dhabi et du Qatar (10 millions d’habitants) un surplus financier de quelque 40 milliards de dollars. Les experts occidentaux se livraient à des projections dont le caractère alarmant n’avait nul besoin d’être souligné. Selon ceux-ci, l’ensemble des revenus pétroliers de l’OPEP pourrait atteindre 120 milliards de dollars en 1980 et 300 milliards en 1985.

Le total accumulé des réserves des États membres pour la période 1975-1985 risquait de dépasser 1 000 milliards de dollars. Si le premier chiffre n’était pas loin de la réalité (110 milliards de dollars), en raison du deuxième choc pétrolier, le second en apparaît tout-à-fait démesuré. Ces chiffres étaient rapprochés de l’aide Marshall fournie par les États-Unis à l’Europe de 1948 à 1952 (13, 5 milliards de dollars ou 45 milliards de dollars réévalués, 135 milliards d’aujourd’hui) ou comparés à l’aide totale aux pays en développement entre 1968 et 1977 (80 milliards de dollars). Ces chiffres devaient être démentis rapidement par les faits, montrant la souplesse d’adaptation des mécanismes de l’économie mondiale et la capacité de certains pays à redresser leurs balances de paiement (Japon, RFA). Mais leur effet démonstratif devait mobiliser l’opinion publique et justifier la politique préconisée alors par les Etats-Unis pour faire face à ce « coup de force pétrolier », d’où l’objectif de l’auteur qui est de décrire l’expérience des pays arabes, comme élément indispensable pour comprendre comment le pétrole a modelé et globalisé le monde contemporain.

En fait c’est dès 1945 que le pétrole du Moyen Orient, donc arabe, est devenu une préoccupation majeure. L’épisode de la nationalisation du pétrole iranien par Mossadegh, en 1951, le démontra. Durant la guerre il avait servi à ravitailler la Navy et la RAF dans les bases d’Aden, de Singapour et d’Inde. Mais en 1950, l’Iran 4e producteur mondial n’avait touché que 450 millions de dollars de royalties, soit 9% des bénéfices avoués par la compagnie. Le contentieux est porté devant la Cour internationale de Justice de La Haye pour arbitrage, les Britanniques demandent une procédure provisoire qui est approuvée le 5 juillet 1951. Mais la Cour s’estime incompétente quant au fond s’agissant d’un litige mettant aux prises un État et une compagnie privée, cas qui se répétera par la suite, en donnant lieu à une série de contentieux. D’ores et déjà, la question des rapports entre entreprises multinationales et États était posée dans toute son ampleur. L’AIOC rapatrie ses experts et les Britanniques déclarent un boycott sur le pétrole iranien. La marine britannique bloque les pétroliers transportant du pétrole iranien. Londres ayant convaincu les Sept sœurs de s’aligner sur l’AIOC, les tankers ne transportent presque plus de pétrole iranien. Les partenaires des Britanniques augmentent considérablement leur production en Arabie saoudite, au Koweït et en Irak pour continuer à répondre à la demande mondiale de pétrole. C’est pourtant l’expédition franco -britannique de Suez qui porta le pétrole arabe sur l’avant-scène. En effet, en mettant pied au Moyen- Orient via l’Egypte, Moscou s’approchait des gisements pétroliers de la région qui allaient jouer un rôle croissant dans l’approvisionnement des pays d’Europe occidentale : alors que la part du Moyen -Orient dans la production mondiale de brut était de 20,07% en 1957, elle est passée à 24,06% en 1958[1]. 80% du pétrole consommé en Europe proviendra de cette région carrefour. A partir du milieu des années 1950, la reconstruction de l’après-guerre étant, pour l’essentiel achevée, la consommation de pétrole en Europe progressait de 13% par an.

Ainsi, de proche en proche, en passant par les deux chocs pétroliers de 1973 et de 1979-1980, consécutifs à la chute du shah, puis du contre-choc de 1986 nous arrivons à la période actuelle, marquée par la crise des États pétroliers et le désenchantement pétrolier. Le rôle qu’a joué l’effondrement des prix du pétrole, intervenu en 1986 dans l’effondrement de l’URSS, fait l’objet d’interprétations divergentes. Brusquement en décembre 1985, à la réunion des Ministres de l’OPEP à Genève, le Ministre saoudien Ahmed Zaki Yamani, a défini une nouvelle stratégie qui prenait le contrepied de celle qu’il défendait depuis de nombreuses années : les membres de l’OPEP ont décidé de déclencher une « guerre des prix » en supprimant tous les quotas qui restreignaient leur production.

Cette politique, voulue par l’Arabie Saoudite pour obliger la Grande-Bretagne à réduire ses ventes sur le continent européen afin que les pays de l’OPEP retrouvent leurs parts de marché, a entraîné une chute brutale du prix du baril de pétrole brut qui est tombé de près de 30 dollars en novembre 1985 à 10 dollars début avril 1986 et même 9 dollars en octobre. Cette politique souleva les critiques des producteurs pauvres. Jugée responsable de l’effondrement des prix, la famille royale mit fin au règne du « roi du pétrole » Sheikh Yamini qui, de 1962 à 1986, avait dirigé la politique pétrolière saoudienne[2]. L’homme avait été prémonitoire en déclarant, le premier, que l’âge de la pierre n’avait pas pris fin avec la dernière pierre ; l’âge du pétrole, et ne se terminerait pas avec la dernière goutte de pétrole. En tout cas cette chute brutale des cours du baril, liée à la guerre en Afghanistan, fut l’une des grandes causes de l’effondrement de l’URSS.

Après la crise des États pétroliers, durant les années, 1990, lorsque le baril est passé sous les 20 dollars en 1998, nous sommes arrivés à l’ère du désenchantement pétrolier depuis les années 2000.  Les fluctuations du baril ont été amples, 150 dollars en juillet 2008, à nouveau 20 dollars durant la crise du Covid-19 et la mésentente russo- saoudienne. Mais la fluctuation des cours a fortement impacté les politiques budgétaires. L’aide et le développement des pays arabes producteurs n’a été qu’un des éléments ayant modifié la physionomie du monde pétrolier. En moins de 15 ans on est passé de la théorie du « pic pétrolier de la production » à celle du « pic de la demande ». Désormais, il ne s’agit plus de s’interroger sur le moment précis où les réserves du sous-sol commenceront à s’épuiser, ni quand la production commencera à décliner, mais de tenter de déterminer le moment où la demande mondiale de pétrole commencera à décliner. Ce plateau de la demande mondiale de brut a été établi par l’AIE à 106 millions de barils/jour entre 2025 et 2030. Pour le moment, la demande mondiale de pétrole, encore sous le choc des effets de la pandémie, est peu susceptible de rattraper sa trajectoire pré-Covid. En 2020, la demande de pétrole était inférieure de près de 9 mb/j au niveau en 2019, et on ne s’attend pas à ce qu’il revienne à ce niveau avant 2023.

Mais au-delà, les moteurs à long terme de la croissance continueront de tirer la demande de pétrole par le haut. Par conséquent, d’ici 2026, la consommation mondiale de pétrole devrait atteindre 104,1 mb/j. Cela représenterait une augmentation de la 4,4 mb/j par rapport aux niveaux de 2019. Toute cette croissance de la demande par rapport à 2019 devrait provenir des économies émergentes et en développement, soutenues par la hausse des populations et les revenus. La demande asiatique de pétrole continuera d’augmenter fortement, mais selon un rythme plus lent que dans le passé récent. La demande des membres de l’OCDE, en revanche, ne devrait pas revenir aux niveaux d’avant la crise. Déjà en 2018, l’Asie était la destination de 70% des exportations du pétrole saoudien et de 90% du pétrole brut des Émirats Arabes Unis. Au vu des perspectives de croissance des pays asiatiques, et de la relative lenteur de la pénétration des énergies nouvelles et renouvelables dans le monde, à quelques exceptions près, les pays arabes n’en n’ont pas fini avec l’or noir.

A lire aussi : À la recherche d’un “après-pétrole” (de 1973 à nos jours)

Notes

[1] L’année pétrolière 1958 au Moyen-Orient, Jacques Besançon, Géo carrefour, Année 1960  35-2  pp. 183-212

[2] Né en 1930 à La Mecque, il a eu un destin peu ordinaire. Bien que petit fils de mufti et fils d’un haut magistrat, ni prince, ni apparenté à la famille royale, celui qui portait le prénom de « zaki », « intelligent » en arabe, a réussi à renverser le cours des choses. Après des études de droit à l’Université du Caire, puis à celle de Columbia à New York, il achève ses études à Harvard où il croise Henry Kissinger, Zbigniew Brzezinski, Ralph Nader, le défenseur des consommateurs et Samuel Pisar, fameux avocat international.

À propos de l’auteur
Eugène Berg

Eugène Berg

Eugène Berg est diplomate et essayiste. Il a été ambassadeur de France aux îles Fidji et dans le Pacifique et il a occupé de nombreuses représentations diplomatiques.
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