<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Les yoyos du populisme

11 février 2020

Temps de lecture : 5 minutes
Photo : Les "populistes" Wilders, Salvini, Le Pen, Mareshki et Okamura à Milan le 18 mai 2019, à une semaine des élections européennes, Auteurs : Minako Sasako/AP/SIPA, Numéro de reportage : AP22337513_000004.
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Les yoyos du populisme

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Populisme est devenu un mot à la mode sans cesse employé. Il y aurait le peuple d’un côté et les élites de l’autre. Pourtant, les populistes ont eu aussi besoin d’une élite, ne serait-ce que pour gouverner lorsqu’ils arrivent au pouvoir. L’association des deux devient alors une nécessité.

Il y a quelques mois les observateurs enterraient le populisme. Le leader de la Lega, Matteo Salvini, démissionnait du ministère de l’Intérieur sans réussir à provoquer de nouvelles élections, le Brexit s’enlisait, les incendies en Amazonie étaient utilisés pour mettre Jair Bolsonaro au ban de la communauté morale internationale, les gilets jaunes français ne réussissaient pas à relancer leur mouvement.

Changement radical peu après. En Pologne, en Italie, en Hongrie, en Espagne, les élections nationales ou partielles confirment l’implantation des populistes. L’arrivée au pouvoir de Boris Johnson au Royaume-Uni relance le Brexit. Les sondages font de Marine Le Pen l’opposante principale à Emmanuel Macron.

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La résilience du populisme

Le populisme est généralement décrit comme une révolte contre les élites au nom du peuple. Conservons cette définition malgré l’imprécision des termes « élites » et « peuple ». Rien de nouveau sous le soleil : les plébéiens romains se dressaient déjà contre les sénateurs au Ve siècle avant Jésus-Christ. Cette révolte avait pourtant semblé s’apaiser après la Seconde Guerre mondiale. Elle revient en force.

L’explication la plus souvent évoquée est la montée des inégalités. Après 1945, la menace communiste avait conduit les pays occidentaux à adopter de nombreuses mesures sociales. À peine le Mur de Berlin effondré et la peur disparue, ils ont rogné sur la politique sociale. La conséquence plus remarquable en est le creusement de l’écart entre les « ultra-riches », comme on dit aujourd’hui, et les autres. Le rapport entre les 20 % de revenus disponibles les plus élevés et les 20 % les plus faibles reste de l’ordre de 1 à 3,5 en France [simple_tooltip content=’Les écarts se sont creusés récemment en France qui était restée plus égalitaire que ses voisins. L’indice de Gini qui mesure les inégalités a augmenté de façon spectaculaire en 2018.’](1)[/simple_tooltip], mais l’écart entre le 0,1 % ou le 0,01 % le plus riche et le reste de la population a explosé. Plus grave encore l’espoir d’une amélioration des conditions de vie de chacun (en dehors des happy very few) s’évanouit, pour soi et pour sa descendance : mon sort ne sera pas meilleur pour moi, il ne le sera pas pour mes enfants. L’ascenseur social est bloqué au rez-de-chaussée.

Jules César, l’un des premiers populistes. Mais lui était cultivé et intelligent.

L’effondrement du communisme a provoqué une autre conséquence : l’accélération de la mondialisation. Elle met en concurrence les travailleurs à travers le monde entier et les salariés peu qualifiés du Nord avec les salariés du Sud, peu qualifiés eux aussi, mais beaucoup moins bien payés. Pour les seconds une progression rapide de leurs revenus, pour les premiers le choix entre le chômage et la stagnation de leurs rémunérations. Parallèlement, les travailleurs très qualifiés peuvent vendre leurs talents non plus chez eux, mais à travers la planète entière. Leurs rémunérations explosent.

Tout a été dit sur cette nouvelle élite peu nombreuse, mais très riche : le nomadisme, la rupture avec son terroir d’origine et avec ceux qui continuent d’y habiter et de lui être attachés, une certaine arrogance, car elle est au fond convaincue que ses rémunérations sont justifiées par ses talents. Son autosatisfaction rappelle la bourgeoisie du premier xixe siècle et entretient le populisme.

Ajoutez à cela le sentiment que la démocratie est confisquée depuis que le résultat du référendum contre la constitution européenne en 2005 a été escamoté ; la conjonction du déclassement de la majorité et du déclin du pays ; les inquiétudes sur l’identité de nations soumises à une immigration permanente qui change peu à peu leur nature et qui modifie profondément les conditions de vie de la population. Ce point est loin d’être secondaire dans la montée du populisme : non seulement nous craignons que nos enfants vivent moins bien que nous, mais nous craignons qu’ils soient dépossédés en même temps de notre héritage matériel et culturel.

Ce qui est remarquable dans cette énumération est qu’il s’agit de tendances de longue durée. Voilà pourquoi il est vain d’annoncer à chaque épisode électoral la disparition du populisme. Tel le furet, il réapparaît aussitôt par ici ou par là.

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La difficulté à durer

En sens inverse, ses succès se révèlent toujours fragiles. Car ses adversaires se sont mobilisés contre lui, ce qui n’est guère surprenant. Il s’agissait d’abord de l’empêcher d’accéder au pouvoir et pour cela de créer un cordon sanitaire autour de lui. Engagement des médias, pétitions des intellectuels, promesses de ne jamais coopérer avec ses leaders, menaces et condamnation à la mort civique de ceux qui se déclareraient en sa faveur, systèmes électoraux biaisés… L’un des buts de ces campagnes est de démontrer que les populistes n’arriveront jamais au pouvoir, de décourager leurs électeurs et de les précipiter dans l’abstention.

Le cordon sanitaire fonctionne encore dans des pays comme la France, mais il a sauté en Italie, en Andalousie et dans les pays de l’Est (qui relèvent d’une autre logique). Même en Allemagne, quelques élus CDU de Thuringe ont proposé un accord avec l’AfD après les élections d’octobre dernier. En 1999, l’Autriche avait été mise « sous surveillance » par l’Union européenne pour avoir formé un gouvernement « noir-bleu » (conservateurs de l’OVP et populistes du FPO). En décembre 2017, la même coalition arrive au pouvoir sans provoquer de protestation majeure. Mais elle éclate ensuite après la divulgation des contacts entre le FPO et de faux interlocuteurs russes, preuve de la légèreté et de la naïveté du premier face à ce qui apparaît comme une manipulation.

Pour l’élite en place, l’enjeu est maintenant d’entraver l’action de ces gouvernements où figurent des populistes, de les faire chuter ou de les paralyser. On assiste aux mêmes mobilisations des journalistes, des intellectuels, des associations étudiantes, des autorités morales (syndicats, Églises sauf dans les pays de l’Est). Tous les avatars de l’élite (ou presque) se mobilisent. Remarquable l’affaire du Brexit. Dès le vote, ses adversaires réclament un nouveau référendum. Les milieux d’affaires s’inquiètent d’un no deal, l’Union européenne réclame qu’une frontière soit établie entre l’Irlande du Nord et la Grande-Bretagne, ce qui est difficilement acceptable pour les Britanniques, les prédictions les plus catastrophiques sur l’avenir économique du pays se succèdent, le Parlement (qui dans sa majorité hésite devant le Brexit) vote des textes contradictoires qui rendent difficile toute solution et paralysent le pays jusqu’aux élections. En Italie, les dirigeants du Mouvement cinq étoiles et le Premier ministre Giuseppe Conte se sont appuyés sur l’Union européenne pour pousser Salvini à la faute, c’est-à-dire à la démission, et pour s’allier avec le Parti démocrate afin de reprendre le pouvoir.

La preuve est faite que les populistes peuvent accéder au pouvoir, au moins dans le cadre de coalitions. Peuvent-ils y rester et agir ?

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Même le populisme a besoin d’une élite

Le vrai problème des populistes est leur rapport aux élites. En se contentant de les dénoncer, ils mobilisent, mais se privent de leurs réseaux et de leur savoir-faire. Dès lors l’opinion doute de leur capacité à administrer. On remarquera pourtant que dans certains pays une partie de l’élite a soutenu les populistes : la majorité des dirigeants d’entreprises (États-Unis, Royaume-Uni, Brésil), les Églises (États-Unis, Brésil, Pologne), la hiérarchie militaire (Brésil)… Ailleurs le populisme souffre de ce qui fait sa force, la révolte contre les élites. Voilà pourquoi le cycle du populisme prend la forme d’une courbe chaotique.

Le problème s’était posé aux socialistes dès la fin du xixe siècle. Ils avaient compris que pour changer le système il fallait que le peuple soit entraîné par une élite. Où la trouver ? Dans les syndicats que les grèves et les manifestations du 1er mai préparaient au « grand soir » ? Dans une organisation de révolutionnaires professionnels comme le pensait Lénine ? Chez les anciens combattants comme l’affirmait Mussolini en 1915, alors qu’il se pensait encore socialiste ? Plus tard, les contestataires des années 1960 feront confiance aux intellectuels engagés et même aux immigrés, déjà. Les révolutionnaires de l’époque n’avaient pas peur du mot « élite », les populistes devraient s’en souvenir.

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Pascal Gauchon

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