<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Le Qatar, médaille d’or

28 septembre 2020

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Photo : L'archipel artificiel The Pearl, à Doha (c) Pixabay
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Le Qatar, médaille d’or

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Le richissime émirat du Qatar, assis sur d’énormes réserves d’hydrocarbures, cherche depuis plusieurs années à placer ses revenus gaziers. Ses fonds souverains sont investis dans toutes les directions : grands groupes industriels, immobilier, hôtellerie et restauration… Mais l’émirat souhaite aussi se diversifier dans la culture et surtout le sport. Coincée entre les deux géants iranien et saoudien, sans assise territoriale conséquente, la péninsule se distingue par un soft power original.

Pressée et gourmande, la petite pétromonarchie du golfe Persique a lancé tous azimuts un programme omnisports dès les années 1990. Sous l’impulsion du cheikh Hamad Al Thani, le Qatar a commencé par organiser des compétitions sportives comme la Coupe d’Asie des nations de football en 1988 ou l’Open de Doha de tennis en 1993. En 1998, les Masters du Qatar de golf sont lancés. Le Tour du Qatar de cyclisme accueille ses premiers coureurs en 2002. Et en 2006, les jeux Asiatiques se déroulent à Doha. Le Qatar a ainsi largement dépassé ses grands cousins saoudien et koweïtien qui à la fin des années 1980 avaient également tenté une timide percée dans le football. Si la rentabilité du sport et de la culture n’est pas la meilleure stratégie financière à court terme, le bénéfice en termes d’image n’est pas négligeable.

À l’assaut du foot, sport mondial

De prime abord, conquérir une image de pays sportif n’allait pas de soi. Souvent moqué pour sa mentalité de nouveau riche, plus à l’aise pour parader en grosse voiture de sport que pour suer sur une piste d’athlétisme, le Qatari souffre d’une réputation mitigée dans l’opinion mondiale. Sa conception particulière des droits de l’homme et son rapport décomplexé à l’argent ne sont pas vraiment dans l’esprit du sport au sens où l’entendait le baron Pierre de Coubertin. Le Qatar n’a pas seulement l’intention de participer, il dépense pour gagner des trophées et générer du tourisme sportif.

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La force du Qatar, bien sûr, est l’argent. S’y ajoute l’extrême centralisation de sa politique sportive dans les mains du souverain. Le cheikh Tamim ben Hamad al-Thani, en plus d’être l’émir du Qatar, est le président du Comité olympique national, le président du Comité d’organisation de la Coupe du monde 2022 et le propriétaire et président du fonds d’investissement souverain, le Qatar Investment Authority (QIA).

Dès lors, le clan Al-Thani fait son marché dans le monde du football et s’appuie davantage sur sa fortune et sa clientèle que sur ses centres de formation flambant neufs. Gabriel Batistuta, Frank Lebœuf, Stefan Effenberg ou Ronald De Boer ont terminé leur carrière au Qatar moyennant des salaires mensuels de centaines de milliers d’euros. Mais le championnat du Qatar reste de faible niveau. La population autochtone ne dépasse pas le million et demi de personnes sur une superficie équivalant à la Gironde. Il est difficile dans ces conditions de disposer d’un vivier compétitif pour les épreuves sportives mais aussi pour remplir les gradins des stades. Qu’à cela ne tienne : le Qatar achète des clubs européens pour conforter son image de pays sportif – Malaga en 2010 et le PSG en 2011.

On achète tout

À cet égard, le mondial de handball organisé en 2015 à Doha a constitué une répétition en miniature des mondiaux d’athlétisme prévus en 2019. En une véritable caricature du sport-business, le Qatar a sélectionné et payé des supporters européens pour remplir les tribunes de Doha. Et pour cause, lors du match d’ouverture, les quelques spectateurs qataris ont abandonné leur équipe nationale pourtant en tête à la mi-temps. Ils sont revenus pour la finale, et les supporters européens subventionnés ont été priés à la dernière minute de laisser leur place aux vrais citoyens qataris.

La difficulté des locaux à s’identifier à l’équipe nationale du Qatar peut s’expliquer. Seul le maillot est bordeaux et blanc, les couleurs de l’émirat. Le sélectionneur, Valero Rivera, champion du monde avec l’Espagne deux ans plus tôt, a bâti sa sélection comme un chasseur de têtes. La sélection du Qatar s’est transformé en sélection mondiale et le coach espagnol a acheté son recrutement dans le monde entier : Espagne, Cuba, Bosnie, France, Serbie, Tunisie, les anciennes gloires du handball ont repris du service. Plus que les « vamos Qatar » du public (espagnol en partie !) et la complaisance de l’arbitrage, le salaire des joueurs a fait beaucoup pour emmener le pays hôte en finale.

Bertrand Roiné, ancien international français a livré son expérience de mercenaire du sport qatari au Monde : « Vous travaillez dans une usine, l’usine d’en face fabrique exactement les mêmes produits, et on vous dit qu’on va vous donner deux fois votre salaire ; vous restez, ou vous changez d’usine ? » À 100 000 euros la prime de victoire, l’amour du drapeau ne pèse plus très lourd dans la tête d’un sportif occidental. Interrogé sur l’hymne national qatari chanté la main sur le cœur à chaque début de rencontre, Roiné positive : « On nous a dit : “Ce serait bien que vous appreniez l’hymne, pour le pays, pour le cheikh.” Nous, on ne voit pas le mal. C’est bien, on chante tous ensemble, même si on est d’origines différentes. […] Le temps des compétitions, on échange les passeports : je donne mon passeport français, et j’ai un passeport qatari. La nationalité ici, tu ne peux pas l’obtenir comme ça, c’est compliqué. » Les règles de la fédération internationale de handball sont suffisamment souples pour que l’équipe qatarie puisse pratiquer ce petit trafic de passeports.

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Toujours en quête de notoriété, Doha négocie des partenariats avec des grandes marques occidentales. Dans les sports équestres, France Galop est associé au Qatar Racing & Equestrian Club. Pour le cyclisme, Qatar Airways s’est adossé au Tour de France et à son propriétaire le groupe Amaury. Cinq ou six étapes de plat permettent aux sprinters de gagner le maillot jaune, possibilité unique dans ce sport.

Pour compléter son dispositif, l’émirat a développé une stratégie marketing offensive. La marque Burrda Sport est devenue le fournisseur des clubs de rugby du RC Toulon et du Biarritz Olympique ainsi que du club de football de l’OGC Nice. Elle est encore confidentielle, mais Laurent Platini, le directeur exécutif de la marque et fils de Michel, cherche à lui faire gagner en notoriété. Et Burrda Sport progresse vite. Elle a obtenu en 2014 le contrat d’équipement de l’équipe de football belge. Ses locaux sont contigus à ceux de BeIN sport, la filiale sportive d’Al Jazeera qui a obtenu une grande partie des droits de diffusion du football français et européen. Communication et équipement, le monde du sport ne laisse rien au hasard.

Boomerang

L’obtention de la Coupe du monde de football 2022 par la FIFA devait contribuer à poursuivre cette montée en puissance. Convaincre le monde entier de jouer en plein été dans le désert avec l’incertitude de remplir les stades climatisés n’a pas été une mince affaire. Apothéose de sa politique internationale du sport engagé depuis vingt ans, le Qatar sera le premier pays musulman à accueillir la Coupe du monde. Le prestige est énorme et relègue à distance ses rivaux du Golfe.

Mais à l’été 2015, le scandale de la FIFA éclabousse la direction de Joseph Blatter et dévoile les méthodes du Qatar pour obtenir l’organisation de l’épreuve reine du football en 2022. Mohamed Ben Haman, ex-président qatari de la confédération asiatique, avait déjà été reconnu coupable le 23 juillet 2011 d’achat de voix et de malversations par le comité d’éthique de la Fédération internationale de football. Le journal spécialisé France Football a également enquêté en  janvier 2013 sur le recrutement de Laurent Platini, le fils du président de l’UEFA, dont le père a beaucoup fait pour la candidature qatari. Le recrutement de vieilles vedettes comme Zinédine Zidane ou Josep Guardiola ont probablement aidé à convaincre le jury de Zurich. Le rachat du PSG a également poussé Nicolas Sarkozy à appuyer la candidature qatari.

Cela étant, les résultats en termes d’image de marque et d’influence restent mitigés au vu des investissements consentis. D’après Capital, BeIN Sports aurait encore perdu 250 à 300 millions d’euros sur son dernier exercice. Le scandale de la FIFA et celui de la condition des ouvriers en charge de bâtir les stades ont accentué l’image trouble de l’émirat. Quant aux résultats du PSG, la tête de gondole de Doha dans le football européen, ils se font attendre. Et les banderoles des supporters stéphanois ont beau jeu de moquer le modèle qatari : « Argent sale accepté, liberté bafouée, classes populaires écartées, bienvenu au PSG ».

L’argent est une chose, la manière en est une autre. Censé adoucir son image par le sport, le Qatar a finalement renforcé sa réputation d’émirat capricieux et opportuniste.

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À propos de l’auteur
Hadrien Desuin

Hadrien Desuin

Ancien élève de l’École spéciale militaire de Saint-Cyr, Hadrien Desuin est membre du comité de rédaction de Conflits.
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