<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Quand la France combat en montagne

10 février 2025

Temps de lecture : 6 minutes

Photo : Des chasseurs alpins du 13eme BCA lors de l'exercice militaire CERCES 2024 //SIPA/2412031446

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Quand la France combat en montagne

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Tout au long de son histoire, la France a mené de nombreuses guerres en montagne, que ce soit sur le territoire national ou en opérations extérieures. Retour sur quelques victoires fameuses et combats épiques en zone escarpée.

La bataille de Turckheim (1675)

La bataille de Turckheim (5 janvier 1675) constitue un exemple de stratégie militaire en montagne. Cet affrontement, qui opposa les forces françaises à une coalition austro-brandebourgeoise, fut décisif pour la consolidation de la domination française en Alsace dans le contexte de la guerre de Hollande (1672-1678).

Contexte stratégique

En 1674, les troupes alliées austro-brandebourgeoises, commandées par le duc de Lorraine Charles IV et Frédéric-Guillaume de Brandebourg, avaient envahi l’Alsace, menaçant de faire basculer la région sous leur contrôle. Le maréchal de Turenne, chargé de défendre les intérêts français, adopta une stratégie audacieuse pour repousser l’envahisseur. Profitant de l’hiver, il engagea une campagne de harcèlement, infligeant de lourdes pertes à l’ennemi, tout en préservant ses propres forces.

La manœuvre de Turckheim

Début 1675, Turenne décida de frapper un coup décisif pour libérer l’Alsace. Les forces coalisées, retranchées à proximité de Turckheim, adoptaient une position défensive le long de la rivière Fecht, en ligne selon les principes de l’époque. Turenne exploita cette rigidité pour les contourner. Il feignit une attaque frontale sur les positions ennemies tout en déplaçant discrètement une partie de ses troupes à travers les collines boisées surplombant la ville.

Cette manœuvre permit à l’armée française de prendre les forces alliées à revers, semant confusion et désordre dans leurs rangs. Les alliés, incapables de réorganiser leurs lignes, furent contraints de battre en retraite vers le Rhin. Turenne, en limitant les affrontements directs, minimisa les pertes françaises tout en infligeant une défaite stratégique aux coalisés.

Conséquences de la bataille

La victoire de Turckheim permit à la France de consolider son contrôle sur l’Alsace, une région stratégique pour la défense de ses frontières orientales. Cette bataille illustre l’ingéniosité tactique de Turenne, qui sut exploiter les faiblesses de l’ennemi et les atouts du terrain. Elle est aussi emblématique de l’évolution de l’art de la guerre à l’époque moderne, où la mobilité et les manœuvres prenaient de plus en plus d’importance face aux engagements frontaux.

Un modèle de stratégie militaire

La bataille de Turckheim reste un exemple d’excellence tactique étudié dans les écoles militaires. Elle démontre comment l’innovation, l’audace et la maîtrise du terrain peuvent transformer un conflit défavorable en une victoire décisive.

La guerre des Alpes, un exploit oublié de 1940

En mai-juin 1940, alors que la France subit l’invasion allemande sur le front nord, une bataille méconnue se joue dans les Alpes contre l’Italie fasciste. Cette campagne, souvent éclipsée par la débâcle générale, constitue un exploit tactique et humain remarquable pour l’armée des Alpes, qui parvint à contenir et repousser les forces italiennes, malgré des moyens très limités. Sous les ordres du général René Olry, les troupes alpines démontrèrent une maîtrise du terrain et une organisation exemplaire.

Un front secondaire dans un contexte chaotique

La déclaration de guerre de l’Italie à la France le 10 juin 1940 place l’armée des Alpes dans une situation critique. Forte d’environ 85 000 hommes, elle doit défendre une frontière de 500 km face à 300 000 soldats italiens, soutenus par une artillerie et une aviation largement supérieures en nombre. La région montagneuse offre cependant un avantage stratégique : le terrain accidenté limite les possibilités d’attaques massives et favorise la défense. Le général Olry organise ses forces en un système de positions fortifiées, réparties entre la zone avancée et la ligne Maginot alpine.

Le déroulement des combats

Les hostilités commencent par une série de bombardements italiens, suivis de plusieurs offensives terrestres, notamment dans les secteurs du col de Larche, de la vallée de la Tinée et du massif du Mont-Cenis. Les Italiens espèrent percer rapidement pour s’emparer de Nice et de Grenoble. Cependant, leur avancée est rapidement bloquée par la résistance tenace des chasseurs alpins et des troupes de forteresse. Malgré leur infériorité numérique, les Français utilisent leur parfaite connaissance du terrain et des positions fortifiées pour repousser les assauts.

Dans la vallée de la Roya, les combats au col de Tende sont particulièrement intenses. Les chasseurs alpins, appuyés par des canons et des mortiers, tiennent leurs positions face à des vagues d’assaut italiennes mal coordonnées. Plus à l’est, dans le massif de l’Authion, des bataillons de montagne infligent des pertes significatives à l’ennemi, contraint de se replier.

L’artillerie française joue un rôle clé dans cette défense. Les batteries installées dans les fortifications de la ligne Maginot alpine, comme celles de l’ouvrage du Cap Martin ou du fort de l’Olive, empêchent les Italiens de progresser. La météo, marquée par des tempêtes de neige inhabituellement tardives, aggrave également les difficultés logistiques des assaillants.

Un succès tactique dans la défaite générale

Le 25 juin 1940, l’armistice franco-italien est signé à Rome, mettant fin aux hostilités. Malgré la supériorité numérique écrasante des Italiens, leur avancée est limitée à quelques kilomètres au prix de lourdes pertes humaines et matérielles. L’armée des Alpes, quant à elle, conserve l’essentiel de ses positions, confirmant l’échec stratégique de Mussolini. Les chiffres témoignent de cette victoire défensive : 32 soldats français sont tués, contre environ 631 morts et 2 631 blessés côté italien.

Cette bataille met en lumière l’excellence des troupes alpines, leur endurance et leur capacité à s’adapter à un terrain difficile. Cependant, leur succès reste isolé dans un contexte de défaite nationale, ce qui explique son oubli relatif dans la mémoire collective. La guerre des Alpes souligne néanmoins que, même face à des forces largement supérieures, une défense organisée et résolue peut triompher, surtout lorsque le terrain est utilisé avec intelligence.

Uzbin

Le 18 août 2008, dans la vallée d’Uzbin, située dans la province de Kapisa en Afghanistan, les forces françaises furent confrontées à l’un des événements les plus tragiques de leur engagement dans ce pays. Une embuscade soigneusement préparée par les insurgés talibans coûta la vie à dix soldats français et fit 21 blessés. Cet affrontement révéla les défis extrêmes que représente le combat en montagne, notamment face à un adversaire maîtrisant parfaitement le terrain.

Une opération classique qui vire au drame

Ce jour-là, une unité française, appuyée par des soldats afghans et italiens, menait une reconnaissance dans la vallée d’Uzbin, une région connue pour son relief accidenté et ses risques sécuritaires. L’objectif était de sécuriser un itinéraire pour les forces alliées. Cependant, alors que les troupes progressaient dans une gorge encaissée, elles tombèrent dans une embuscade déclenchée par des insurgés talibans en position surplombante. Les attaques vinrent de plusieurs points, utilisant des tirs croisés pour piéger les soldats dans un espace confiné.

Une lutte acharnée et des renforts tardifs

Pendant plusieurs heures, les soldats français, pris sous un feu nourri, tentèrent de se dégager. Malgré leur entraînement et leur équipement, ils furent durement touchés par la précision et l’organisation des tirs ennemis. Les talibans utilisèrent le relief pour maximiser leur avantage tactique, rendant toute riposte difficile. Des renforts aériens furent mobilisés, mais l’accès limité et le temps de réaction prolongé retardèrent leur intervention. Les hélicoptères et avions de chasse finirent par disperser les assaillants, mais les pertes humaines furent lourdes.

Les leçons d’Uzbin

L’embuscade d’Uzbin souligna l’importance capitale de la préparation dans un environnement montagneux. La connaissance du terrain, la vigilance constante et la capacité à répondre rapidement aux attaques surprises s’imposèrent comme des priorités. Cette tragédie mit également en lumière la nécessité d’une meilleure coordination interarmes, notamment pour les appuis aériens, et d’une coopération renforcée avec les troupes locales. Enfin, cet événement marqua un tournant dans la perception de l’opinion publique française sur l’engagement en Afghanistan. Il rappela que, même dans des opérations apparemment routinières, les montagnes peuvent devenir le théâtre de batailles intenses et coûteuses.

La bataille du Tigharghâr (2013)

La bataille du Tigharghâr, survenue en mars 2013 dans le massif montagneux de l’Adrar des Ifoghas, au Mali, marque une étape cruciale de l’opération Serval. Cet affrontement décisif oppose les forces françaises, appuyées par des soldats tchadiens, à des groupes djihadistes retranchés dans cette région difficile d’accès. Cette victoire stratégique met en lumière la maîtrise des troupes françaises dans un environnement hostile et accidenté.

Un bastion djihadiste dans l’Adrar des Ifoghas

L’Adrar des Ifoghas, avec ses reliefs escarpés et ses innombrables grottes, constitue un terrain idéal pour les groupes djihadistes. Après leur déroute dans les villes du nord du Mali (Tombouctou, Gao et Kidal), les combattants liés à Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) et à Ansar Dine se replient dans ce massif, emportant otages et arsenaux. Ils transforment ces montagnes en un sanctuaire imprenable, protégé par des pièges, des mines et une connaissance approfondie du terrain.

L’assaut franco-tchadien

Début février 2013, les forces françaises, appuyées par les troupes tchadiennes, lancent une opération pour déloger les djihadistes. Après plusieurs semaines de reconnaissance et de frappes aériennes, l’assaut final est donné en mars. Les combats, violents et prolongés, se déroulent dans des conditions extrêmes, mêlant chaleur accablante, terrains accidentés et résistance acharnée des insurgés.

Malgré ces difficultés, les forces alliées parviennent à neutraliser des centaines de djihadistes. Les troupes tchadiennes subissent cependant de lourdes pertes, perdant une trentaine d’hommes, dont leur commandant, Abdel Aziz Hassane Adam, tué lors d’un affrontement. Les forces françaises, bien équipées et bénéficiant de moyens technologiques avancés, renforcent leur position dominante, notamment grâce à l’appui des hélicoptères Tigre et des drones de surveillance.

Un succès stratégique majeur

La bataille du Tigharghâr met un terme au principal bastion djihadiste dans le nord du Mali. Les alliés capturent d’importants stocks d’armes et de munitions, ainsi que des documents stratégiques révélant les réseaux djihadistes opérant dans la région. Ce succès permet de sécuriser partiellement la zone et d’affaiblir durablement la capacité opérationnelle des groupes insurgés.

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