Réunion de la Ligue arabe : un sommet trop haut pour l’Algérie ?

28 novembre 2022

Temps de lecture : 6 minutes
Photo : (221102) -- ALGIERS, Nov. 2, 2022 (Xinhua) -- -//CHINENOUVELLE_CnyztpE007022_20221103_PEPFN0A001/Credit:CHINE NOUVELLE/SIPA/2211031026/Credit:CHINE NOUVELLE/SIPA/2211031038
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Réunion de la Ligue arabe : un sommet trop haut pour l’Algérie ?

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Depuis mars 2019 à Tunis, les États de la Ligue arabe ne s’étaient pas réunis du fait de la pandémie de Covid. Les 1er et 2 novembre dernier, le 31e sommet de la Ligue arabe se tenait à Alger afin de réunir les membres de l’organisation. Enjeu pour le monde arabe donc, mais également pour l’Algérie qui, bénéficiant pourtant d’une position confortable compte tenu de la crise du gaz, n’a pas su se donner les moyens de faire de cette réunion un véritable sommet.

En cause : les dissensions au sein de la Ligue arabe, mais aussi les relations houleuses avec le Maroc qui ont contribué à aggraver une situation déjà sensible. Les sujets ont été survolés, et Alger piétine.

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Les dissensions de la Ligue arabe

Fondée en 1945 au Caire par six pays, la Ligue arabe compte aujourd’hui vingt-deux pays adhérents. Elle vise notamment à permettre une étroite collaboration entre ses membres, assortis d’un horizon panarabiste : ce que le parti Baas appelait « une nation arabe avec un message intemporel ». Cet horizon connut une occasion de se concrétiser lorsqu’en 2002, Abdallah ben Abdelaziz Al Saoud, prince d’Arabie Saoudite, posait les bases de l’initiative de paix arabe. Celle-ci devait permettre une paix globale au Moyen-Orient, fondée sur une proposition simple : Israël se retirait de la Palestine et du plateau du Golan, en échange de quoi chaque État membre normalisait ses relations avec l’État hébreu.

Si Israël n’a pas su considérer cette proposition, les pays de la Ligue arabe étaient parvenus à parler d’une seule voix et à faire taire la prévalence de leurs intérêts nationaux. Au profit de la mission qu’ils se donnaient : celle du nationalisme arabe. Mais ce succès diplomatique ne put venir à bout des nombreuses distorsions de La Ligue arabe. Déjà à sa fondation, la Ligue se divisait entre une coalition hachémite et une coalition égypto-saoudienne. La guerre froide lissa ces divisions pour laisser place aux oppositions entre soutiens de l’URSS et soutiens des États-Unis d’Amérique. Aujourd’hui, le souvenir de l’exclusion de la Syrie en 2012 laisse encore des traces, notamment du côté algérien. Sans compter les différences d’approche sur la conduite à tenir vis-à-vis d’Israël, notamment depuis les accords d’Abraham en 2020.

Les enjeux d’un sommet raté

Le premier enjeu de ce sommet était l’entente, la discussion et la coopération entre les nations arabes indépendantes. Les différentes questions à l’ordre des deux jours étaient relativement brûlantes puisqu’il s’agissait d’évoquer la situation politique des pays de la Ligue en crise ( Libye, Liban, Soudan et Yémen), d’étudier les modalités de relance de l’initiative de paix arabe, de planifier une stratégie de sécurité alimentaire dans un contexte de crise des importations des céréales ukrainien et russe, et de prévoir enfin une stratégie de sécurité hydrique face au dérèglement climatique[1]. Sur ce dernier point, des initiatives nationales de grande envergure sont déjà déployées, notamment en Égypte et au Maroc[2]. À noter également que la question des rapports [conflictuels] de l’Iran avec le monde arabe était candidate à l’ordre du jour, et que l’Algérie, pays hôte, proposait un dossier de réforme de Ligue arabe, avec notamment une proposition de secrétariat général tournant.

Les sujets ont été tant bien que mal abordés : la crise libyenne doit se résoudre par « une solution libyo-libyenne », la crise en Syrie est survolée et la Déclaration d’Alger adoptée à l’issue du sommet ne mentionne pas de décision particulière à ce sujet. La question des ingérences étrangères dans la région arabe ne semble pas avoir été particulièrement traitée puisqu’aucun mécanisme à actionner, ou aucune piste, n’est évoqué afin de mettre fin à des crises où se mêle Russie, Turquie, États-Unis et Iran[3].

Le sommet d’Alger n’a donc pas donné satisfaction aux nations arabes ; mais il aurait pu être une date inédite. Après l’épidémie de Covid, dans un contexte géopolitique chargé, Alger avait matière à organiser un sommet constructif. Les États membres de la Ligue connaissent tous des défis communs, aux premiers rangs desquels la lutte contre le fanatisme religieux, la sécurité alimentaire et la sécurité hydrique, mais aussi la conjoncture créée par les nouvelles périodes électorales aux États-Unis et en Israël.

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Les soins apportés aux préparatifs du décorum ne laissaient pas présager la cacophonie qui allait suivre. D’autant que l’Algérie pouvait s’enorgueillir d’un certain attrait alors que son gaz est fort convoité depuis le début de la guerre en Ukraine. Que s’est-il alors passé ? Car les grandes dissensions internes, et notamment la question de la posture vis-à-vis d’Israël ou bien de la Syrie, n’expliquent pas seules l’échec du sommet. Moins médiatique, la relation tendue entre le Maroc et l’Algérie a également joué un rôle délétère.

Cette rivalité ne date pas d’hier :  on peut la situer aux premières années de la création de l’Algérie. En 1973, alors du côté de l’URSS, Alger soutient et finance la création du Frente Popular de Liberación de Saguía el Hamra y Río de Oro, plus connu sous l’abréviation de Front Polisario, mouvement séparatiste réclamant l’indépendance de toute la partie saharienne du Maroc. Depuis, les lignes n’ont pas bougé sur ce sujet. Pour ne rien simplifier, l’Algérie reproche au Maroc la normalisation de ses relations avec Israël à la suite des accords d’Abraham en 2020, tandis qu’elle se rapprochait considérablement de Téhéran.

Le 3 octobre dernier, Oram Mansour, ministre de l’Intérieur du Front Polisario, affirmait que son organisation serait bientôt équipée de drones armés pour combattre les Forces armées royales (FAR) du Maroc[4]. Nasser Bourita, ministre des Affaires étrangères du Royaume du Maroc pointait alors la responsabilité de l’Iran, comme étant le « sponsor officiel du séparatisme et des groupes terroristes dans plusieurs pays arabes »[5]. Un mois avant la tenue du sommet d’Alger, cet évènement faisait déjà presque déborder le vase.

Quelques jours en amont du sommet, des réunions préparatoires se tenaient entre les délégations des différents pays. Elles servent à préparer les différentes questions de l’ordre du jour [du sommet] et sont le théâtre des expressions diplomatiques dont la symbolique est le principal langage. À ce titre, dans un contexte déjà tendu, la délégation marocaine a fait l’objet de multiples provocations de la part de l’Algérie[6]. La goutte de trop pour le roi du Maroc, Mohammed VI, qui avait pourtant laisser à penser qu’il assisterait bien au Sommet d’Alger[7]. Par conséquent, il prit la décision, la veille du Sommet, de ne pas se rendre à Alger[8]. Auparavant, l’Arabie Saoudite, la Jordanie, le Koweït, Oman, les Émirats arabes unis, et Bahreïn avaient aussi pris la décision de ne pas se rendre à Alger : excédés par les positions diplomatiques de l’Algérie depuis 18 mois (Syrie, Israël, Iran et Polisario). Aucun des dirigeants de ces pays essentiels, notamment Ryad, Abu Dhabi et Amman, n’ont tenu à participer à ce sommet. Dans ces conditions, ce dernier perdait automatiquement toute substance.

Cet « incident » diplomatique vient attiser encore les tensions entre le Maroc et l’Algérie. Par extension l’échec du sommet laisse peu de place à une politique de paix et de prospérité au Maghreb comme dans le monde arabe. In fine, Alger en ressort avec une vision dégradée dans le monde arabe. Alors qu’elle avait toutes les cartes en main pour en ressortir plus influente.

La diplomatie algérienne controversée

Ces dernières années, la diplomatie algérienne a créé plusieurs polémiques dans le monde arabe qui ont contribué à l’isoler progressivement. En cause ses relations avec l’Iran, sa proximité avec la Russie dans le Sahel ou son positionnement sur le dossier Lybien. Sur ce dernier, le soutient ouvert d’Alger au régime de Tripoli[9], qui s’était opposé aux accords de paix signés le 17 décembre 2015 à Skhirat au Maroc, détonnait clairement de la position arabe. Une position anti-marocaine de principe ou bien un non-alignement assumé avec le monde arabe ? Il n’en demeure pas moins que la déclaration d’Alger a consacré ce dernier comme cadre général pour la résolution politique de la crise libyenne[10].

En amont du sommet, la volonté d’Alger d’inclure la Syrie au Sommet d’Alger fut particulièrement mal perçue chez beaucoup de pays membres, dont l’Arabie Saoudite, les Émirats arabes unis et le Maroc. En outre sa proposition de mettre en place un secrétariat général tournant au sein de la Ligue arabe fut aussi un camouflet adressé à l’Égypte, qui tient actuellement le poste de Secrétaire général de la Ligue arabe, en la personne d’Ahmed Aboul Gheit. Une proposition d’autant plus malvenue pour Le Caire que les relations entre les deux pays sont mises à mal par le rapprochement, ces derniers mois, entre l’Algérie et l’Éthiopie. Une donne qui place aussi Alger en porte-à-faux avec le Soudan, également membre de la Ligue arabe.

Karthoum et Le Caire se trouvent dans une situation extrêmement tendue avec Addis-Abeba au sujet du grand barrage de la Renaissance, sur le Nil Bleu, qui passe par l’Éthiopie. Le Nil bleu fournit 59% du débit du Nil et plus de 86% de l’eau consommée en Égypte provient de l’Éthiopie[11]. Alors que le Maroc soutenait ouvertement l’Égypte, et que l’ONU s’est vue saisie par les pays traversés par le Nil, l’Algérie préférait accueillir, en août 2022, le Premier ministre éthiopien, Abiy Ahmed Ali, qui fut reçu par le président algérien Abdelmadjid Tebboune. À noter que l’Égypte s’est tout de même déplacée au Sommet d’Alger, malgré les tensions entre les deux pays.

Le rapprochement d’Alger et de Téhéran[12] est aussi particulièrement mal vu dans le monde arabe et en particulier dans les pays du Golfe. Aux premiers rangs desquels l’Arabie Saoudite et les Émirats arabes Unis qui accusent l’Iran d’ingérence dans les affaires arabes. De facto les positionnements diplomatiques de l’Algérie sont souvent en porte-à-faux avec les objectifs de la Ligue arabe. La combinaison avec des positions anti-marocaines quasi systématiques, et des incidents protocolaires, n’ont pas contribué à rassurer les pays arabes sur la fiabilité d’Alger. Une posture d’autant plus surprenante de la part de cette dernière qui souhaitait explicitement se servir de ce sommet comme tremplin de son retour diplomatique après une décennie d’isolement relatif. In fine, avec l’échec de ce sommet, c’est la politique arabe en règle générale qui reste au point mort.

« Lorsque les sentiments foisonnent, la pensée est vide : tantôt intellectuelle et stérile, tantôt active et irréfléchie », ces mots de Michel Aflak résonnaient dans l’amphithéâtre de l’Université syrienne en 1943 alors qu’il louait l’arabisme et la mémoire du Prophète arabe[13], bien loin de l’agitation du sommet d’Alger.

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[1] https://www.arabsummit2022.dz/summit_agenda/page/1

[2] https://www.achdartleflaha.ma/

[3] https://www.rfi.fr/fr/afrique/20221103-sommet-de-la-ligue-arabe-au-del%C3%A0-des-divergences-un-principe-de-non-alignement-adopt%C3%A9

[4] https://www.facebook.com/watch/?v=689490262035573

https://mondafrique.com/des-drones-iraniens-en-soutien-au-polisario/

[5] https://www.youtube.com/watch?v=6By1H6p8xIA

https://fr.hespress.com/282918-nasser-bourita-liran-est-actuellement-le-sponsor-officiel-du-separatisme-et-du-terrorisme-dans-notre-region-arabe.html

[6] https://fr.hespress.com/286814-ligue-arabe-reunion-preparatoire-des-mae-la-delegation-marocaine-rejette-une-carte-du-maroc-sans-son-sahara.html

[7] https://www.jeuneafrique.com/1376372/politique/exclusif-maroc-mohammed-vi-assistera-au-sommet-arabe-dalger/

[8] https://www.jeuneafrique.com/1389584/politique/maroc-algerie-mohammed-vi-annule-sa-participation-au-sommet-de-la-ligue-arabe/

[9] https://www.elwatan.com/edition/international/alger-reaffirme-son-soutien-a-tripoli-30-05-2021

[10] https://fr.hespress.com/287388-lessentiel-de-la-declaration-du-sommet-arabe-dalger-vu-par-un-specialiste.html

[11] https://www.lemonde.fr/afrique/article/2013/06/19/guerre-des-eaux-sur-le-cours-du-nil_3432232_3212.html

[12] http://lecourrier-dalgerie.com/algerie-iran-tebboune-et-raissi-actent-le-rapprochement/

[13] http://albaath.online.fr/Francais/COMMEMORATION_DU_PROPHETE_ARABE.htm

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Ronan Wanlin

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