Pour la première fois, une femme pourrait diriger le Japon. Un tournant politique qui est aussi un tournant idéologique.
Un article de Synne Norseth paru dans Geopolitika. Traduction de Conflits
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Sanae Takaichi, femme politique de 64 ans connue pour ses positions résolument conservatrices, a été élue le 4 octobre 2025 à la tête du Parti libéral-démocrate (PLD), actuellement au pouvoir au Japon – la plaçant ainsi sur la voie pour devenir la première femme Première ministre du pays. Cette élection survient après une période de turbulences pour le PLD, marqué par deux défaites électorales consécutives sous l’ancien Premier ministre Shigeru Ishiba, qui a démissionné le mois dernier. Takaichi a remporté la direction du parti après avoir battu son rival modéré Shinjiro Koizumi, mais son accession au poste de cheffe du gouvernement reste encore incertaine.
Le PLD a désormais perdu sa majorité traditionnelle et ne dispose plus d’aucune majorité parlementaire. Le 10 octobre, son partenaire de coalition, le parti Komeito, a annoncé la fin de leur alliance gouvernementale après vingt-six ans de collaboration et a déclaré qu’il ne soutiendrait pas Takaichi pour le poste de Première ministre. Komeito a exprimé ses inquiétudes face à l’incapacité du PLD à assumer la responsabilité d’un scandale persistant de financement politique, qui a également contribué à ses revers électoraux. Le PLD se retrouve donc sans majorité, tandis que les partis d’opposition explorent diverses options pour proposer d’autres candidats à la primature – rendant le chemin de Takaichi vers le pouvoir très incertain.
Organisation politique
Immédiatement après la victoire de Takaichi, Komeito a exprimé trois préoccupations principales : la gestion par le PLD de ses scandales financiers, l’attitude de Takaichi envers les étrangers, et sa vision droitière de l’histoire – notamment sa tendance à minimiser le rôle du Japon pendant la guerre et ses visites passées au controversé sanctuaire Yasukuni. Bien que Takaichi et le dirigeant de Komeito, Tetsuo Saitō, aient réussi à aplanir certaines divergences, ils n’ont pas trouvé d’accord sur la question du financement politique. Le point de discorde central concernait la réintégration de Hagiuda Kōichi, suspendu un an des fonctions dirigeantes du parti pour son implication dans un scandale de financement de campagne.
À la Chambre basse, la coalition PLD–Komeito détenait auparavant 221 des 465 sièges, alors qu’une majorité nécessite 233 sièges. Le PLD ne conserve à présent que 196 sièges. Privée du soutien de son ancien partenaire, Takaichi devra probablement nouer de nouvelles alliances avec d’autres partis – notamment l’opposition de centre droit – pour garantir une majorité. Un vote pour désigner le Premier ministre est attendu à la mi-octobre, mais son issue demeure très incertaine.
Le conservatisme social de Takaichi
Le résultat de la campagne du PLD représente une forme de revanche pour Takaichi, qui avait perdu l’an dernier l’élection interne face au Premier ministre sortant Shigeru Ishiba. Sa victoire marque un tournant pour l’aile droite du PLD, après une année sous la direction du plus modéré Ishiba. Contrairement à nombre de ses rivaux (comme Koizumi, fils de l’ancien Premier ministre Junichiro Koizumi), issus de grandes dynasties politiques, Takaichi vient de la préfecture de Nara – fille d’une policière et d’un ouvrier – une origine qui la distingue nettement de l’élite politique japonaise traditionnelle.
Élue pour la première fois à la Chambre basse en 1993 comme indépendante, elle a rejoint le PLD trois ans plus tard. Tout au long de sa carrière, elle a entretenu une relation étroite avec le défunt Premier ministre Shinzo Abe, assassiné en 2022. Sous Abe, Takaichi a occupé plusieurs postes clés, dont ceux de ministre de l’Intérieur et des Communications, ministre des Affaires sociales et présidente du Conseil de recherche politique du PLD. Abe et Takaichi ont tous deux été élus en 1993 et partageaient une vision nationaliste, axée sur le renforcement de la défense et la promotion des valeurs traditionnelles. Takaichi s’était déjà présentée deux fois à la direction du PLD – en 2021 et 2024.
À bien des égards, Takaichi apparaît comme l’héritière idéologique de Shinzo Abe. Elle s’inscrit dans la mouvance conservatrice révisionniste d’après-guerre, souvent associée au groupe Nippon Kaigi, connu pour son patriotisme et sa volonté de minimiser les crimes du Japon en temps de guerre. Tout au long de sa carrière, Takaichi a défendu des normes sociales traditionnelles et s’est opposée à toute libéralisation sociale. Elle a publiquement rejeté la légalisation du mariage homosexuel et la proposition d’autoriser les couples mariés à porter des noms de famille différents (fūfubessei), arguant que de telles réformes risqueraient de « détruire la structure sociale fondée sur la famille ». De même, elle a insisté pour que seuls les héritiers masculins puissent accéder au trône du Chrysanthème, qualifiant la lignée impériale de « trésor précieux unique au Japon ».
L’accession de Takaichi à la tête du PLD constitue un moment historique pour la participation des femmes à la vie politique japonaise, bien que son programme demeure profondément conservateur. Durant sa campagne, elle a mis l’accent sur des mesures en faveur des familles – telles que des déductions fiscales pour la garde d’enfants et des incitations aux entreprises offrant des services de crèches. Des sondages récents montrent un soutien croissant à la présence de femmes dans des postes de direction au Japon, qu’il s’agisse de la politique, des entreprises ou des conseils d’administration. Sous le gouvernement d’Abe, Takaichi avait contribué à la mise en œuvre de mesures pour les femmes actives, notamment la loi de 2015 sur la promotion de la participation féminine, obligeant les entreprises à publier leurs données de genre et à fixer des objectifs d’inclusion. L’élargissement des services de garde et la flexibilité du travail ont accompagné une hausse de sept points du taux d’activité féminine au cours de la dernière décennie.
Takaichi a souvent exprimé son admiration pour Margaret Thatcher et a été comparée à l’ancienne Première ministre britannique – certains la décrivant comme une femme « qui agit comme un homme ». En 2021, elle avait expliqué que se présenter à la direction du PLD revenait à être « une fourmi défiant un éléphant ». Elle avait ajouté que lorsqu’elle s’était présentée pour la première fois en 1993, « être une femme était un désavantage ». Takaichi a promis de nommer davantage de femmes et a même proposé d’instaurer un équilibre hommes-femmes « à la nordique » au sein de son gouvernement et de la direction du PLD. Le gouvernement d’Ishiba ne comptait que deux femmes, et celles-ci ne représentent que 16 % des députés à la Chambre basse du Japon. Le pays reste néanmoins classé 118ᵉ sur 146 dans l’indice de parité du Forum économique mondial (WEF), notamment pour ce qui concerne l’autonomisation politique.
La nouvelle dirigeante élue du Parti libéral-démocrate (PLD) du Japon, Sanae Takaichi, s’incline devant le Premier ministre Shigeru Ishiba après avoir remporté l’élection à la direction du PLD à Tokyo, au Japon, le samedi 4 octobre 2025. (Kim Kyung-Hoon/Pool Photo via AP)
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Immigration et montée du Sanseito
L’ascension du Sanseito en tant qu’acteur politique influent – passé d’un parti marginal à environ quatorze sièges remportés lors de l’élection à la Chambre haute en juillet 2025 – a placé le populisme « Les Japonais d’abord » au premier plan. La plateforme du parti combine un contrôle strict de l’immigration, des baisses d’impôts et un nationalisme affirmé, attirant de nombreux électeurs inquiets face à la stagnation économique, à la baisse du taux de natalité, à la hausse des prix et aux changements sociaux. La politique de Takaichi recoupe plusieurs de ces thèmes – fierté nationale, politique migratoire plus stricte et plans de relance économique – lui donnant l’occasion de regagner les électeurs déçus. Takaichi se trouve à un carrefour : elle peut canaliser la frustration du Sanseito vers un bloc conservateur plus stable grâce à des réformes pragmatiques et à des mesures sociales, ou risquer d’accentuer les tendances plus extrêmes du mouvement pour conserver son électorat. Cette dernière option serait un pari risqué, susceptible de compliquer de futures coalitions et d’accroître les tensions internes.
Pendant la campagne, Takaichi a exploité une vague de scepticisme à l’égard de l’immigration au Japon. Elle a proposé la création d’un centre de commandement pour traiter les questions liées aux ressortissants étrangers. Dans un discours remarqué, elle a ouvertement réagi à un incident où des touristes étrangers auraient frappé un cerf sacré à Nara – un événement plus tard remis en question. L’accent mis par Takaichi sur l’immigration – sujet ayant occupé les huit premières minutes d’un discours de campagne de quinze minutes – a été interprété comme une tentative de reconquérir les électeurs ayant quitté le PLD lors du dernier scrutin. Pour l’heure, elle a quelque peu modéré sa rhétorique – probablement en raison de l’absence de majorité – mais sa promesse de contrôler les travailleurs et touristes étrangers jugés « sans règles » envoie un signal clair : le scepticisme migratoire occupe une place centrale dans son programme.
L’Abenomics
Takaichi adopte largement la ligne économique de Shinzo Abe, fondée sur une politique budgétaire et monétaire expansive soutenue par des réformes structurelles. La politique dite d’Abenomics, introduite sous Abe, visait à sortir le Japon d’une déflation chronique et à relancer la croissance grâce à une action coordonnée entre le gouvernement et la Banque du Japon (BOJ). Elle combinait d’importants programmes de dépenses publiques à une pression pour réformer les entreprises et accroître la participation au travail, et demeure encore aujourd’hui la référence principale de la stratégie de croissance de Tokyo.
Takaichi se présente comme une dirigeante pro-industrie orientée vers la croissance, cherchant à stimuler la demande intérieure avec un soutien de l’État aux secteurs stratégiques. Elle a proposé un plan de relance injectant des fonds publics dans l’intelligence artificielle, les semi-conducteurs, l’énergie propre, les infrastructures et d’autres industries de haute technologie, tout en offrant des avantages fiscaux aux ménages et aux entreprises – par exemple des déductions pour la garde d’enfants et des personnes âgées, ainsi que des incitations pour les entreprises qui développent des structures de garde internes. La réalité économique l’oblige toutefois à modérer son discours : les partis d’opposition exercent actuellement la plus grande influence sur le budget national, et Takaichi doit équilibrer ses promesses de relance avec le niveau déjà élevé de la dette publique. Elle a ainsi atténué ses appels à de nouvelles baisses de taux d’intérêt, préférant une combinaison de réductions d’impôts, d’incitations à la hausse des salaires et d’investissements dans la technologie et les infrastructures.
La plateforme politique de Takaichi reste favorable à la libéralisation du commerce, y compris à l’élargissement de la participation du Japon au CPTPP (Accord de partenariat transpacifique global et progressiste) et au partenariat économique avec l’Union européenne (Accord de partenariat économique UE–Japon). Elle entend poursuivre l’accord d’investissement et de commerce négocié par Ishiba avec Trump – réduisant les droits de douane américains en échange d’investissements japonais – tout en suggérant que certaines clauses pourraient être renégociées si elles nuisent aux intérêts du Japon, signalant peut-être une approche plus ferme en matière de politique commerciale.
Cette orientation a déjà influencé les marchés : le yen japonais s’est affaibli, tandis que les taux obligataires ont réagi à la perspective d’un nouvel assouplissement budgétaire. La poursuite de cette politique pourrait accroître la dette publique et accentuer la tension entre la BOJ et le gouvernement. Takaichi a publiquement exhorté la BOJ à aligner sa politique sur les objectifs de croissance du gouvernement et a mis en garde contre un relèvement prématuré des taux. Dans l’ensemble, Takaichi peut être considérée comme une partisane d’une continuation dirigée par l’État de l’Abenomics, avec un accent renforcé sur les investissements industriels, sécuritaires et sociaux. Mais les compromis – déficit accru, réactions des marchés et contraintes parlementaires (absence de majorité) – mettront à l’épreuve la faisabilité de son programme.
Le retour du Japon sur la scène mondiale
Takaichi a fait de la politique de défense un pilier central de son programme. Elle soutient une augmentation du budget militaire japonais à 2 % du produit intérieur brut (PIB) d’ici 2027 et prône une révision de la constitution pacifiste afin de légaliser pleinement la défense collective. Son approche prolonge la stratégie de sécurité de Shinzo Abe : affiner la doctrine stratégique du Japon, renforcer l’alliance nippo-américaine et approfondir la coopération avec des partenaires tels que la Corée du Sud et Taïwan. Concrètement, cela pourrait se traduire par une plus grande interopérabilité via des exercices conjoints, un partage accru d’informations et une coordination renforcée dans le cadre de structures telles que le QUAD.
Bien que Takaichi se présente comme une candidate du changement – avec pour slogan de « transformer les inquiétudes du peuple […] en espoir » – ses propositions demeurent solidement ancrées dans le conservatisme. Certains observateurs ont comparé son style à la politique « America First » de Donald Trump. Dans le même temps, ses marges de manœuvre restent limitées : avec un PLD fragilisé, les mesures les plus radicales seront probablement tempérées par les négociations de coalition. La position affaiblie du parti au parlement rend toute tentative de révision constitutionnelle ou d’augmentation agressive des dépenses militaires dépendante de compromis. Néanmoins, l’arrivée de Takaichi au premier plan illustre un changement durable dans la politique japonaise, où la sécurité nationale, la dissuasion et l’identité nationale occupent désormais une place centrale dans la vision du parti au pouvoir.
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Les États-Unis et le partenariat stratégique nippo-américain
La politique étrangère de Takaichi commence et se termine avec les États-Unis. Elle a longtemps salué l’alliance nippo-américaine comme le fondement de la stabilité du Japon. Sa proximité idéologique avec l’ancien Premier ministre Shinzo Abe – qui avait, comme on le sait, investi un capital politique considérable pour renforcer les liens tant avec le président Obama qu’avec Donald Trump – suggère une continuité plutôt qu’une rupture. Les décideurs américains ont accueilli son élection avec soulagement ; l’ambassadeur des États-Unis à Tokyo l’a félicitée en déclarant qu’il se réjouissait de « travailler avec elle pour renforcer et élargir le partenariat sur tous les fronts ».
Le sommet prévu à la fin du mois d’octobre devrait confirmer les engagements de défense tout en étendant la coopération dans les domaines des semi-conducteurs, de la technologie spatiale et de la cybersécurité. D’autres observateurs soulignent toutefois que son nationalisme économique marqué – conjugué au retour de la doctrine « America First » de Trump – pourrait raviver des tensions concernant l’accès aux marchés et la répartition des coûts. Néanmoins, les deux dirigeants partagent un même objectif : contenir la montée en puissance de la Chine et préserver la suprématie technologique du tandem États-Unis–Japon. Pour l’instant, l’alliance semble se renforcer, même si cela ne garantit pas une coopération sans heurts.
Le Japon, la Chine et Taïwan : un équilibre délicat
La première réaction de Pékin à l’élection de Sanae Takaichi a été mesurée. Le ministère chinois des Affaires étrangères a décrit le scrutin du PLD comme une affaire intérieure japonaise, tout en exhortant Tokyo à « respecter ses engagements » sur des questions sensibles telles que l’histoire de la guerre et Taïwan. Cette déclaration fait écho au communiqué conjoint de 1972, dans lequel le Japon affirmait « comprendre et respecter pleinement » la position de la Chine selon laquelle Taïwan constitue une partie inaliénable de son territoire. Derrière cette réserve diplomatique, l’inquiétude est palpable. Dans les médias et parmi les analystes chinois, on redoute les tendances nationalistes de Takaichi, notamment son soutien au renforcement de la coopération sécuritaire avec Taïwan.
Takaichi a à plusieurs reprises plaidé pour un resserrement de la coopération militaire avec Taïwan, présentant la défense de l’île comme indissociable de la sécurité du Japon. Quelques heures après sa victoire, la présidente taïwanaise Lai Ching-te l’a félicitée en la qualifiant d’« amie fidèle de Taïwan ». Dans la lignée de l’héritage politique d’Abe, Takaichi a évoqué l’idée d’une « quasi-alliance de sécurité » entre le Japon, Taïwan, l’Australie, l’Inde, les Philippines et plusieurs pays européens. Parallèlement, elle a défendu un renforcement de la coordination nippo-taïwanaise en matière de chaînes d’approvisionnement et de technologies de défense. Pékin, de son côté, a déjà averti Tokyo de ne pas « intervenir dans les affaires intérieures de la Chine », suggérant que tout geste symbolique – comme des exercices conjoints ou une visite ministérielle – pourrait provoquer une réaction virulente.
Les positions nationalistes de Takaichi sur l’histoire représentent également une source potentielle de friction. Elle a par le passé remis en question certaines responsabilités de guerre du Japon et effectué des offrandes au sanctuaire Yasukuni, où sont honorés des criminels de guerre – des gestes perçus comme profondément offensants par Pékin et Séoul. Bien qu’elle ait affirmé qu’une visite au sanctuaire « ne devrait jamais devenir une question diplomatique », son ambiguïté alimente l’incertitude. Takaichi ne prendra probablement pas de mesures ouvertement provocatrices à court terme, mais sa rhétorique pourrait malgré tout fragiliser la stabilité en Asie de l’Est. En résumé, la politique chinoise de Tokyo sous Takaichi pourrait rester stable dans la forme, mais plus tranchante dans le ton.
La Corée du Sud : nationalisme et réalisme politique
Les relations avec Séoul s’annoncent particulièrement sensibles. Le profil droitier de Takaichi – marqué par ses visites au sanctuaire Yasukuni et son scepticisme public à l’égard des demandes coréennes d’indemnisation de guerre – suscite l’inquiétude en Corée du Sud. Elle a remis en cause certains récits largement admis sur les « femmes de réconfort », euphémisme désignant les milliers de femmes, principalement coréennes, réduites à l’esclavage sexuel pendant la Seconde Guerre mondiale. Elle a également réaffirmé à plusieurs reprises la souveraineté du Japon sur les îles contestées de Liancourt – connues sous le nom de Takeshima au Japon et de Dokdo en Corée du Sud. Takaichi a encouragé les ministres japonais à participer aux cérémonies annuelles du « Takeshima Day » et déclaré qu’il n’était « pas nécessaire d’être prudent » lorsqu’il s’agit de défendre les revendications territoriales du Japon. De telles positions pourraient fragiliser davantage une relation déjà délicate entre les deux pays.
Takaichi a toutefois montré des signes de retenue. Interrogée sur une éventuelle visite au sanctuaire Yasukuni en tant que Première ministre, elle a répondu qu’elle agirait « de manière appropriée », et la presse japonaise suggère qu’elle pourrait s’abstenir d’y assister aux prochaines cérémonies – sans pour autant exclure une visite future. Les réalités politiques – notamment la perte de majorité après le départ du Komeito – ainsi que l’importance persistante des initiatives trilatérales de sécurité avec les États-Unis devraient tempérer ses impulsions révisionnistes. Le pragmatisme milite également pour une diplomatie prudente. Le président sud-coréen Lee Jae Myung a promis de maintenir une « dynamique positive » dans les relations bilatérales, et une rencontre prévue entre Lee et Takaichi lors du sommet de l’APEC fin octobre souligne la poursuite de la coopération sécuritaire. Des commentateurs sud-coréens estiment que Takaichi « comprend la valeur stratégique » du partenariat entre la Corée, les États-Unis et le Japon, et qu’elle évitera délibérément de provoquer une rupture sur des questions historiques. Néanmoins, ses positions nationalistes, si elles sont exprimées trop ouvertement, resteront une source latente de tension susceptible de compliquer la coopération économique, sécuritaire et diplomatique dans la région.
Conclusion
Le passage à un gouvernement dirigé par Takaichi pourrait faire basculer nettement la politique japonaise vers la droite, avec des conséquences majeures tant au niveau national que régional. Les marchés ont déjà réagi : après l’annonce du départ du Komeito, le yen s’est renforcé tandis que les indices boursiers ont grimpé, portés par les attentes d’une politique budgétaire expansionniste. Mais la fragile répartition des forces impose des limites claires à la mise en œuvre de ses ambitions. La majorité du PLD reste ténue, et sans partenaires de coalition, de nombreuses propositions – notamment celles impliquant un creusement du déficit – devront être retravaillées en commissions ou lors des négociations politiques. Takaichi aurait pris contact avec le Parti démocrate constitutionnel (CDPJ) et le Parti de l’innovation du Japon, mais les deux formations hésitent à rejoindre une coalition. Même les partis d’extrême droite se tiennent pour l’instant à distance, espérant élargir leur base électorale ou remplacer le PLD à terme.
Sur le plan régional, Tokyo doit trouver un équilibre délicat. Takaichi entre en fonction à un moment marqué par un affaiblissement de l’influence américaine, une assurance croissante de la Chine et des relations historiquement sensibles avec la Corée du Sud. Ses premiers échanges diplomatiques – notamment avec les dirigeants américain et coréen – donneront le ton sur la manière dont son gouvernement compte relever ces défis. L’arrivée de Takaichi ne représente pas une rupture, mais plutôt une résurgence du courant conservateur existant ; toute modération sur les questions controversées sera sans doute tactique, dictée par les impératifs de coalition et les réalités internationales plutôt que par un changement idéologique. En résumé, si elle est officiellement investie, la période Takaichi promet un virage conservateur affirmé. Sa politique mêle des mesures économiques de relance ambitieuses, un traditionalisme social, un renforcement de la coopération de défense et des liens resserrés avec les États-Unis, tout en adoptant une attitude plus offensive vis-à-vis des rivaux régionaux. La manière dont elle parviendra à équilibrer ces priorités – sous la pression des électeurs, de l’opposition et de ses partenaires de coalition – déterminera largement l’évolution de l’Asie du Nord-Est dans les années à venir.
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