L’attitude actuelle de la France vis-à-vis de la Chine se durcit de façon très visible. Ce « Chine-bashing » économique, s’il se justifie à bien des égards, pourrait se retourner contre nos intérêts commerciaux et modifier de manière profonde nos rapports avec la deuxième puissance mondiale. Est-on prêts à en payer le prix ?
L’actualité récente nous offre un aperçu, pour ne pas dire un avant-goût, de ce à quoi la France pourrait s’attendre, en matière de représailles commerciales, si elle persévérait dans sa politique hostile à l’encontre de la Chine. Droits de douane, quotas, restrictions : l’arsenal à la disposition de l’Empire du Milieu est important, et Pékin ne se privera pas d’y puiser pour riposter.
Il suffit pour s’en convaincre de prendre l’exemple des droits antidumping imposés par Pékin sur le cognac et l’armagnac européens : depuis le 5 juillet 2025, la Chine applique des taxes allant jusqu’à 34,9 % sur ces eaux-de-vie provenant de l’UE. Certains géants français, comme LVMH, Rémy Cointreau ou Pernod-Ricard, ont négocié des engagements de prix minimum pour échapper à ces droits, mais les petits producteurs sont plus lourdement frappés. Ces mesures ont déjà eu des effets dramatiques : baisse des exportations, risques sur l’emploi, remise en cause d’investissements dans la filière, etc.
En guise de rétorsion, la France semble vouloir prendre des mesures coercitives sur d’autres fronts, dans une logique assumée d’escalade. Elle menace ainsi de fermeture provisoire la marketplace chinoise Shein, après la découverte de produits illégaux, dont des « poupées sexuelles » il est vrai parfaitement scandaleuses. Le tribunal judiciaire de Paris doit se prononcer le 26 novembre sur la fermeture pendant trois mois de la plateforme.
Escalade économique
Si les ministères de l’Intérieur, du Commerce et de l’Action et des Comptes publics, à l’origine de cette action en justice, obtenaient satisfaction, le signal renvoyé serait reçu 5/5 par Pékin, qui ne manquerait pas d’en prendre ombrage. Le camouflet serait d’autant plus caractérisé que d’autres plateformes, non-chinoises pour trois d’entre elles (Joom, eBay et Wish) ont également fait l’objet de signalements de la part du gouvernement pour des faits équivalents (ventes de poupées pédopornographiques ou d’armes de catégorie A), sans toutefois encourir la même peine.
Ajoutons à cela que l’Assemblée nationale, suivant la ligne européenne, vient d’adopter une taxe sur les petits colis de moins de 150 euros, qui vise en particulier les plateformes chinoises Shein et Temu. Ou encore les droits de douane importants, compris entre 17 % et 35 %, sur les voitures électriques chinoises que l’UE a imposés en 2024. Or, n’oublions pas que les exportations françaises vers la Chine sont importantes dans certains secteurs (agroalimentaire, aéronautique, luxe, chimie, pharmacie). Récemment interrogé sur le sujet, Michel-Edouard Leclerc n’a pas eu de mots assez durs vis-à-vis de cette attitude : « À titre personnel, je trouve ça con [d’attaquer Shein] au moment où Carrefour est en Chine, Galeries Lafayette est en Chine. Tous les commerçants des grandes marques de Bernard Arnault, de (François-Henri) Pinault sont en Chine. Les galeries d’art sont en Chine ».
Michel-Edouard Leclerc n’a pas eu de mots assez durs vis-à-vis de cette attitude : « À titre personnel, je trouve ça con [d’attaquer Shein] au moment où Carrefour est en Chine, Galeries Lafayette est en Chine. Tous les commerçants des grandes marques de Bernard Arnault, de (François-Henri) Pinault sont en Chine. Les galeries d’art sont en Chine ».
Notons par ailleurs que le déficit commercial français vis-à-vis de la Chine, déjà élevé selon les données du Trésor (47 Md€ en 2024), pourrait s’accentuer de manière significative si les autorités françaises persévéraient dans cette voie.
Cette méthode de confrontation, bien que justifiée sur certains points (régulation, conformité aux règles sanitaires, etc.), risque en effet de créer un climat de méfiance avec Pékin. Une crispation loin d’être neutre, quand on sait que de nombreuses industries françaises dépendent de chaînes de valeur mondiales dans lesquelles la Chine occupe une place centrale (électronique, composants technologiques, matières premières stratégiques). Une rétorsion chinoise pourrait interrompre ou rendre plus coûteux l’accès à certains intrants, en particulier les “terres rares” dont elle assure 60 %¨de l’extraction et 90 % du raffinage.
Représailles contre la France
En cas de tensions commerciales sévères, le climat d’investissement pourrait lui aussi se dégrader (risque réglementaire, risque de représailles), ce qui pèserait sur les flux d’IDE France-Chine. En première ligne, les petites et moyennes entreprises exportatrices, les plus vulnérables : elles ont moins de capacité à absorber des chocs, à diversifier leurs marchés ou à financer des stratégies de contournement (logistique, production alternative). Or, ce sont elles qui doivent affronter les vents de la compétition internationale pour se développer.
En durcissant le ton, nous risquons de fragiliser nos filières industrielles d’avenir dans les énergies renouvelables, qui dépendent des terres rares, ou encore dans les télécommunications. Nous pouvons aussi refroidir les investisseurs chinois, et compromettre notre diplomatie économique. Il importe de concilier la légitimité de nos régulations avec une sagesse de confiance. Ce n’est pas en stigmatisant systématiquement la Chine que nous protégerons nos intérêts ; c’est en dialoguant, en adoptant des mesures proportionnées, et en affirmant clairement nos valeurs, que la France peut préserver son avenir à long terme dans un partenariat équilibré. Tout discours de “découplage” ou du moins de “rééquilibrage” des chaînes d’approvisionnement atteint vite ses limites naturelles. Et nous expose à un effet boomerang auquel nous ne sommes pas suffisamment préparés.









