« Sois le meilleur toujours et surpasse tous les autres. » Entretien avec Pascal Charvet sur les Jeux olympiques

12 mai 2024

Temps de lecture : 15 minutes

Photo : Scène de pancrace : un arbitre punit un athlète qui met les doigts dans l'œil de son adversaire. (c) Wikipédia

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« Sois le meilleur toujours et surpasse tous les autres. » Entretien avec Pascal Charvet sur les Jeux olympiques

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S’ils sont restés dans la mémoire collective, les Jeux olympiques de l’époque antique sont loin de l’image qu’ils ont aujourd’hui. Combats sportifs et politiques, les Jeux marquaient un moment essentiel dans la vie des Grecs. Entretien avec Pascal Charvet. 

Helléniste, Inspecteur général de l’Éducation nationale, Pascal Charvet a notamment dirigé chez Bouquins un ouvrage consacré à Pompéi. Avec Annie Collognat, il a assuré une traduction de l’Anabase de Xénophon et vient de publier, toujours avec Annie Collognat, Quand les champions étaient des dieux. Aux origines des Jeux Olympiques (Libretto). 

Propos recueillis par Jean-Baptiste Noé.

Vous publiez, avec Annie Collognat, un ouvrage en format poche consacré aux Jeux olympiques. Celui-ci comprend de superbes illustrations, des cartes et des graphiques, offrant à la fois une histoire des Jeux olympiques ainsi que des extraits des auteurs grecs. Il propose à la fois une perspective historique et une immersion dans les textes. 

Dans l’introduction, vous expliquez que les Jeux dans la Grèce antique ne renvoient pas à la notion de jeu ludique d’aujourd’hui, ni aux ludi latins, mais plutôt à des compétitions, à l’agôn, à la lutte, au combat. C’est là l’aspect fondamental de ces jeux, en particulier des Jeux olympiques, n’est-ce pas ?

Nous mettons en effet l’accent, Annie Collognat et moi-même, sur ce point : les Anciens étaient fort éloignés de notre esprit participatif d’aujourd’hui où la notion de compétition est comme escamotée, et le désir de gagner vu comme une passion honteuse. Pas de « ludiquement correct » chez les Grecs ou les Latins. 

Si la création d’Adam, puis la naissance du Christ ont été distinguées comme le moment fondateur d’une histoire et d’une culture, c’est la date de l’apparition des Jeux Olympiques qui a été choisie par les Grecs pour marquer le commencement de leur calendrier en – 776 : un événement qui inaugure le rassemblement des Hellènes dans des concours précisément dits « panhelléniques », organisés à Olympie, Delphes, Corinthe et Némée. Ils se retrouvaient régulièrement dans ces sanctuaires, non pour en découdre, mais pour offrir leur énergie et leur sueur à d’autres : à leurs dieux, leurs ancêtres, leurs héros, leurs cités. L’important pour eux était de l’emporter dans ces fêtes des athlètes.

Dès le départ, l’enjeu est clair, comme le rappelle Pélée à son fils Achille chez Homère : « Sois le meilleur toujours et surpasse tous les autres. » Cette ardeur combative et ritualisée qui les animait, ils la nommaient agôn. Les Grecs étaient de fervents partisans de l’agôn, de ce que nous appelons l’esprit de compétition. Au départ, l’athlétisme avait en effet partie liée avec la guerre. Ainsi Achille est le « guerrier athlète » par excellence, le demi-dieu aux pieds légers, rapide comme le vent. Ulysse incarne lui la puissance : il pratique la lutte ou le lancer du disque comme un champion bien entraîné. L’esprit de l’athlétisme est donc né par et pour la guerre. Philostrate le disait en ces termes dans son Traité de la Gymnastique : « dans les temps anciens les athlètes faisaient de la guerre un exercice pour la gymnastique et de la gymnastique un exercice pour la guerre ». 

Mais l’esprit de l’athlétisme s’est peu à peu distingué de l’esprit guerrier. Quand Achille court dans un concours sportif, il met sa rapidité prodigieuse d’abord au service d’un rituel religieux. L’esprit qui habite l’athlète est alors davantage celui de l’émulation, du dépassement de soi, que celui du guerrier. Gilles Deleuze et Félix Guattari ont fort bien analysé au début de leur ouvrage Qu’est-ce que la philosophie ?, ce qu’est cet esprit agonistique des Grecs : il s’agit d’une relation amicale aussi bien que combative, constitutive des rapports des Grecs entre eux : rivaux, mais amis, adversaires unis par un mutuel respect. Et ce dans tous les domaines de la vie des Grecs, l’athlétisme, la justice, l’amour. En un mot l’agôn est loin de n’être que pure violence. L’agôn n’est pas à priori hostile au concurrent, car l’enjeu est d’abord de se dépasser soi-même pour surpasser les autres.

Vous mentionnez la rivalité et l’amitié, ce qui rappelle les échanges philosophiques du banquet, où règne également une forme d’agôn, bien que cette fois-ci intellectuel et non physique.

Oui, et je vous remercie de le souligner. Lors des banquets, est présente cette volonté de ne pas ménager l’autre, de se mettre au coude à coude avec lui pour se surpasser intellectuellement dans un respect mutuel. Il y a aussi chez Socrate cette volonté toujours vive de rechercher la vérité sans déni, ainsi qu’un désir profond d’authenticité, qui nous frappe encore aujourd’hui, et ce sur tous les sujets. Chez Lucien de Samosate, la nudité serait une incitation efficace pour les athlètes à donner le meilleur d’eux-mêmes : ils veillent ainsi à se maintenir en forme. 

Pourquoi est-ce que les Jeux ont lieu à Olympie ? Pour quelle raison cette cité fut-elle choisie ?

Plusieurs traditions répondent à cette question. Les Jeux Olympiques seraient l’invention d’un Héraclès de l’Ida, l’un des Dactyles, un homonyme de notre Héraclès fils de Zeus et d’Alcmène. 

Selon d’autres mythes, les Jeux Olympiques auraient été institués par Zeus lui-même. D’autres, et ils sont les plus nombreux, attribuent la création des Jeux Olympiques à notre Héraclès, notre Hercule qui les aurait organisés à Olympie qui se trouve en Élide (au nord-est du Péloponnèse), en l’honneur de Zeus. En effet, Héraclès nettoya les écuries d’Augias, roi de l’Élide, en détournant le fleuve Alphée, et en faisant passer son cours au travers des écuries. Héraclès s’est débarrassé ensuite d’Augias qui ne voulut pas le payer pour son formidable travail. Il crée alors un sanctuaire : il trace l’enceinte de l’Altis (un bois consacré à Zeus et capable de recevoir tous les enfants de la Grèce comme le dit Pindare). Il mesure ensuite la longueur de son pied pour créer la course du premier stadion de l’histoire dont la longueur est de 192 m.24, et qui fait exactement six cents fois la longueur du pied d’Héraclès. L’orateur attique Lysias (Ve – IVe siècles avant J.-C.) évoque ainsi Héraclès dans son Discours Olympique en l’honneur de Zeus : « Parmi les hauts faits pour lesquels il est juste de nous souvenir d’Héraclès, rappelons qu’il fut le premier, par amour pour les Grecs, à les avoir rassemblés à cette fête d’Olympie. Jusqu’à ce moment-là, les cités se regardaient les unes les autres comme des étrangères. Mais après avoir écrasé les tyrans et réprimé la violence, il institua une fête : un concours physique de force, une émulation dans le faste, un déploiement d’intelligence dans le plus beau site de la Grèce (1-2-) ».

Si les Jeux Olympiques sont les plus célèbres, la Grèce antique comptait également d’autres compétitions sportives importantes.

Certes, dans l’Antiquité, rien ne donnait plus de prestige à un athlète que de participer aux Jeux d’Olympie célébrés tous les quatre ans en l’honneur de Zeus. Mais il y avait trois autres grands rassemblements solennels, dits « panhelléniques » qui réunissaient les peuples de la Grèce et même des étrangers, offrant tous à peu près les mêmes compétitions athlétiques : 

  • les Jeux Pythiques (Pythia) à Delphes en l’honneur d’Apollon ;
  • les Jeux Isthmiques (Isthmia) à Corinthe en l’honneur de Poséidon ;
  • les Jeux Néméens (Néméa) à Némée, également en l’honneur de Zeus. 

Ces jeux étaient considérés comme les plus prestigieux, et formaient un parcours idéal pour ceux qui aspiraient à devenir champions olympiques. Les athlètes tentaient souvent le grand chelem, c’est-à-dire de gagner à ces quatre grands concours et l’on nommait périodonique l’athlète qui avait été vainqueur aux quatre.

On n’y récompensait pas les vainqueurs avec de l’argent, mais avec une couronne d’olivier ou de feuillage. On cite souvent cette réponse d’un Spartiate qui avait refusé une importante somme d’argent et avait préféré combattre et gagner même durement. À son interlocuteur qui lui demandait ce que lui avait rapporté sa victoire, il aurait répondu en souriant, comme le rapporte Plutarque dans sa Vie de Lycurgue, 22, 7, 8, : « Quand je marcherai au combat, je serai placé devant le roi de Sparte ». 

À l’origine des jeux, il fallait être relativement aisé pour participer, car cela impliquait de pouvoir se libérer pendant un mois pour concourir par exemple à Olympie sans être rémunéré. Heureusement pour les athlètes, il existait une multitude de jeux athlétiques moins importants qui eux étaient rémunérés et où ils touchaient des récompenses en argent. Par exemple, sous l’Empire gréco-romain, sous les règnes d’empereurs philhellènes comme Hadrien, on peut compter plus de cinq cents jeux athlétiques du même type dans l’Empire gréco-romain. Cette multiplication de compétitions sportives dans les différentes villes, permettait aux athlètes de faire carrière, de gagner de l’argent, et ensuite de participer aux grands jeux, dont les Jeux olympiques.

Cela n’empêcha pas certains d’essayer de tricher en incitant leurs adversaires à se retirer moyennant de l’argent. Ainsi lors de la 98e Olympiade, en -388, un athlète nommé Eupolos de Thessalie devait concourir au pugilat. Avant la compétition, il soudoya les concurrents qu’il devait affronter, à savoir Agénor d’Arcadie, Prytanis de Cyzique et Phormion d’Halicarnasse. Il leur promit une grosse somme d’argent pour qu’ils lui laissent la victoire, mais, une fois la palme de la victoire acquise, il refusa d’acquitter sa dette, et ses complices qui s’étaient laissé acheter le dénoncèrent. Ce fut, dit-on, la première violation des règles des Jeux : les magistrats leur imposèrent une lourde amende. On peut lire leurs noms et les circonstances de leur punition, gravés dans la pierre. Six fameuses statues de Zeus à Olympie furent en effet réalisées par de grands artistes de l’époque, dont Cléon de Sicyone, avec l’argent versé par les athlètes condamnés pour tricherie et corruption.   

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Les statues d’Olympie renvoient aussi à la dimension religieuse des jeux, avec des sacrifices, et des chants notamment.

Oui, la dimension religieuse des Jeux est cruciale : les religions des Grecs et des Romains, qui ne connaissaient ni Révélation ni Livre sacré, n’avaient pas les mêmes conceptions de la divinité et de la transcendance que les religions monothéistes : seule l’obligation rituelle s’imposait par des actes et des paroles immuables, tels que ceux en particulier des cérémonies antiques des Jeux Olympiques. Aujourd’hui nous avons repris quelques éléments de ce rituel des Jeux, dont celui de la flamme sacrée qui s’élevait à Olympie, sur l’autel d’Hestia, la déesse du foyer, à l’endroit où se tenait le banquet des athlètes, pendant toute la durée des Jeux. 

Un seul exemple de l’importance du rituel des Jeux dans les pratiques des Grecs.

Xénophon, dans l’Anabase ou les Dix Mille, rapporte comment en -401 après la mort de leur chef Cyrus le Jeune, lui et dix mille mercenaires grecs se retrouvèrent seuls au cœur de l’Empire perse, à peu près au nord de l’Irak actuel. Portés par leur énergie et leur courage, ils se frayèrent un chemin sanglant au milieu de leurs ennemis. Marchant dans le froid glacial de l’hiver sur les hauts plateaux de l’Anatolie puis de l’Arménie, ils parvinrent en vue de la mer Noire. Là, ils crièrent leur joie devant la mer qu’ils distinguaient à l’horizon : Thalassa ! Thalassa ! Une fois près du rivage et disposant de bœufs en quantité suffisante pour sacrifier aux dieux, ils eurent alors un réflexe culturel immédiat : ils organisèrent un concours d’athlétisme sur la colline où ils avaient installé leur campement. « On choisit Dracontios le Spartiate comme organisateur de la course et comme président des Jeux […]. Cette colline, leur dit Dracontios, est parfaite pour courir dans la direction que vous voudrez.

– Mais comment donc feront les hommes, lui objecta-t-on, pour lutter sur un sol aussi dur et broussailleux ?

– Eh bien, tant mieux, répondit-il, ce sera plus dur encore, pour celui qui sera jeté à terre. » (Xénophon, Les Dix Mille, IV, 8, (éd Phébus, P. Charvet , A Collognat).

Pour ces Grecs engagés dans une expédition lointaine, il s’agissait là d’un rituel social et religieux essentiel : remercier leurs dieux en offrant des sacrifices de bœufs sur des autels ainsi que leur propre énergie physique dans un concours d’athlétisme. En ce début du IVe siècle avant J.-C., ce rituel constituait toujours un réflexe puissant et n’était pas près de s’effacer dans la mémoire des peuples hellènes : les Jeux Olympiques, nés officiellement en -776, durèrent près de mille deux cents ans, jusqu’en +392, date où se tint la dernière olympiade (la 293e). En + 394 l’empereur Théodose a interdit en effet les fêtes païennes ainsi que tous les concours gymniques dont ceux d’Olympie.

Cette interdiction des Jeux s’inscrivait dans une opposition croissante des Pères de l’Église aux fêtes païennes, en particulier celles qui, comme les fêtes athlétiques, impliquaient la nudité, considérée comme une perversion par l’Église.

Vous évoquez l’opposition des pères de l’Église, il y a aussi, à l’époque des Jeux, des auteurs antiques qui y sont opposés. 

Le courant antisportif existait depuis longtemps, déjà dans l’Antiquité. Si le public avait une véritable passion pour ces athlètes qui étaient les demi-dieux de l’époque, la profession suscitait de fortes critiques de la part des intellectuels, comme les médecins, les politiques, les militaires ou les philosophes : dès le VIe siècle avant J.-C, un courant antisportif commence à se dessiner autour du philosophe Xénophane de Colophon. On reproche aux athlètes de mener un mode de vie préjudiciable à la santé et de constituer une caste inutile et coûteuse à la société. De plus, les athlètes ne seraient que peu utiles à la guerre, car leur entraînement si particulier aurait donné à leur corps une force disproportionnée, et leur esprit se serait engourdi. La diatribe du poète tragique Euripide dans une pièce dont il ne reste que des fragments, l’Autolykos, donne à entendre un condensé de toutes ces critiques : « Des milliers de calamités qui ravagent la Grèce, il n’y a pas pire que la race des athlètes. Ils ne savent pas vivre comme il faut. […] Splendides comme de belles statues, les voilà dans la ville en train de parader, mais lorsque la vieillesse cruelle les frappe, usés jusqu’à la corde, on les voit dans leur sinistre état. » (Athénée, X, 413C).

Est-ce que la question de l’argent est également un facteur ? Notamment, l’idée que les dépenses peuvent être exorbitantes, comme on le mentionne souvent aujourd’hui. Est-ce que cela était déjà une préoccupation à l’époque ?

Non, pas réellement, car c’est l’aspect religieux qui a primé avant tout. Par ailleurs, il est important de souligner que les jeux ne sont pas une entreprise lucrative, même s’ils impliquent des dépenses considérables. Un exemple frappant est celui d’Alcibiade, le fameux homme politique athénien, né en -450, à Athènes. Doté d’une grande beauté et d’une brillante intelligence, il faisait volontiers étalage de son luxe et entretenait une importante écurie de chevaux de course. Lors de la 91e Olympiade (juin -416) il se lance dans une étonnante campagne de communication, de manière à illustrer brillamment sa ville Athènes et accroître sa notoriété personnelle auprès du peuple athénien, mais aussi bien au-delà. 

Déjà en -418, Alcibiade avait effectué un coup d’essai : il avait été victorieux aux Jeux panhelléniques de Némée dans la course de chars. En -416, il s’agit pour lui de réaliser un coup d’éclat : Alcibiade engage sept quadriges dans la course de chars de la 91e Olympiade et obtient la victoire, ce qui représentait en termes de dépenses une bonne partie de sa fortune personnelle.

D’après Thucydide, Alcibiade, lui-même, se glorifia, aux yeux des Athéniens après son triomphe, de ses dépenses fastueuses et l’historien rapporte les paroles d’Alcibiade : « Les Grecs, croyaient que notre cité était sortie épuisée de la guerre, mais la démonstration éclatante que j’ai effectuée devant eux, aux Jeux d’Olympie, leur a maintenant donné une idée presque excessive de sa puissance. N’ai-je pas fait courir sept chars à la fois, c’est-à-dire plus qu’aucun autre avant moi ? Et j’ai remporté la première, la deuxième et la quatrième place, et j’ai ensuite fait ce qu’il fallait pour célébrer comme il convient une si belle victoire. En dehors de l’honneur qui s’attache traditionnellement ces exploits, le fait d’avoir pu réaliser une telle prouesse est le signe manifeste de la puissance, aux yeux de l’opinion publique. » (La Guerre du Péloponnèse, VI, 16).

Y a-t-il des athlètes qui deviennent des divinités comme Héraclès avec leur statut et avec l’adoration ? 

Oui beaucoup se sont efforcés d’imiter Héraclès dans ses exploits : en s’assimilant à ce héros, les athlètes acquéraient la dimension de l’éternité. 

C’est pourquoi des athlètes fameux comme Milon de Crotone, Théogénès de Thasos, ou Polydamas de Skotoussa ont affronté à mains nues et vaincu un lion, ou dévoré un bœuf entier, tel le divin Héraclès. Ou encore ce fut Milon qui chargea les Sybarites à la tête de la phalange des habitants de Crotone, couronnes olympiques sur la tête, peau de lion sur l’épaule et massue à la main. Théogénès fut, quant à lui, l’objet d’un culte héroïque sur l’île de Thasos et bien au-delà : il fut même crédité des pouvoirs d’un dieu, car sa statue aurait eu la capacité de guérir ceux qui la touchaient. Théogénès avait enfin réalisé son fantasme d’éternité : en multipliant ses exploits, il était devenu l’objet d’un culte héroïque, voire divin.

Comment les épreuves ont été créées ? Est-ce que ce sont des épreuves qui sont dérivées du combat ? Le lancer de javelot, la course, le disque ?

La quasi-totalité du chant XXIII de l’Iliade est en effet consacrée à la cérémonie funéraire en l’honneur de Patrocle, le compagnon d’Achille tué par Hector. Les jeux funèbres qui lui sont offerts comportent huit épreuves : la course de chars, la lutte, le pugilat, la course à pied, le tir à l’arc, le duel en armes, le lancer du disque et le lancer du javelot. Nous retrouverons une partie de ces épreuves dans les jeux Olympiques :

Les concours de vitesse en course à pied sont les plus anciennes des épreuves : après le stadion originel, nous trouvons la course du diaulos, soit deux fois la longueur du stade – un aller et retour après avoir tourné la borne –, qui est introduite lors de la 14e Olympiade (-724). C’est l’équivalent de notre 400 mètres. Puis le dolichos (le long stade) qui est une course plus longue allant de 7 à 24 stades (proche du 1 500 ou du 5 000 m. modernes), l’épreuve est ajoutée en -720. Et enfin l’hoplitodromos, une course en armes telles qu’en portent les hoplites (bouclier, casque, jambières) sur deux longueurs de stade (diaulos), est ajoutée en -520. 

Le pentathlon apparaît, lui, en -708. Il se tient en une seule après-midi et comporte cinq épreuves : outre la course du stadion, le lancer du disque, celui du javelot, le saut en longueur et la lutte.

Les sports de combat sont au nombre de trois : La palè, la lutte proprement dite, apparaît en -708. Les concurrents doivent faire tomber trois fois leur adversaire au sol pour obtenir la victoire. La pygmè (pugilat) est introduite en -688. Les athlètes portent des lanières de cuir (himantes) autour de leurs mains, qui peuvent être renforcées par des pièces de métal. Le pankration (pancrace), littéralement toute-force, est un mélange de boxe et de lutte où presque tous les coups sont permis ; il fait son apparition en -648.

Quant aux épreuves hippiques, elles constituent le moment le plus brillant de la fête olympique. 

Seuls les plus riches possèdent des chars et des chevaux. Les membres des plus illustres familles dans les cités recherchent la victoire dans les compétitions équestres. La récompense est accordée à celui qui est propriétaire des chevaux et des chars. Les propriétaires de l’attelage ou du cheval de course sont récompensés par la couronne de la victoire. Ainsi, la princesse spartiate Kyniska fut deux fois victorieuse aux Jeux Olympiques de -396 et -392. Elle rédigea elle-même l’inscription sur son groupe statuaire ; elle y proclame : « Les rois de Sparte sont mon père et mon frère ; moi, Kyniska, j’ai triomphé avec mon char aux chevaux rapides et j’ai fait élever cette statue. Je déclare être la seule parmi toutes les femmes de la Grèce à avoir reçu cette couronne. »

Rappelons encore que la course à pied a été en particulier un facteur déterminant dans la victoire militaire des Grecs à Marathon, à l’été – 490.  Quatre courses héroïques s’y seraient déroulées : deux collectives, celles des soldats en armes, et deux individuelles, celles des messagers des Athéniens. De ses quatre courses, dont trois sont attestées, une seule est passée universellement à la postérité : celle du messager Euclès qui aurait porté de Marathon à Athènes la nouvelle de la victoire des Athéniens sur les Perses, et qui serait mort d’épuisement en délivrant son message après avoir parcouru un peu plus de quarante km. Or, en suivant au plus près les sources historiques et archéologiques, ce fut la seule course dont on est à peu près certain qu’elle n’ait pas existé, du moins telle qu’on l’a rapportée. Cette légende a pourtant donné naissance à notre « marathon » moderne, tel que nous le connaissons aujourd’hui, tant le mythe est plus puissant que l’histoire. Voici en guise de conclusion ces quatre courses de la bataille de Marathon.

Deux courses collectives en armes impressionnantes :

Pour réduire le nombre des blessures que vont inévitablement provoquer les flèches des milliers d’archers perses capables de tirer jusqu’à deux cents mètres, le stratège des Athéniens en charge du commandement pour la bataille, Miltiade, décide de lancer pour la première fois dans l’histoire militaire grecque une charge en courant de tous les hoplites en armes sur environ un kilomètre et demi. Elle était pratiquée depuis – 520 aux Jeux d’Olympie. Après avoir fait des sacrifices aux dieux qui se révèlent favorables, les Grecs partent alors dans la lumière rasante du matin, au pas de course, mais avancent par à coup pour rester unis, et accomplissent là un effort extrême, tant leur armement complet est lourd : près de 30 kg. C’est une muraille humaine de dix mille hommes qui déferle en rangs serrés, chaque homme soudé à l’autre selon le principe de la phalange hoplitique, et hurlant le cri de guerre, Alala ! 

Une seconde course folle s’engage après la victoire des Grecs, entre les Perses sur mer et les Athéniens sur terre. La seconde manche est déjà amorcée, car avant même la bataille, les Perses avaient commencé à embarquer une partie de leurs soldats d’élite, afin d’aller attaquer par la mer Athènes sans défense. Leur flotte doit cependant pour y parvenir contourner le cap Sounion : il leur faut plus de dix heures de navigation. Les hoplites se mettent en route, à marche forcée, pour devancer les Perses. Malgré la fatigue du combat et le poids de leurs armes, Miltiade et ses soldats, allongeant le pas et tirant de leur victoire des forces nouvelles, vont réussir l’exploit de parvenir avant la flotte perse à Athènes, en moins de sept heures. Devant une telle détermination, la flotte perse préfèrera alors se retirer et la victoire de Marathon pourra être enfin célébrée par les Athéniens. 

Les deux courses individuelles sont celles des deux messagers des Athéniens, l’un parti d’Athènes à Sparte pour demander de l’aide aux Spartiates, l’autre pour annoncer la victoire des Athéniens depuis Marathon jusqu’à Athènes :

La course du coureur Phidippidès (l’homme qui n’a pas besoin de chevaux) d’Athènes à Sparte puis de Sparte à Athènes, pour demander de l’aide aux Spartiates – qui ne pourront pas venir de peur d’irriter Apollon dont ils célébraient les fêtes – fait environ 240 km à l’aller et autant au retour. Les Grecs, beaucoup plus tard, ont voulu réparer l’oubli de l’exploit, bien réel, de Phidippidès : en 1983, ils créèrent en son honneur une épreuve d’ultra-fond, la course du Spartathlon, à peu près similaire au parcours tel qu’il pouvait l’être en – 490. Le Spartathlon se déroule sur 246 km, chaque année, le dernier vendredi du mois de septembre. Les coureurs du Spartathlon ne doivent pas dépasser le temps de 36 heures, avoir un solide entraînement et avoir déjà participé à des parcours d’au moins 100 km. Les temps réalisés par les premiers coureurs ces dernières années tournaient autour de 22 h. Un record de l’épreuve a été établi lors de la première course en 1983 à 20 h 25 mn par Yannis Kouros. Les temps donnés par Hérodote ont été ainsi validés.

Et la dernière course individuelle, la seule qui n’eut vraisemblablement pas lieu sous la forme rapportée est celle qui donna naissance à notre Marathon moderne.

Euclès, (Bonne Gloire), le coureur que le stratège Miltiade a aussitôt, à l’issue de la bataille, chargé de prévenir les Athéniens selon Plutarque, s’élance, encore brûlant de la bataille, avec ses armes, pour aller annoncer la victoire à Athènes avant l’arrivée des troupes sur une distance d’à peu près quarante km. Il était voué à devenir la figure mythique de cette fiction épique. Il est rapidement dans un état de déshydratation extrême ; son cœur et son foie le trahissent. Couvert de sueur, la poitrine serrée dans un étau, il continue pourtant d’avancer. Dans l’ivresse de son sacrifice, il parvient à se tenir droit sur la route, malgré le soleil qui le consume. Il fait l’offrande de sa force vitale aux dieux protecteurs d’Athènes : le même feu qui flambe en lui et le détruit devient alors son ultime source d’énergie. Il finit dans ses dernières foulées par atteindre l’agora d’Athènes et devant les premiers citoyens d’Athènes, le corps tendu par la douleur, le visage décomposé par l’émotion, il n’a que le temps de prononcer ces dernières paroles : « Réjouissez-vous, car c’est aujourd’hui un jour de bonheur ! ». Et il meurt de cette joie qu’il a voulu partager. 

 

La course et la mort d’Euclès, même fictives, disent, à leur façon, le désir qu’a l’homme de dépasser ses limites. Il y a certes loin de l’idéal des Grecs anciens aux marathons actuels. Pourtant, lors des Jeux olympiques d’aujourd’hui ou lors du Sparthathlon – même si tout concourt à en faire des spectacles médiatiques – se dessine encore sur le sol, dans la foulée des athlètes, l’ombre portée des premiers coureurs.

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