<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Taxation des « superprofits » : comment marquer un but contre son camp

3 novembre 2022

Temps de lecture : 3 minutes
Photo : Clement Beaune Paris, FRANCE-03/11/2020 //01JACQUESWITT_Choix026/Credit:Jacques Witt/SIPA/2211031807/Credit:Jacques Witt/SIPA/2211031820
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Taxation des « superprofits » : comment marquer un but contre son camp

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Chronique de Victor Fouquet, Revue Conflits n°42

Le débat budgétaire est agité par une question, la taxation des superprofits : elle postule – du moins si l’on se fie à la définition des « superprofits » que veulent bien en donner la majorité des parlementaires de l’opposition favorables à cette idée – l’imposition temporaire et ciblée des entreprises du secteur énergétique qui, du seul fait de l’envolée des prix du pétrole et du gaz liée à la guerre en Ukraine, auraient dégagé des profits « anormaux ».

La distinction entre bénéfices « gagnés » (correspondant à la capacité d’innovation et à la prise de risque des entreprises) et bénéfices « non gagnés » (correspondant, comme en l’espèce, à une pure rente de situation) est parfaitement concevable intellectuellement, au point de justifier une surtaxe exceptionnelle des seconds, alors présentés comme « non légitimes ». Dans les faits, toutefois, on peine à voir qui, au-delà de TotalEnergies (dont les profits enregistrés au premier semestre 2022 ont certes été trois fois supérieurs à ceux de l’année 2021), serait assujetti à une telle imposition circonstancielle.

Et, à y regarder de près, le rendement budgétaire d’un tel impôt serait extrêmement faible, voire nul, TotalEnergies réalisant ses profits hors de France, dans les pays (Norvège, Angola, Nigeria, etc.) où elle extrait du pétrole et où elle est déjà imposée à des taux généralement très élevés (en moyenne, quasiment 40 % en 2021, et même plus de 45 % pour le secteur exploration et production). Et quand bien même. Sur le plan interne, le principe d’égalité devant les charges publiques s’oppose à la taxation discrétionnaire d’un ou de quelques contribuables seulement. Sur le plan européen, le principe de protection de la confiance légitime oblige la puissance publique à respecter la parole donnée. Sur le plan international, la signature par la France de conventions fiscales lui interdit d’imposer une seconde fois des bénéfices qui ont déjà été taxés dans les pays où ils sont réalisés. Autant d’obstacles juridiques qui pourraient être contournés par la mise en place d’une taxe, non plus spéciale, mais générale sur les profits, solution peu opportune dans un pays qui surtaxe déjà ses entreprises et où les besoins en investissements (en particulier pour décarboner l’économie) sont colossaux.

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De manière générale, la France ne peut espérer gagner durablement la confiance des agents économiques en scalpant chaque tête qui dépasse dès que l’occasion se présente. Une politique fiscale efficace, c’est-à-dire favorable à la productivité économique – et, donc, au pouvoir d’achat – implique de suivre des règles fixes et préétablies. C’est là aussi une question de sécurité juridique. S’il est bien un aspect de la loi fiscale qui décourage les entrepreneurs et les investisseurs privés, c’est sa rétroactivité. Il est difficilement compréhensible que des opérations faites par les entreprises en considération d’un régime fiscal donné puissent faire l’objet a posteriori d’un traitement fiscal différent. Le respect du droit, y compris en matière fiscale, suppose le respect de principes supérieurs, qui n’ont pas à varier au gré de l’opportunisme politique. Au reste, le comportement déloyal de l’État finit toujours par se retourner contre lui, en freinant l’activité économique et en réduisant par voie de conséquence les assiettes taxables.

Mais il y a plus grave : car si les enjeux sont ici juridiques et économiques, ils sont d’abord géostratégiques, la logique géopolitique surdéterminant, comme toujours, toute autre logique. Affaiblir par l’impôt la compagnie française, ce serait renforcer par ricochet les compagnies pétrolières anglo-saxonnes, au grand bénéfice des États-Unis. Si l’on voulait filer la métaphore footballistique, on comparerait la volonté de taxer les superprofits à celle de marquer un but contre son camp. Il est d’ailleurs frappant d’observer que cette idée fait florès jusque dans le camp dit « national », qui, en matière fiscale, a trop souvent les mêmes réflexes pavloviens que les oppositions « de gauche » les plus antinationales…

 

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À propos de l’auteur
Victor Fouquet

Victor Fouquet

Doctorant en droit fiscal. Chargé d’enseignement à Paris I Panthéon-Sorbonne. Il travaille sur la fiscalité et les politiques fiscales en France et en Europe.
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