Une actualisation du dialogue des Méliens ?

6 mars 2025

Temps de lecture : 3 minutes

Photo : De Thucydide à Mackinder : correspondances géopolitiques. Crédit : Conflits

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Une actualisation du dialogue des Méliens ?

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En Ukraine, le temps de la diplomatie est venu. Mais celle-ci n’est rien sans la force. Ce qu’avait déjà compris Thucydide.

Le sommet de Londres du 2 mars 2025 : une réunion au format révélateur

La réunion de hauts responsables à Londres à l’invitation du Premier ministre britannique, Sir Keir Starmer, et autour du président Zelensky frappe d’abord par son format ; car il n’y avait pas que des Européens autour de la table. Y participaient également Justin Trudeau, Premier ministre canadien, et Hakan Fidan, ministre des Affaires étrangères de Turquie. Le cadre de référence de ce sommet était donc avant tout l’espace euratlantique, comme l’a confirmé, du reste, la présence du secrétaire général de l’OTAN, Mark Rutte, mais un espace euratlantique paradoxal, dont les États-Unis étaient absents.

Les États-Unis demeurent incontournables

Ce premier constat est révélateur de la relégation stratégique des Européens. De fait, le plan de paix que le chef de l’Etat français et le Premier ministre britannique ont déclaré vouloir élaborer devra nécessairement être présenté ensuite aux États-Unis. Keir Starmer s’est fait encore plus explicite, lorsqu’évoquant le déploiement hypothétique de troupes européennes sur le sol ukrainien, il a rappelé clairement qu’il ne pourrait être envisagé sans l’accord et l’aide logistique des Américains. Quant à la présidente du Conseil italienne, Giorgia Meloni, elle a souligné la nécessité d’une coordination des Européens avec les États-Unis, recommandant de « ne pas diviser l’Occident ».

Des objectifs difficiles à atteindre

L’objectif de cette réunion était double : à court terme, les dirigeants présents souhaitaient se remettre en selle pour être partis, d’une manière ou d’une autre, au règlement de la question ukrainienne, et remettre en selle également le président Zelensky, après sa rencontre avortée du 28 février avec le président Trump, qui, l’on ne peut en disconvenir, relevait davantage de la télé-réalité que de la diplomatie classique. L’on peut aussi soutenir que cet entretien a consisté en une actualisation contemporaine du dialogue mélien, relaté par Thucydide dans son Histoire de la guerre du Péloponnèse. Lors de cet épisode fameux, présenté sous forme de dialogue, les Athéniens font savoir aux représentants de la cité de Mélos, qu’ils viennent assiéger, qu’ils ne souhaitent pas perdre de temps en belles paroles :

« Nous ne soutiendrons pas que notre domination est juste… nous le savons et vous le savez aussi bien que nous, la justice n’entre en ligne de compte dans le raisonnement des hommes que si les forces sont égales de part et d’autre ; dans le cas contraire, les forts exercent leur pouvoir et les faibles doivent leur céder[1]. »

Donald Trump et J. D. Vance ne sont-ils pas les Athéniens du dialogue du 28 février ?

Le 2 mars, les Européens ont indiqué, certes, qu’ils souhaitaient augmenter leurs dépenses de défense pour contribuer à l’émergence d’une identité stratégique européenne autonome. La tactique de sidération de Donald Trump et les craintes qu’elle suscite provoquent des changements d’orientation spectaculaires de la part d’États naguère très atlantistes, qui avaient constamment rejeté les projets français d’Europe de la défense, auxquels ils reprochaient de « dupliquer » les structures de l’OTAN. En réalité, à supposer qu’elles se concrétisent, les perspectives ainsi esquissées ne pourraient aboutir à un véritable sursaut stratégique qu’à plus long terme, après dix ou quinze ans d’efforts constants.

Volte-face

De manière beaucoup plus immédiate et conforme à la logique du dialogue mélien, la suspension de l’aide américaine à l’Ukraine, décidée le 4 mars 2025, n’a pas tardé à susciter une réaction de la part du président Zelensky, qui devait annoncer sur X, le même jour, être prêt à signer, « à tout moment et sous toute forme qui conviendra », « l’accord sur les minéraux et la sécurité » négocié avec les États-Unis. Il poursuivait, à rebours des déclarations qui avaient été les siennes le 28 février : « Nous considérons cet accord comme un pas en avant vers une plus grande sécurité et des garanties de sécurité solides, et j’espère sincèrement qu’il fonctionnera efficacement. »

Qu’ils procèdent de réactions immédiates empreintes d’émotion ou soient l’indice d’une réelle conversion stratégique, au demeurant bien tardive, les développements envisagés par les Européens ne peuvent en soi contrarier les projets de Donald Trump, qui, fort de la position hégémonique des États-Unis, entend traiter prioritairement, avec la Russie et avec la Chine, les questions inscrites à son agenda.

[1]Thucydide, Histoire de la guerre du Péloponnèse, traduction et introduction par Jean Voilquin ; notes de Jean Capelle, Paris, Garnier-Flammarion, 1966, 318 p.

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À propos de l’auteur
Olivier Chantriaux

Olivier Chantriaux

Docteur en histoire des relations internationales et diplômé de l'Institut d'études politiques de Bordeaux.

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