Voyage de Vladimir Poutine à Pékin, pied de nez aux Occidentaux ?

17 mai 2024

Temps de lecture : 4 minutes
Photo : Xi Jinping et Vladimir Poutine à Moscou, en mars 2023. (C) Wikipedia
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Voyage de Vladimir Poutine à Pékin, pied de nez aux Occidentaux ?

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La rencontre entre Xi Jinping et Vladimir Poutine a une nouvelle fois rappelé les liens solides qui unissent les deux pays, au détriment des Occidentaux.

Moins d’une semaine après la conclusion de sa tournée européenne, Xi Jinping recevait jeudi matin en grande pompe Vladimir Poutine devant le grand palais de l’Assemblée du peuple qui s’ouvre sur la place Tiananmen. Est-ce à croire que Xi Jinping aurait prêté l’oreille aux réclamations des Européens et à la pression des États-Unis pour abandonner son soutien à la Russie ? Loin de là. La rencontre entre les deux hommes d’État était plutôt une démonstration d’amitié et d’alignement sur le règlement politique de la guerre en Ukraine : d’une part, il faut aller au plus vite sur la table des négociations ; d’autre part, une négociation réaliste n’est pas envisageable sans prendre en compte les intérêts et les préoccupations de sécurité de tous les partis y compris la Russie. Pour la première visite internationale du troisième mandat de Poutine, le signal politique envoyé est fort. Lors de sa dernière visite en Chine juste avant la guerre en 2022, les deux pays avaient établi un partenariat « sans limites » et il semble que rien n’a changé, bien au contraire. Le commerce bilatéral est au beau fixe, il se fait essentiellement en roubles et en yuans et les partenariats entre les deux pays vont en s’approfondissant sur les sujets de pointe laissant imaginer des partenariats militaires étroits.

Malheureuse Europe qui se croit encore le centre du monde…

Outre le fait que son cabinet est composé de fonctionnaires rompus aux relations avec la Chine, M. Poutine est accompagné d’une délégation de haut niveau à Pékin. En plus du chevronné ministre des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, le président russe est venu avec le premier vice-premier ministre, Denis Mantourov, du chef adjoint de l’administration présidentielle, Maxime Oreshkine, du conseiller présidentiel, Youri Ouchakov, du ministre de la défense, Andreï Belousov, du ministre des finances, Anton Siluanov, du gouverneur de la banque centrale, Elvira Nabiullina, et du chef du service fédéral de coopération militaro-technique, Dmitri Chougaïev. Le message est clair : la coopération entre les deux pays est large, intersectorielle et concerne également la défense au grand dam des réclamations européennes. Autre chose à prendre en compte, le ministre Belousov qui a récemment remplacé Sergueï Choïgou, connaît bien la Chine : quand il était ministre du développement économique en Russie, puis comme vice-premier-ministre, il était responsable des investissements et du commerce avec Chine.

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Étant l’un des rares pays à rester en bons termes avec la Russie, la Chine a été exhortée par l’Occident à user de son influence pour mettre fin à la guerre et à veiller à ne pas fournir à la Russie une bouée de sauvetage économique ou des équipements à double usage. Lors de ses rencontres avec Emmanuel Macron et Ursula von der Leyen à Paris la semaine dernière, M. Xi a fait un pas dans cette direction, affirmant que la Chine ne vendrait pas d’armes à la Russie et ferait davantage pour contrôler les flux. D’ailleurs, à l’issue de leurs entretiens de jeudi, M. Xi a déclaré que la Chine et la Russie continueraient à maintenir une position de non-alliance, de non-confrontation et de non-violence à l’égard de tierces parties.

Cependant, qu’on le veuille ou non, les leçons de morales et les directives diplomatiques que les dirigeants européens ont suggéré à Xi Jinping n’ont pas eu l’effet escompté. Alors que les Européens croient encore qu’ils sont le centre du monde et que leurs sanctions vont mettre la Russie à genoux, une semaine plus tard, les déclarations du Président chinois sont sans appel :

« Amitié » et partenariat : Xi Jinping a réaffirmé le rôle de Pékin en tant que « voisin de confiance, bon ami et bon partenaire » de Moscou.

Règlement de la guerre en prenant en compte les intérêts russes : « Tout règlement doit respecter la sécurité et la souveraineté de toutes les parties. » Il disait encore : « La position de la Chine sur cette question a été cohérente et claire, notamment en ce qui concerne le respect de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de tous les pays et les préoccupations légitimes de toutes les parties en matière de sécurité. »

Rapprochement anti-occidental : « Les relations sino-russes ont résisté aux « tempêtes et aux changements » internationaux et constituent un modèle de respect mutuel et de coopération. »

Position de médiateur crédible de la Chine : « La Chine espère un rétablissement rapide de la paix et de la stabilité sur le continent européen et souhaite continuer à jouer un rôle constructif. »

Les sanctionnés se retrouvent

Les sanctions contre la Russie depuis l’invasion de l’Ukraine n’ont pas laissé les Chinois indifférents. La politique qu’a engagée Donald Trump il y a quelques années (que Joe Biden continue et que l’UE reprend exactement) est celle des sanctions. Et la Chine n’y a pas échappé. Encore aujourd’hui, elle est menacée de sanctions sévères si elle franchit la ligne rouge de livrer des armes à la Russie. En décembre dernier, Joe Biden a même signé un décret qui autorise les sanctions contre toute banque étrangère liée à l’effort de guerre russe. C’étaient bien entendu les banques chinoises qui étaient visées et certaines d’entre elles ont dû réduire leurs transactions.

Néanmoins, les échanges entre la Russie et la Chine n’ont pas cessé de croître depuis l’invasion. Face aux sanctions occidentales, la Chine est évidemment un partenaire économique vital pour la Russie, mais aussi un substitut potentiel à ses marchés énergétiques européens perdus. Les échanges commerciaux entre la Chine et la Russie ont atteint le chiffre record de 240 milliards de dollars en 2023, soit plus du double des 108 milliards de 2020, notamment grâce aux importations chinoises de pétrole russe et aux exportations de voitures, d’appareils électroniques et d’équipements industriels. Les conversations de jeudi matin ont d’ailleurs porté sur la consolidation de cet élan avec l’approfondissement des échanges dans les domaines de pointe ainsi que la stabilité de la chaîne industrielle et d’approvisionnement mondiale.

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Les deux pays se sont très vite mis d’accord pour échapper aux réglementations et aux sanctions américaines. Et la première arme des sanctions, c’est la primauté du dollar dans les transactions internationales. Ainsi V. Poutine a récemment indiqué que plus de 90 % des transactions commerciales entre les deux pays étaient réglées en yuans ou en roubles, protégeant ainsi le commerce et les investissements mutuels de « l’influence de pays tiers et des tendances négatives sur les marchés monétaires mondiaux ». L’Inde et d’autres pays soucieux de leur souveraineté s’y mettent. C’est peut-être le début de la fin d’une ère…

Lors de ce voyage, M. Poutine, qui a rencontré M. Xi plus de 40 fois depuis 2012, participera à une exposition commerciale bilatérale puis au Forum Russie-Chine sur la coopération interrégionale à Harbin (capitale de la province chinoise la plus septentrionale, qui entretient des liens culturels étroits avec la Russie).

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À propos de l’auteur
John Mackenzie

John Mackenzie

Géopolitologue et grand reporter, John Mackenzie parcourt de nombreuses zones de guerre.
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