La Russie boudée par ses alliés les plus proches ? Le défi de la diplomatie russe

6 novembre 2023

Temps de lecture : 6 minutes
Photo : Vladimir Poutine et Kim Jong Un (Vladimir Smirnov, Sputnik, Kremlin Pool Photo via AP, File)
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La Russie boudée par ses alliés les plus proches ? Le défi de la diplomatie russe

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Alors que la guerre en Ukraine s’enlise, sans que nul ne puisse prédire son issue, Moscou voit certains de ses partenaires historiques, courtisés par l’Occident, formaliser de nouvelles alliances. Cette dynamique oblige la diplomatie russe à intensifier son action pour préserver ses soutiens, en particulier vers sa sphère d’influence traditionnelle ainsi qu’au sein d’enceintes multilatérales dont elle avait le contrôle comme l’OTSC (Organisation du Traité de Sécurité Collective). Mais aujourd’hui, rien ne garantit que Moscou puisse maintenir ses positions en Arménie, au Kazakhstan, au Kirghizstan ou encore au Bélarus, pour ne citer que ces quelques États. Si cela se confirmait, les diplomaties européennes pourraient en profiter, notamment face à la Chine.

Tout début avril 2022, l’attaque aérienne menée par des hélicoptères ukrainiens sur un dépôt de carburant situé à Belgorod a constitué un revers cinglant pour la Russie. Cet événement a non seulement témoigné de la perméabilité du territoire russe à des attaques adverses, mais il a aussi jeté le discrédit sur l’OTSC, une alliance militaire largement poussée par Moscou et supposée être un équivalent eurasiatique de l’OTAN. En effet, à la suite de cette attaque, les « meilleurs » alliés du Kremlin ont tout bonnement choisi de ne pas activer l’article 4 de l’Organisation qui aurait pu entraîner un soutien militaire direct de ses signataires au profit de la Russie. Depuis, les représailles ukrainiennes se succèdent, visant surtout les régions de Briansk, de Koursk et de Belgorod, et toujours sans aucune réaction franche de la part des membres de l’OTSC, même lorsque Moscou est touchée. Plus que jamais, l’Organisation apparait donc en état de mort cérébrale.

Le rôle du Bélarus

Certainement un peu malgré lui, le membre le plus actif de l’OTSC est le Bélarus. Ce pays, État tampon avec l’OTAN, est dans une position d’équilibriste. Il subit la pression de la Russie, mais souhaite dans le même temps conserver des liens avec l’Occident, notamment avec la Pologne qui le regarde avec scepticisme. Et Varsovie a raison de se méfier. Minsk est engagé de facto comme cobelligérant dans la guerre contre l’Ukraine en permettant à la Russie d’utiliser son territoire pour mener ses attaques. Ajoutons que le Bélarus a accueilli et accueillerait encore des combattants du groupe paramilitaire Wagner. Il faciliterait aussi depuis 2021 une filière d’immigration clandestine vers l’Europe de personnes originaires du Moyen-Orient et d’Afrique. Avec le soutien de la Russie, l’objectif serait ici d’organiser une crise migratoire pour créer des tensions au sein de l’Union européenne (UE). Mais si le Président Alexandre Loukachenko « laisse faire », il tente aussi de prendre des distances avec Moscou. Le dirigeant a refusé d’envoyer ses forces armées en Ukraine, a rappelé qu’il n’avait pas l’intention d’envahir son voisin, et il a invité le Président Vladimir Poutine et son homologue américain, Joe Biden, à se rencontrer à Minsk.

L’Arménie en équilibre

La position de l’Arménie est également à considérer tant elle pourrait rebattre les cartes de l’influence russe dans le Caucase. Ce pays accueille à Gyumri une base militaire russe importante censée contribuer à sa sécurité. Or, après l’offensive de Bakou au Nagorny Karabakh et la possibilité que l’Azerbaïdjan tente de relier par la force l’enclave du Nakhitchevan à son territoire en attaquant le sud arménien, cette présence a été critiquée ouvertement par le Premier ministre Nikol Pachinian, révélant même qu’elle représentait une menace. Il faut se souvenir que ce responsable arménien avait déclaré début 2023 que son pays n’accueillerait pas les exercices militaires de l’OTSC en 2023. Par le passé, l’Arménie avait déjà marqué ses distances avec la Russie et cette même Organisation, lui reprochant de ne pas condamner clairement les incursions de l’Azerbaïdjan sur le sol arménien. Mais pour l’heure, Erevan ne peut quitter cette Organisation dont elle considère toujours qu’elle est un élément contribuant à sa survie menacée par Bakou. Cependant, les exercices militaires menés en septembre dernier avec des forces américaines dans le cadre de « Eagle Partner-2023 » sont un signal de l’évolution progressive des alliances dans la région, tout comme l’est le rapprochement avec la France. Paris a récemment donné son accord à la « conclusion de contrats futurs forgés avec l’Arménie qui permettront la livraison de matériel militaire à l’Arménie pour qu’elle puisse assurer sa défense ». Dans le cas de l’Arménie, tout occupée à son « opération militaire spéciale », la Russie aura donc clairement échoué à prouver que l’OTSC est garante et pourvoyeuse de la sécurité de ses alliés.

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Les distances du Kazakhstan

Autre signe du recul de l’influence russe, la réaction du Kazakhstan après l’attaque de l’Ukraine par la Russie. Ce pays pivot – longtemps considéré comme l’allié le plus important de Moscou en Asie centrale – a opté pour une position très équilibrée, allant même jusqu’à envoyer de l’aide à Kiev (médicaments, générateurs, ambulances, alimentation). Les autorités ont également affirmé qu’elles ne souhaitaient pas que leur territoire devienne un instrument permettant à la Russie de contourner les sanctions décidées par l’Union européenne et les États-Unis. Pour autant, malgré la distance prise avec Moscou, le Kazakhstan ne devrait pas quitter l’OTSC qui était intervenue à son profit lors des émeutes de janvier 2022. Fin politique, le Président Kassym-Jomart Tokaïev ne souhaite en aucun cas engager une confrontation avec la Russie. Son pays a besoin de stabilité afin de poursuivre son développement. Le dirigeant sait qu’une bonne partie de son budget reste assurée, pour le moment, par l’exportation de pétrole vers l’Europe par l’intermédiaire de la Russie, cela, au moins jusqu’en 2024. À partir de cette date, Astana devrait pouvoir utiliser d’autres routes reliant le Kazakhstan, l’Azerbaïdjan, la Géorgie, la Turquie et les pays d’Europe. Cette option lui permettra très certainement de prendre davantage de champ avec la Russie. En développant sa relation bilatérale avec la France, qui connait un nouvel élan grâce à la proximité des Présidents E. Macron et K-J. Tokaïev, Astana affirme d’ailleurs son autonomie croissante et son rôle majeur de médiateur des grands enjeux de politique internationale. Ce mouvement en faveur d’une sortie de l’orbite russe est accompagné par les États-Unis qui souhaitent l’élargir à toute la région, craignant une progression des intérêts chinois venant combler le vide laissé par la Russie. Récemment, une rencontre historique a eu lieu à New York en marge de la 78e session de l’Assemblée générale des Nations unies : pour la première fois, les Présidents du Kazakhstan, du Kirghizstan, du Tadjikistan, du Turkménistan, de l’Ouzbékistan et des États-Unis se sont réunis au cours du sommet présidentiel dans le cadre du C5+1 (Sommet Asie centrale – États-Unis).

Le Kirghizstan reste dans l’orbite russe  

Au Kirghizstan, la situation est assez différente. La Russie y conserve une influence forte. Elle est présente à travers une base militaire composée d’un aérodrome, d’une installation navale sur le lac Issyk-Koul et de plusieurs autres sites. Vladimir Poutine s’y est d’ailleurs rendu pour son premier déplacement à l’étranger depuis qu’il est visé par un mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale (CPI). Ce pays serait l’un de ses rares partenaires à continuer à lui fournir de l’équipement militaire alors même que Moscou équiperait son propre rival, le Tadjikistan, en armement. En 2022, les deux pays voisins, dépendant l’un et l’autre économiquement de la Russie ainsi que des fonds envoyés par leur diaspora ou les travailleurs migrants présents sur le sol russe, se sont opposés violemment à plusieurs reprises en raison d’un différend sur la délimitation de leur frontière commune. Bien que le Kremlin espère endosser le rôle d’arbitre dans ce conflit, il apparait que ni Bichkek ni Douchanbé ne sont réellement intéressé. L’un et l’autre tentent d’ailleurs de développer des alternatives en matière de coopération militaire. Dans le domaine des drones, le Kirghizstan s’approvisionne déjà auprès de la Turquie tandis que le Tadjikistan bénéficie d’un appui iranien. Reste que les deux anciennes républiques soviétiques savent qu’elles doivent rester prudentes faute d’alternative sérieuse. Pour l’heure, les autres puissances ne sont pas pressées d’y disputer son influence à la Russie. La Chine est certainement la plus active dans cette zone limitrophe de son territoire, notamment au regard de la sensibilité de la région du Xinjiang. Elle suit également de près la possibilité d’une propagation de l’islam radical au-delà des frontières de l’Afghanistan depuis que les talibans ont repris le pouvoir à Kaboul.

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En définitive, si l’issue de la guerre en Ukraine aura certainement un impact majeur sur l’avenir de la Fédération de Russie, son enlisement actuel devrait accélérer la réorganisation des alliances dans son étranger proche. L’influence de Moscou y souffre déjà tout comme l’attractivité des organisations régionales dans lesquelles la Russie occupe une place centrale. Ses meilleurs alliés, regroupés au sein de l’OTSC, l’ont bien compris. Ils ont quasiment tous opté pour la neutralité en choisissant de ne pas soutenir ouvertement l’invasion de l’Ukraine par la Russie. De la même manière, quasiment tous sont à la recherche de nouveaux partenaires. Dès lors, le Kremlin semble ne plus avoir de véritables alliés fiables dans le domaine militaire et diplomatique, excepté à les trouver dans les régimes les plus autoritaires au monde, en Corée du Nord et en Iran. La diplomatie russe est au pied du mur : il lui faut réussir à remobiliser ses partenaires ou continuer à perdre du terrain du Caucase à l’Asie centrale.

Dans ce contexte, la France a une carte à jouer. Diplomates, investisseurs, entrepreneurs et experts savent qu’il faut utiliser ce momentum. Au plus haut niveau de l’État, le Président E. Macron ne ménage pas ses efforts en ce sens. Il s’est d’ailleurs rendu en Mongolie en mai dernier, une première pour un Président français. Il vient également de se rendre en Asie centrale pour une visite officielle au Kazakhstan suivie d’une escale à Samarcande en Ouzbékistan sur le chemin du retour. Déjà partenaires stratégiques, Astana et Paris ont encore beaucoup à faire ensemble dans le cadre d’une relation nouvelle, facilitée grandement par la transition démocratique accélérée que connait le Kazakhstan. Enfin, avouons qu’une percée française, de la Géorgie à la Mongolie, serait un bel hommage à l’esprit gaulois. Si la Russie a cru qu’elle pouvait s’en prendre impunément à la diplomatie française et européenne en Afrique et en Ukraine, avec une réussite très discutable, une irruption franche dans sa sphère d’influence constituerait une belle réponse, car en définitive, tel pourrait être pris qui croyait prendre (Le Rat et l’Huître, Jean de La Fontaine).

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À propos de l’auteur
Bertrand Slaski

Bertrand Slaski

Spécialiste des questions internationales
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