60% de droits de douane mettraient ils la Chine à genou ?

28 novembre 2024

Temps de lecture : 4 minutes

Photo : Donald Trump et Xi Jinping lors d'une réunion en marge du sommet du G20 à Osaka, au Japon, 2019//SIPA_ap22383091_000003

Abonnement Conflits

60% de droits de douane mettraient ils la Chine à genou ?

par

Trump a fait de la guerre commerciale avec la Chine un axe central de sa première présidence. Un second mandat pourrait intensifier cette confrontation, avec, par exemple, 60% de droits de douane. L’impact de cette mesure est bien réel, mais limité, d’autant plus que la Chine se prépare déjà pour y faire face.

Alex Wang

La capacité de la Chine à résister à des tarifs douaniers renforcés, comme un éventuel taux de 60 % imposé par les États-Unis, dépend de plusieurs facteurs économiques, politiques et stratégiques.

Faible dépendance vis-à-vis de l’export vers US

Avec 3-4 % de son PIB dépendant du commerce avec les États-Unis, la Chine a une exposition limitée à ce marché en proportion de son économie totale[1].

La Chine a progressivement réduit sa dépendance au marché américain en développant d’autres partenariats commerciaux, notamment en Asie, en Europe, et dans les pays en développement. Si les tarifs douaniers américains augmentaient fortement, cela perturberait certains secteurs exportateurs, mais la Chine dispose de marges pour limiter l’impact sur son économie globale.

À lire également

Pourquoi c’est maintenant le tour de la Chine

Diversification des marchés d’exportation

Pour réduire sa dépendance aux États-Unis, la Chine a déjà intensifié ses relations commerciales avec d’autres régions. La Chine est un acteur clé de l’Accord de partenariat économique régional global (RCEP[2], qui englobe plusieurs grandes économies asiatiques. L’Asean est devenu le premier partenaire devant les US. Bien que les relations UE-Chine soient parfois complexes, par exemple, les conflits au sujet des véhicules électroniques et des produits agricoles, l’Europe reste un partenaire commercial majeur. Elle renforce aussi ses échanges avec les pays membres de BRICS [3], notamment avec le Brésil, et ces régions dans le cadre de la Belt and Road Initiative (BRI) [4]. L’ouverture du Port Chancay [5] va booster le commerce entre l’Amérique du Sud et la Chine. Sans oublier l’augmentation rapide de son export vers la Russie depuis plusieurs années.

Cette diversification pourrait limiter l’impact des tarifs américains, bien que les États-Unis restent un marché crucial pour certains secteurs chinois.

Accent sur le marché intérieur

La stratégie chinoise du « double circuit » (dual circulation), lancée en 2020, vise à équilibrer les moteurs de croissance. Elle souhaite stimuler la demande domestique en augmentant le pouvoir d’achat des ménages via la sécurité de l’emploi, l’augmentation continue des salaires et l’amélioration de la protection sociale, ce qui réduirait la dépendance aux exportations tout en maintenant un rôle actif dans les chaînes d’approvisionnement mondiales. Un marché intérieur fort pourrait absorber une partie des chocs externes causés par les tarifs élevés.

Capacité à ajuster sa compétitivité

La Chine dispose de plusieurs leviers pour atténuer l’impact des tarifs.

Une baisse contrôlée de la monnaie pourrait rendre les produits chinois plus compétitifs, même avec des droits de douane élevés. Cette stratégie, utilisée pendant la période Trump 1.0, serait réemployée également cette fois-ci, mais seulement dans une certaine mesure, car elle pourrait endommager l’import nécessaire.

Grâce à son écosystème industriel intégré et à la promotion de la nouvelle productivité, la Chine peut ajuster les coûts pour maintenir des prix compétitifs.

À lire également

« La Chine a pris une avance significative » dans l’industrie automobile. Entretien avec Serge Cometti

Alliances et pressions diplomatiques

Les tarifs douaniers haussiers, généralisés, des États-Unis pourraient susciter des préoccupations chez leurs alliés et partenaires commerciaux.

Les tarifs douaniers à un tel niveau pourraient violer les règles de l’Organisation mondiale du commerce, permettant à la Chine de contester légalement les mesures américaines.

Résilience des chaînes d’approvisionnement

Malgré les efforts de découplage menés par les États-Unis, la Chine reste centrale dans les chaînes d’approvisionnement mondiales. Le phénomène de supply chain par débordement[6] va continuer via le Vietnam, le Mexico, la Malaisie et l’Inde.

De nombreux secteurs américains, comme l’électronique, la pharmacie ou les biens de consommation, dépendent toujours de la Chine. Les entreprises américaines pourraient répercuter les tarifs sur les consommateurs américains, provoquant une nouvelle vague de l’inflation. Certaines industries pourraient trouver difficile ou coûteux de relocaliser leur production hors de Chine.

À lire également

L’économie chinoise surprend avec des résultats du premier trimestre dépassant les attentes

Impacts sur les entreprises américaines et les consommateurs

Des tarifs aussi élevés pourraient entraîner des répercussions négatives sur les États-Unis eux-mêmes : les rayons des grands magasins par exemple chez Walmart sont remplis de produits chinois de bonne qualité et moins chers. Une augmentation des tarifs de cette importance pourrait renchérir les biens de consommation rendant de plus en plus difficile la vie au quotidien pour les masses d’Américains.

La Chine pourrait imposer des restrictions aux exportations critiques, comme les terres rares, perturbant des industries stratégiques aux États-Unis.

Cette interdépendance économique limite la portée réelle des tarifs en tant qu’arme de pression.

Scénarios de riposte chinoise

Si les États-Unis imposaient des droits de douane aussi élevés, la Chine pourrait répondre de manière ciblée :

Taxes sur les importations américaines : Cibler des secteurs sensibles, comme l’agriculture, qui soutiennent politiquement l’administration Trump.

Limitation des exportations stratégiques : Restreindre les ventes de composants technologiques critiques, comme les terres rares.

Diplomatie économique : Renforcer les relations avec d’autres puissances économiques pour isoler les États-Unis dans certaines initiatives internationales.

Conclusion

L’impact économique des 60% des droits de douane serait réel, notamment sur les industries exportatrices dépendantes du marché américain. Mais la Chine est bien équipée pour résister à des tarifs douaniers élevés grâce à sa diversification commerciale, son grand marché intérieur et son rôle central dans les chaînes d’approvisionnement mondiales.

Le succès de la Chine face à des tarifs à 60 % dépendrait largement de sa capacité à accélérer sa transition économique vers un modèle plus autonome et innovant, tout en maintenant ses partenariats mondiaux. Simultanément, les États-Unis eux-mêmes pourraient ressentir les effets négatifs de ces mesures, ce qui pourrait inciter à des négociations ou à un compromis.

Par ailleurs, il se pourrait que Trump n’aille pas réellement mettre en place ces 60%. Ce pourrait être le début de la négociation : demander beaucoup plus quitte à lâcher du lest par la suite. A suivre…

[1] Seulement 3-4% du PIB de la Chine provient de l’export vers les États-Unis. Par exemple avec les chiffres de 2022, le calcul peut se faire comme suite : la part de l’export total dans le PIB (20,79%) * la part de l’export vers US (16,2%) = 3,36% ;

20,79% :https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMTendanceStatPays/?codeStat=NE.EXP.GNFS.ZS&codePays=CHN&codeTheme=7

16,2% : https://rbcglobalconnect.rbc.com/fr/ressources/explorer-marches/chine/profil-commercial

[2] Cf Alex Wang, RCEP vs CP-TPP vs IPEF : une gigantesque partie de go dans l’Indopacifique, Revue Conflits, 17 juin 2023

[3] Cf. Alex Wang, Les BRICS se renforcent à l’approche du prochain sommet, Conflits, le 20 août 2024

[4] Cf. Alex Wang, Belt & Road Initiative (BRI) : le bilan d’étape et son avenir, Conflits, le 19 octobre 2023

[5] Cf. Alex Wang, Le port de Chancay au Pérou : une pierre chinoise dans l’arrière-cour des États-Unis ? le 25 mars 2024

[6] Cf. Alex Wang, La délocalisation sino-asiatique par « débordement », Conflits, le 11 janvier 2023

Vous venez de lire un article en accès libre

La Revue Conflits ne vit que par ses lecteurs. Pour nous soutenir, achetez la Revue Conflits en kiosque ou abonnez-vous !

À propos de l’auteur
Alex Wang

Alex Wang

Titulaire de deux doctorats (philosophie et ingénierie) et familier des domaines clés de la NTIC, Alex Wang est ancien cadre dirigeant d’une entreprise high tech du CAC 40. Il est également un observateur attentif des évolutions géopolitiques et écologiques.

Voir aussi