<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Hakan Fidan : Un diplomate bien renseigné

7 juin 2025

Temps de lecture : 3 minutes

Photo : Secretary Antony J. Blinken meets with Turkish Foreign Minister Hakan Fidan at the Department of State in Washington, D.C., March 8, 2024. (Official State Department photo by Chuck Kennedy)

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Hakan Fidan : Un diplomate bien renseigné

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Du renseignement à la diplomatie, il n’y a qu’un pas. Ce pas, Hakan Fidan, maître espion de Tayyip Erdogan, l’a franchi. Il est aujourd’hui l’architecte de sa politique étrangère.

À chaque cénacle international, sa haute silhouette détonne. Ses épaules carrées et son regard dur trahissent un long passé sous l’uniforme. Sa parole est rare et toujours empreinte d’un jargon militaire ou technique que seuls les initiés comprennent. Au grand dam des médias, il refuse de se plier aux interminables conférences de presse. Jamais il ne répond aux journalistes. Comme les questions, toutes les réponses sont préparées à l’avance. Car aux yeux d’Hakan Fidan, c’est la connaissance et la capacité à garder un secret qui gouvernent le monde.

Né en 1968, Fidan est issu d’un clan kurde de Van. Très tôt, il s’engage dans l’armée et choisit les transmissions. Dans le climat austère de la Turquie des années 1980, l’armée gardienne de la laïcité gouverne d’une main de fer. Le jeune Fidan est obligé d’enfouir ses convictions profondes. Adepte de l’islam politique, la révolution iranienne exerce sur lui une fascination lancinante. Discret, laborieux et surtout persévérant, il gravit un à un les échelons. En poste à l’OTAN, il s’intéresse à la culture du renseignement occidental. Ce tropisme se transforme en mémoire puis en thèse universitaire. Celle-ci traite, à travers une étude comparée, des forces et faiblesses des services turcs et anglo-saxons. Une idée simple tourne en boucle : le renseignement est le préalable à une politique étrangère réussie et pour en créer les conditions, il convient de refondre le SR turc. Fidan éreinte le renseignement national accusé de s’être focalisé sur la menace réactionnaire et séparatiste. Or, si la Turquie veut s’affirmer comme puissance globale, elle doit regarder au-delà du bastion anatolien. Fidan souffle donc quelques conseils. À l’information brute, il faut privilégier l’analyse. Afin d’être plus efficace, il suggère la fusion en une seule branche du renseignement technique, la coordination au sein d’une communauté de toutes les agences, et enfin de donner priorité à l’étranger. L’arrivée au pouvoir des islamo-conservateurs (2002) le révèle. Tour à tour, il dirige l’Agence turque de coopération et de développement et travaille à l’Agence internationale de l’énergie atomique. Il se familiarise avec le soft power. Une légende tenace lui prête même la paternité du logo de l’institut Yunus Emre, équivalent turc des instituts Confucius. Erdogan l’élève à la tête de l’Organisation de renseignement national (Milli İstihbarat Teşkilat-MIT) en 2009.

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Aux commandes du MIT, Fidan applique la plupart des recommandations de sa thèse. D’une institution jusqu’alors cantonnée à la routine du contre-espionnage, il en fait un service global respecté à l’étranger et surtout un pilier de la nouvelle Turquie. Mais c’est sa nomination comme ministre des Affaires étrangères (2023) qui le propulse au premier plan. Enfin, il va pouvoir mettre en pratique sa grande idée de « diplomatie du renseignement ». La Turquie, puissance de l’entre-deux, doit pivoter à son rythme de l’Occident aux émergents : conserver ses avantages à l’Ouest et en gagner de nouveau à l’Est. Ce projet nécessite une refonte totale du ministère et une militarisation de sa structure. C’est au dernier vestige de l’establishment laïc dans sa version la plus occidentaliste que Fidan s’attaque. Tout d’abord, il verrouille les postes clés d’hommes à lui. Ensuite, Fidan veut limiter la rotation des postes afin de privilégier le temps long. Fait significatif, l’anglais perd son statut de sésame obligatoire. À l’inverse, l’arabe, le russe et le farsi deviennent des accélérateurs de carrière. Plus révélateur encore, le ministère veut élargir son assise sociale. Traditionnellement, les diplomates sortent d’institutions occidentalisées comme Galatasaray. Dorénavant, Fidan privilégie des universités plus conservatrices. Enfin, la Direction générale de la sécurité du ministère se voit remaniée en profondeur. Jusqu’alors en charge du personnel, le service bascule vers le renseignement offensif.

Fidan est en vingt ans l’un des rares compagnons d’Erdogan à ne jamais avoir subi la disgrâce du reis. Pourtant, derrière une loyauté sans faille, il n’a jamais sacrifié sa volonté, son ambition propre. Il a toujours avancé vers la même direction : la sienne.

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À propos de l’auteur
Tancrède Josseran

Tancrède Josseran

Diplômé de Sorbonne-Université, il est chercheur associé à l’Institut de stratégie comparé.

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