Pour son second mandat, Donald Trump développe une politique étrangère construite autour des droits de douane. Pas seulement sur la Chine, mais sur de nombreux, voire tous les partenaires commerciaux des États-Unis. Il ne s’agit pas d’un programme isolationniste, mais d’un effort visant à étendre la domination des États-Unis. Le maintien de cette domination nécessitera un engagement continu avec le reste du monde, avec une préférence pour les tactiques coercitives plutôt que coopératives.
Article paru dans le no56 – Trump renverse la table
Cette stratégie soulève trois questions. Premièrement, parviendra-t-elle à susciter une résurgence de l’industrie manufacturière américaine, comme le prétend Trump ? Deuxièmement, dans quelle mesure le président élu Trump parviendra-t-il à conclure les grands accords géopolitiques auxquels lui et son équipe ont fait allusion – la paix en Ukraine et au Moyen-Orient, et un nouvel accord avec la Chine ? Troisièmement, comment modifiera-t-il les positions de force relatives des États-Unis et de la Chine ?
Droits de douane : échec économique, succès politique ?
En tant que stratégie purement économique, les droits de douane sont voués à l’échec. La première guerre commerciale de Trump n’a finalement rien fait pour restaurer la compétitivité des États-Unis, réduire le déficit commercial ou éroder l’importance de la Chine dans les chaînes d’approvisionnement mondiales. Il n’y a aucune raison de penser qu’une deuxième guerre, plus large, sera plus efficace. Les États-Unis ne disposent pas de la structure de coûts, de l’offre de main-d’œuvre technique ou des infrastructures nécessaires pour accroître massivement leur base manufacturière. Les droits de douane ne feront qu’aggraver la situation en augmentant le coût des intrants importés et en renforçant le dollar, ce qui rendra les exportations américaines plus difficiles. Les chaînes d’approvisionnement mondiales s’adapteront pour contourner les droits de douane, mais les bénéficiaires seront les swing states intelligents du monde en développement, et non les États-Unis.
Un autre avantage sera de renforcer la capacité des États-Unis à maintenir le prix du pétrole dans une fourchette de 60 à 80 dollars, suffisamment basse pour éviter l’inflation et suffisamment élevée pour encourager la production de pétrole aux États-Unis.
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Le barrage tarifaire de Trump conduira probablement à un accord avec Pékin, mais cet accord ne sera qu’un spectacle sans substance. L’économie chinoise restera atone, mais Xi Jinping reste fidèle à sa vision de faire de la Chine une superpuissance technologique. Contrairement à Washington, Pékin sait comment mener une politique industrielle digne de ce nom. Et plus Trump brandira ses tarifs douaniers contre le reste du monde, plus les pays seront incités à renforcer leurs liens économiques avec la Chine. La concurrence entre les États-Unis et la Chine restera une course serrée.
Renforcer les sanctions contre le pétrole russe pour mieux les réduire
Les politiques de Trump concernant la Russie et le Moyen-Orient sont liées à la politique du prix du pétrole. La question clé est de savoir si Trump appliquera les dernières sanctions pétrolières de Biden à l’encontre de la Russie et les renforcera pour exercer un effet de levier supplémentaire sur Moscou, ou s’il s’abstiendra de les appliquer pour amener la Russie à la table des négociations. Le plus probable est que Trump s’abstienne d’appliquer rigoureusement les sanctions, tout en promettant de les abandonner complètement à l’avenir. Cela incitera Moscou à négocier, apaisera l’Inde et la Chine (les principaux acheteurs de pétrole russe) et ouvrira la voie à une campagne de pression maximale contre l’Iran.
Les sanctions prises par Joe Biden le 10 janvier étaient importantes : elles ont mis sur liste noire deux des quatre principales compagnies pétrolières russes et 160 pétroliers de la flotte fantôme qui a livré une grande partie du pétrole russe au mépris des sanctions au cours des deux dernières années. Les sanctions ont été coordonnées avec l’Inde, qui a accepté d’interdire l’entrée des pétroliers sanctionnés à partir du mois de mars. Contrairement aux sanctions précédentes, qui visaient principalement à limiter les revenus pétroliers de la Russie, les nouvelles restrictions ont pour but de retirer complètement le pétrole russe du marché mondial.
Le report des sanctions aiderait M. Trump à éviter une nouvelle flambée des prix du pétrole et répondrait à ses autres objectifs diplomatiques. Ce n’est pas gagné d’avance, car les nouvelles sanctions s’inscrivent dans le cadre d’une loi de 2017 sur les sanctions, ce qui signifie que M. Trump devra d’abord consulter le Congrès.
Mais c’est la solution la plus probable, en raison de la volonté de faire monter la pression sur l’Iran. La pression maximale consistera, entre autres, à essayer de retirer du marché mondial la majeure partie des exportations de pétrole iranien, qui s’élèvent actuellement à environ 1,8 million de barils par jour (bpj). Si les États-Unis s’en prennent à l’Iran de cette manière, il serait logique que Washington assouplisse les sanctions à l’encontre de la Russie afin de maintenir la stabilité du prix du pétrole.
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Dans le même temps, Trump ne voudra pas que le prix du pétrole soit trop bas : cela saperait les arguments en faveur de l’investissement dans l’expansion de la capacité nationale des États-Unis. Certaines sanctions resteront donc en place, même si les nouvelles ne sont pas appliquées.
Les swing states se rapprocheront de la Chine
Depuis que Trump a lancé sa guerre commerciale en 2018, le monde s’est fragmenté en blocs géopolitiques lâches dirigés par les États-Unis et la Chine. Mais de nombreuses puissances moyennes ont refusé de s’aligner sur l’une ou l’autre des superpuissances rivales. Au cours du second mandat de Trump, ces swing states se rapprocheront un peu plus de la Chine, à quelques exceptions notables près.
La Chine exerce une attraction économique plus forte que les États-Unis dans la plupart des économies émergentes. Les politiques « America First » de Trump ont accéléré le déclin de l’influence américaine, et Biden n’a eu qu’un succès limité pour l’enrayer. Si Trump met à exécution sa menace de tarifs douaniers universels, la Chine aura tout à gagner en prouvant une nouvelle fois qu’elle est le partenaire économique le plus fiable. Elle exploitera également son avance dans le domaine des technologies vertes, car plusieurs États en transition souhaitent devenir des centres de fabrication de véhicules électriques.
Les principales économies d’Asie du Sud-Est acceptent que la Chine soit la principale puissance extérieure de la région, mais elles apprécient toujours la présence américaine en mer de Chine méridionale. L’influence de la Chine s’accroîtra si les tarifs douaniers de Trump précipitent une nouvelle vague d’investissements à risque de la part des entreprises qui délocalisent leur production hors de Chine. Le nouveau président indonésien, Prabowo Subianto, cherche désespérément à impressionner M. Trump, mais Xi Jinping lui fera une plus grande cour.
En Amérique du Sud, le rôle économique de la Chine s’accroît tandis que celui des États-Unis se réduit. Le protectionnisme de Trump accélérera ce processus. La méfiance mutuelle entre Trump et les dirigeants principalement de gauche du continent, comme le président brésilien Luiz Inácio Lula da Silva, n’arrangera rien. Même Javier Milei est aujourd’hui prêt à travailler avec lui.
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Le Mexique se rapprochera résolument du camp américain, par nécessité plutôt que par choix. La présidente Claudia Sheinbaum a déjà réagi à la menace de droits de douane écrasants en réprimant les migrants, en saisissant le fentanyl en provenance des États-Unis et en édulcorant les réformes réglementaires pour garantir la conformité avec l’accord commercial USMCA. Elle a lancé une politique industrielle visant à réduire les importations en provenance de Chine. La prochaine étape pourrait consister à limiter les investissements chinois, en particulier dans le secteur de l’exportation automobile. La dépendance économique du Mexique vis-à-vis des États-Unis l’oblige à s’aligner sur la politique d’endiguement de la Chine de Trump.
Enfin, la convergence stratégique de l’Inde avec les États-Unis se poursuivra, malgré la récente cessation des hostilités frontalières avec la Chine. Au cours de son premier mandat, M. Trump a renforcé la « Quad » (États-Unis, Inde, Japon et Australie) et il accorde une grande importance à ses relations avec le Premier ministre indien Narendra Modi. Les États-Unis resteront l’une des principales sources d’investissements étrangers de l’Inde, tandis que les IDE en provenance de la Chine ne devraient pas rebondir. L’absence de règlement frontalier permanent empêchera les liens économiques entre l’Inde et la Chine de revenir à la normale.