La Corée du Nord apporte un soutien humain et logistique à la Russie dans sa guerre en Ukraine. Une aide qui démontre la recomposition mondiale en cours.
Il aura fallu attendre le 26 avril 2025 et une conversation entre Vladimir Poutine et Valeri Guerassimov, chef de l’état-major russe, pour que le rôle des troupes nord-coréennes dans le conflit opposant la Russie à l’Ukraine soit enfin reconnu par Moscou[1]. En remerciant les hommes de Pyongyang pour leur concours, le général a ainsi officialisé une réalité que personne n’ignorait au vu des nombreuses alertes lancées par l’Ukraine et la Corée du Sud depuis plusieurs mois.
La reconnaissance officielle de cet appui militaire qui s’intensifie n’est pas un phénomène isolé, mais l’illustration du rapprochement croissant entre les deux puissances. Pyongyang et Moscou, unis par une vision anti-occidentale commune et une appétence certaine pour le révisionnisme géopolitique, entendent bien pérenniser cette collaboration et l’étendre au-delà du seul domaine militaire.
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Comme l’indiquait Vladimir Poutine le 28 avril dernier : « Nous sommes confiants dans le fait que ces relations d’amitié, de bon voisinage et de coopération entre nos pays, forgées sur le champ de bataille, continueront de se développer ».
Un soutien militaire qui s’intensifie
Les prémices de cet appui militaire sont apparues quelques mois après le déclenchement de l’ « opération militaire spéciale » par le Kremlin, alors que les soldats russes essuyaient de lourdes pertes au gré des tentatives de prise de contrôle de positions stratégiques ukrainiennes. Selon The Economist, 15 000 soldats russes avaient été tués après cinq mois de conflit, soit environ une centaine par jour[2]. C’est dans ce contexte qu’une aide en provenance de Pyongyang fut évoquée à la télévision russe. Igor Korotchenko, expert en matière de défense, expliquait ainsi sur Russia Channel One que « des rapports font état de 100 000 volontaires nord-coréens prêts à prendre part au conflit »[3].
Confirmé il y a peu par l’agence d’état nord-coréenne KCNA[4], ce soutien, même s’il reste très éloigné du chiffre de 100 000 soldats, s’est avéré une aide substantielle pour les forces moscovites dans les régions de Koursk et de Belgorod, toutes deux situées en territoire russe. Reuters, qui relaie des sources sud-coréennes, a en effet estimé qu’un total de 15 000 soldats avaient été dépêchés par Kim Jong-un dans les territoires russes[5]. Il semble cependant que ce déploiement ne réponde pas à la plus minutieuse des stratégies si l’on en croit les premiers bilans.
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D’après l’Institut pour l’étude de la guerre (Institute for the study of war), les troupes nord-coréennes subissent de lourdes pertes à Koursk en raison de l’absence de couverture par des véhicules blindés, mais aussi de leur utilisation par le commandement russe pour prendre d’assaut des positions âprement défendues[6]. Il faut ajouter à cela un manque de préparation et d’entraînement qui contribue à alourdir encore davantage les pertes nord-coréennes. Les témoignages de deux soldats capturés par l’armée ukrainienne sont à cet égard édifiants et mettent en lumière le degré d’endoctrinement infligé à des hommes qui ignorent tout du combat qu’on leur demande de mener, jusqu’à l’identité de leurs ennemis qui leur avaient été présentés comme des Sud-coréens se battant pour les Ukrainiens[7].
Toutefois, l’aide apportée par Pyongyang comprend également la livraison d’armes et de munitions et c’est certainement ce point qui préoccupe le plus Kiev. Kim Jong-un aurait ainsi envoyé entre 10 000 et 16 500 containers par bateaux, selon différentes sources ; les rapports les plus récents font état de 16 000 containers[8]. Ces derniers contiennent surtout des obus et des roquettes. Selon Reuters et Open Source Centre, qui ont diligenté cette enquête, 70% des munitions utilisées par l’artillerie russe proviennent de la Corée du Nord. Bien que ces obus ne soient pas de la meilleure qualité, ils permettent à Moscou de maintenir l’intensité de ses bombardements. Parallèlement, près de 400 ingénieurs nord-coréens auraient accompagné la livraison de missiles afin d’en optimiser l’utilisation[9].
Ce soutien militaire est la conséquence directe d’un partenariat signé le 19 juin 2024 par la Corée du Nord et la Russie. La coopération entre les deux pays signataires semble cependant devoir s’étendre à d’autres secteurs.
Un rapprochement qui dépasse le contexte du conflit ukrainien
Ce partenariat de défense mutuelle en date du 19 juin 2024 prévoit que les deux pays se porteront assistance en cas d’attaque contre l’un des signataires. La présence nord-coréenne dans les régions russes de Koursk et de Belgorod est l’application logique de cet accord bilatéral. Néanmoins, celui-ci doit davantage être vu comme un message destiné à l’Occident dans la mesure où il ne fait qu’entériner une relation préexistante sans prévoir d’automaticité dans les interventions militaires en cas d’attaque ou d’invasion. Une telle relation avait par exemple déjà pu se manifester dans le domaine spatial lorsque Séoul avait révélé la présence de techniciens russes vraisemblablement venus en Corée du Nord pour apporter leur expertise dans le lancement de nouveaux satellites espions[10].
Le conflit opposant la Russie à l’Ukraine a été un facteur déterminant dans l’accélération de ces relations, Kim Jong-un y voyant un moyen de poursuivre deux objectifs a priori contradictoires : le développement de son arsenal nucléaire, qui comprendrait pour l’instant environ 50 ogives nucléaires[11], mais aussi la relance d’une économie moribonde.
Depuis 2006, le Conseil de Sécurité des Nations Unies a pris une douzaine de sanctions à l’encontre de Pyongyang afin de conduire Kim Jong-un à cesser son programme nucléaire[12]. Il faut ajouter à cela les sanctions unilatérales décidées par les Etats-Unis. Bien que de telles mesures aient fortement perturbé l’économie nord-coréenne en interdisant notamment tout commerce d’armes et d’équipement militaire ou en gelant les actifs financiers de citoyens nord-coréens liés au programme nucléaire, le régime n’a fait aucun pas vers la dénucléarisation.
La vente de son surplus de munitions à Moscou est à ce titre l’occasion pour Pyongyang de contourner les sanctions pesant sur son économie, mais aussi de diversifier ses partenaires commerciaux qui se limitaient jusqu’ici quasi exclusivement à la Chine. Selon le New York Times, la vente d’armes à la Russie aurait rapporté 5,5 milliards de dollars à la Corée du Nord. De plus, alors que les exportations du pays représentaient 330 millions de dollars en 2023, le déploiement de ses troupes en Russie pourrait représenter un gain annuel de 572 millions de dollars pour Pyongyang[13]. Désormais soutenue par la Russie, qui refuse d’appuyer de nouvelles sanctions prises par les Nations Unies, la Corée du Nord dispose de davantage de latitude pour poursuivre le développement de son arsenal nucléaire.
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Outre une assistance technologique et l’ouverture d’une nouvelle voie économique amoindrissant de fait les sanctions financières prises à son encontre, le conflit ukrainien est aussi l’opportunité pour Kim Jong-un, qui se réfère fréquemment au concept de « neo-cold war » pour décrire les rapports mondiaux actuels, de prendre une nouvelle dimension sur la scène géopolitique. Désireux de mettre un terme à la domination de l’Occident et à l’hégémonie américaine, Kim Jong-un rappelait ainsi, le 19 juin 2024, sa volonté de « devenir une force accélérant la création d’un monde multipolaire, libre de toute domination, esclavage, hégémonie et violence »[14]. Cela serait l’occasion pour son pays, du fait notamment de son alliance avec la Russie de Vladimir Putin, de jouer un rôle de premier plan dans un nouvel ordre mondial qui verrait la fin du rules based order en vigueur depuis la fin de la seconde guerre mondiale.
La validation de cette hypothèse permettrait au chef suprême de la Corée du Nord de laisser libre cours à ses velléités expansionnistes alimentées par un révisionnisme géopolitique partagé avec Vladimir Putin et qui pourraient, à terme, constituer une menace sérieuse pour la Corée du Sud. En attendant la concrétisation éventuelle d’un tel scénario, la collaboration entre Moscou et Pyongyang continue de se développer, comme en témoigne la construction en cours d’un pont routier enjambant le fleuve Tumen afin de relier les deux pays[15].
[1] https://www.nbcnews.com/world/ukraine/russia-confirms-north-korean-troops-kursk-rcna203137
[2] https://www.economist.com/europe/2022/07/24/how-heavy-are-russian-casualties-in-ukraine
[3] https://nypost.com/2022/08/05/russian-state-tv-north-korea-offers-kremlin-100000-troops/
[4] https://www.lefigaro.fr/international/la-coree-du-nord-confirme-pour-la-premiere-fois-le-deploiement-de-troupes-en-russie-20250428
[5] https://www.reuters.com/world/about-600-north-koreans-killed-ukraine-war-south-korean-lawmaker-says-2025-04-30/
[6] https://www.understandingwar.org/backgrounder/russian-offensive-campaign-assessment-december-16-2024
[7] https://www.wsj.com/world/north-korean-soldier-prisoners-ukraine-0ac12ca2?mod=article_inline
[8] https://www.theguardian.com/world/2025/apr/25/how-north-korea-arms-russia-in-ukraine-war
[9] https://www.wsj.com/world/asia/ukraine-says-north-korea-has-growing-role-in-war-2c28e17a?mod=Searchresults_pos13&page=2
[10] https://www.wsj.com/world/asia/north-koreas-fiery-spy-satellite-test-shows-more-than-failure-d1b72e0f?mod=article_inline
[11] https://www.armscontrol.org/factsheets/arms-control-and-proliferation-profile-north-korea
[12] https://www.cfr.org/backgrounder/north-korea-sanctions-un-nuclear-weapons
[13] https://www.nytimes.com/2024/12/17/world/asia/north-korea-russia-military-deal.html
[14] https://www.americanrhetoric.com/speeches/vladimirputinkimjongunpressconference.htm