La levée des sanctions contre la Syrie a surpris. Pourtant, cela s’inscrit dans un certain pragmatisme des Etats-Unis qui cherchent à maintenir leur influence dans la zone.
Par Farid Jeanbart, Docteur en géographie.
Après la méfiance américaine à l’égard du nouveau régime syrien, contrôlé par le HTC (Organisation de libération du Levant) qui a renversé le régime des Assad le 8 décembre 2024, le président américain Donald Trump a décidé de geler la sanction à l’égard de la Syrie depuis la capitale saoudienne Ryad, le 14 mai 2025. Cette décision a surpris les décideurs politiques occidentaux et arabes, tant par sa rapidité que par la rencontre directe du président américain avec l’ex-leader d’Al-Qaïda Ahmad al-Charaa, devenu l’homme fort de la Syrie. Quels enjeux attendent ce gel des sanctions ? Est-il vraiment efficace et pour quelles raisons l’administration Trump a-t-elle décidé d’entamer le processus de la levée des sanctions ?
Une décision réfléchie et pragmatique
Contrairement à ce que l’on pense, la décision du gel des sanctions[1] n’est pas venue du jour au lendemain. Depuis la chute du régime, le ministère des Affaires étrangères de la nouvelle Syrie accueille des délégations américaines régulièrement[2]. Des négociations sont entamées et dirigées, côté syrien, par Assaad al-Chaibani, le ministre des Affaires étrangères depuis la chute du régime des Assad, et le bras politique d’Ahmad al-Charaa. La visite de deux sénateurs américains, Corry Milles et Marlin Stutzman[3], à Damas, mi-avril 2025, et leur rencontre avec le nouveau président syrien témoigne de l’intention américaine de s’engager avec la Syrie et de l’inclure dans les accords abrahamiques sur le moyen terme[4]. Dans ce contexte, il ne faut pas oublier que les États-Unis ont contribué à la chute du régime des Assad en poussant les forces démocratiques syriennes[5] à fermer les frontières entre la Syrie et l’Irak, afin d’empêcher tout soutien logistique et militaire iranien, surtout à travers les forces de mobilisations irakiennes[6].
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Malgré ces engagements américains avec le nouveau régime syrien, les États-Unis voient la Syrie sous l’angle du contre-terrorisme. Le gel des sanctions a pour fonction de stabiliser la Syrie et d’empêcher la résurgence de l’organisation de l’État islamique. Marco Rubio, le Secrétaire d’État de Donald Trump, lors d’une intervention auprès du congrès le 20 mai 2025, précise que la levée des sanctions a pour but de stabiliser la Syrie, car le pays est au bord d’une guerre civile totale, et que la seule solution est de donner une chance aux nouvelles autorités syriennes afin d’empêcher l’effondrement total du pays[7]. Les États-Unis considèrent toujours que la nouvelle Syrie présente un danger terroriste. La résolution du conseil de sécurité des Nations – Unies 1267, qui considèrent les leaders du HTC comme terroristes, est toujours en place, ainsi que des sanctions américaines visant Ahmad al-Charaa lui-même. Mais les États-Unis préfèrent suivre la voie réaliste avec le nouveau régime syrien, en s’engageant avec lui afin de le « libéraliser », surtout sur le plan économique.
Une liste de demandes exigeantes
Le gel des sanctions est accompagné par une liste de demandes américaines. Les principales demandes sont la destruction des armes chimiques restantes du régime d’Assad, la lutte contre le terrorisme, en particulier l’État islamique, et la résolution du problème des combattants étrangers. La dernière demande est problématique pour le nouveau régime syrien. Selon certaines estimations, le nombre de combattants étrangers, en grande partie originaires d’ex-républiques soviétiques ou du Xinjiang chinois, une région à majorité musulmane où se trouvent des mouvements indépendantistes, varierait entre 3 000 et 5 000. Mais nous pensons que le nombre est beaucoup plus élevé, sans tenir compte des combattants étrangers des combattants de l’État islamique. L’auteur de cet article lui-même a vu des dizaines de combattants étrangers (principalement asiatiques) à la Mosquée des Omeyyades et aux barrages militaires dans Damas. Ces combattants sont le bras de force du nouveau président syrien, et maintenant ils sont intégrés au sein de l’armée syrienne. La plupart de ces combattants aussi sont mariés à des Syriennes, parlent l’arabe, ont des business en Syrie et craignent de retourner dans leurs propres pays, puisqu’ils sont considérés comme terroristes. Tenant compte de ces difficultés, l’administration américaine a accepté l’intégration des combattants étrangers au sein de la nouvelle armée syrienne[8], sous une seule brigade formée appartenant au ministère de la Défense. Puisqu’ils sont considérés comme terroristes, surtout par les pays occidentaux, ces derniers n’ont aucun mal à accepter de naturaliser les combattants étrangers, les assimiler complètement à la société syrienne et les maintenir sous un contrôle strict du nouveau régime syrien. Les États-Unis travaillent avec les nouvelles autorités de la Syrie pour assurer que le plan de l’intégration des combattants étrangers en Syrie par les nouvelles autorités syriennes se déroule d’une bonne manière.
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Conclusion
Les États-Unis adoptent de plus en plus une approche pragmatique et réaliste au Moyen-Orient, surtout au Levant, qui est une zone périphérique dont la fonction principale est la protection du golfe arabo-persique. Dans un monde multipolaire en formation, Les États-Unis préfèrent minimiser ses interventions dans les régions périphériques, comme le levant, en jouant l’équilibrage à distance[9]. Le gel des sanctions sur la Syrie se situe dans ce contexte. Se débarrassant d’un régime pro-iranien, la Syrie est maintenant beaucoup plus coopérative avec les États-Unis, surtout que le pays est achevé sur le plan économique et militaire. En outre, la Syrie n’a pas d’importance stratégique. Il vaut mieux adopter une attitude constructive envers le nouveau régime islamiste. Reste à savoir si ce régime est capable à résoudre les problèmes systémiques existant à l’intérieur de lui-même, comme les factions extrémistes, refusant toute normalisation avec les États – Unis, les massacres à l’égard des minorités, surtout la minorité alaouite et les tensions régionales grandissantes, faisant de la Syrie un terrain de conflits permanents.
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[1] Nous parlons d’un gel de sanctions car le président américain a le droit seulement d’arrêter les sanctions provenant des ordres exécutifs de la présidence américaine. Les sanctions du Congrès américain, tel que caesar act, a besoin d’un long processus bureaucratique et des négociations entre les démocrates et les républicains, ainsi que la Maison-Blanche. Les Américains parlent plutôt d’exemption des sanctions de 180 jours renouvelable.
[2] L’auteur de l’article lui-même a parlé avec des diplomates du département des deux Amériques du ministère des Affaires étrangères, qui ont confirmé que le nouveau directeur du département s’engage et dialogue avec des délégations américaines. Sans bien sûr, la présence des anciens diplomates gradés de l’ancien régime.
[3] Membres du parti républicain, Milles est entrepreneur en secteurs de défense et de sécurité. Il est membre aux commissions des affaires étrangères et des services armés de la Chambre des représentants du congrès. Quant à Stutzman, il est connu pour ses grands business dans les domaines de l’agriculture et les espaces de restauration. Ce dernier est membre dans plusieurs comités concernant l’économie et le financement de la technologie.
[4] Mille affirme sur la chaîne Sky News Arabia que le président Trump souhaite étendre les accords abrahamiques pour inclure la Syrie. Voir Un membre du Congrès sur la Syrie : Nous cherchons à étendre les accords d’Abraham, Sky News Arabia, Abu Dhabi, 18 avril 2025.
[5] Une coalition militaire construite en 2015 dont la majorité de ses dirigeants sont kurdes. Les FDS sont présents principalement au nord de la Syrie. La direction kurde des FDS demande une mode de gouvernement non centralisée et fédérales, ce que le nouveau régime syrien, comme l’ancien, n’accepte pas.
[6] Les FDS ont pris le contrôle du poste-frontière d’al-boukamal, le 7 décembre 2024, se situant à la frontière syro-irakienne. Elles ont profité de l’effondrement du régime syrien pour s’emparer du reste de la ville de Deir Ez-Zor’ qui est situé sur les rives de l’Euphrate. Voir Salim Hassan, « Les FDS contrôlent le poste-frontière d’al-boukamal sur la frontière syro-irakienne », Alarabi aljadid, Londres, 7 décembre 2024. En fait, d’après les rencontres du chercheur avec des diplomates et des responsables syriens, les FDS ont contrôlé les frontières début décembre afin d’empêcher les forces de mobilisations irakiennes d’entrer en Syrie pour défendre le régime syrien.
[7] Intervention du Secrétaire d’État américain Marco Rubio le 20/05/2025 devant un comité du Sénat américain, https://www.youtube.com/watch?v=gO3ZbXIV1AA.
[8] Madjid Zerrouky, « Les États-Unis donnent leur aval pour que la Syrie intègre les ex-combattants djihadistes étrangers à son armée », Le Monde, Paris, publié le 3 juin 2025.
[9] Farid Jeanbart, La politique étrangère américaine au Moyen-Orient : entre réalisme et idéalisme politiques, thèse du doctorat de l’auteur soutenu le 03/04/2025.