<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Confession d’un Padre de légende

22 juin 2025

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Confession d’un Padre de légende

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Entretien avec le père Yannick Lallemand, aumônier parachutiste, déployé sur de nombreux théâtres d’opération. 

Le père Yannick Lallemand est une personnalité hors du commun, toujours dans l’action. Soldat, prêtre, missionnaire en Afrique, aumônier militaire, parachutiste, chasseur alpin et légionnaire, il a consacré sa vie à ses frères d’armes, en garnison, comme sur les théâtres de crise ou de guerre (Kolwezi, Tchad, Liban, Nouvelle-Calédonie). En octobre 1983, il est à Beyrouth, lors de l’attentat contre le poste Drakkar (58 parachutistes français tués). « Prêtre au cœur transpercé », il n’aura dès lors plus de larmes pour pleurer. Plus tard missionnaire dans les immensités désertiques du Tchad, il s’abandonnera à la plénitude de sa vocation dans un dénuement extrême, tel son modèle, saint Charles de Foucauld.

Article paru dans le N°57 de Conflits. 

La Légion étrangère fut la grande affaire de sa vie : « Je leur parle, sans jamais leur faire la morale. Je les écoute. Je réchauffe les âmes de ces gaillards, au point que certains disent qu’ils “iraient en enfer avec moi”. Je préfère, de très loin, les emmener au ciel. » Lors de la fête de Camerone de 2023, il fut désigné porteur de la main du capitaine Danjou, le titre le plus glorieux de la Légion étrangère.

Grand officier de la Légion d’honneur, il livre aujourd’hui son autobiographie, rédigée avec Frédéric Pons, journaliste, reporter de guerre. Ce témoignage profond, émouvant, est celui d’un homme de foi engagé au côté des soldats, porté par le don de soi et le dévouement aux autres, de celui qui est souvent décrit comme « un aumônier de légende ». Padre. Mémoires d’un aumônier militaire, par Yannick Lallemand, avec Frédéric Pons, Tallandier, 304 pages, 21,90 €.

À quoi sert un aumônier militaire ?

C’est une question à poser à tous ceux qui sont aumôniers de prison, d’hôpital… Là où il y a des personnes, il y a de la place pour un aumônier. L’homme n’est pas qu’un corps, qu’une chair. Il a une intelligence, un esprit, une foi en quelque chose, en quelqu’un. L’aumônier est là pour répondre aux besoins spirituels de ces hommes, de ces femmes, qui ont une âme et qui engagent leur vie au service de la France. Comme ils ont tous un cœur pour aimer, ils ont tous une âme à sauver.

Que peuvent attendre les soldats, souvent non croyants, d’un aumônier ?

L’aumônier est la seule personne hors hiérarchie. C’est quelqu’un qui a le sourire, qui est heureux de servir la France avec ses soldats, qui est l’ami du plus grand nombre, pour lequel chaque soldat est unique, avec ses richesses et ses défauts, qui est aimé par Dieu, même s’il est incroyant. L’aumônier est pour tous l’homme qui prend le temps de l’accueil, de l’écoute, de la patience, de la joie intérieure. Il est l’homme ou la femme qui parle différemment des autres cadres.

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Être aumônier à la Légion, est-ce très différent que dans l’armée régulière ?

Différent, peut-être pas, mais il faut un savoir-faire adapté au légionnaire qui a quitté un pays, une famille, des amis, un métier, qui a connu, pour arriver à la Légion, un chemin parsemé d’obstacles. L’aumônier participe à l’accueil de ces jeunes qui arrivent à Aubagne dans un monde inconnu. L’aumônier est bien présent le week-end pour être à la même table que ces étrangers, parle avec l’un ou l’autre, surtout les francophones, simplement, à chaque repas. Une petite croix indique à l’un ou l’autre qui est cet homme plus âgé qui est là. Pour un Mongol, un Chinois, un Népalais, c’est souvent la première fois qu’ils rencontrent de près un religieux. Un homme qui rassure par une présence calme, attentive, prête à rendre service…

Quelle image doit-il donner ?

Relisez la phrase de saint Mathieu : « J’étais un étranger et vous m’avez accueilli. » L’aumônier doit révéler celui qui l’a appelé un jour et envoyé pour servir. Si cet homme ou cette femme rayonnent de bonté, alors de quelle immense bonté doit être celui qu’ils ont la joie de suivre ? Le jeune légionnaire, dès son arrivée, doit vite comprendre que la Légion a des religieux qui servent dans ses rangs, que l’aumônier est au service des légionnaires et qu’il en retrouvera dans la plupart des régiments : l’homme qui rassure, lui comme les familles.

Un aumônier doit-il être vraiment breveté parachutiste pour servir dans les troupes paras ?

Mon humble expérience me fait dire qu’un aumônier chez les chasseurs alpins, s’il ne sait pas faire de ski, n’aura que des contacts limités avec ses soldats qui sont six mois de l’année sur leurs skis. Il ne pourra pas participer aux compétitions entre bataillons alpins, et restera en dehors de leurs joies, comme de leurs échecs. De même avec les parachutistes, surtout avec les légionnaires de Calvi. Tous les quinze jours, arrivent des jeunes. L’aumônier doit participer à leur brevet militaire : six sauts, dont un saut de nuit. Si l’aumônier commence, il doit aller jusqu’au bout. À Calvi, tout commence par un saut, les manœuvres sur le continent, en particulier. Si l’aumônier ne saute pas, il reste au quartier comme ceux qui montent la garde : influence très réduite, surtout s’il n’est pas breveté. L’aumônier doit sauter le plus souvent possible, être à l’aise dans l’avion, qui plus est pour un saut opérationnel.

Un Padre a-t-il parfois peur sur le terrain ?

Il a beau vivre avec les paroles de Jésus – « N’ayez pas peur, soyez sans crainte » –, la fatigue peut être présente, une mauvaise nouvelle, des exercices difficiles et périlleux. Oui, il peut avoir peur, mais il doit le montrer le moins du monde.

Pourquoi ?

Parce qu’il fait partie de l’encadrement qui doit montrer l’exemple. Allez ! On y va ! Et on fait confiance aux cadres instructeurs, au matériel, et… au ciel. Et on part.

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Comment le Padre peut-il expliquer la mort d’un soldat à ses camarades ?

À l’entraînement, au combat, dans un accident, chaque cas est différent. Mais un soldat ne meurt jamais pour rien. Au combat, il est mort en donnant sa vie pour les autres, pour des populations qui étaient dans la souffrance, qu’il fallait secourir. « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour les autres. » Il est mort pour des valeurs qui nous dépassent, mais qui sont si utiles : la défense de la paix, de la liberté des peuples, liberté de conscience et de religion, pour la dignité et le travail de chacun, pour le respect de tous. La mort de notre camarade fait partie de ces semences d’amour jetées au service de tel pays et, nous en sommes sûrs, ces semences donneront enfin de beaux fruits pour le bonheur de tous. « Non, je ne meurs pas, disait sainte Thérèse, j’entre dans la Vraie Vie. » Tout soldat, mort au combat, meurt pour la France.

Quelle est la mission qui vous a le plus marqué ?

Beyrouth, 1983-1984 ! 72 tués, tous paras, et deux marins, morts en hélico, lors d’un vol de nuit, en mer. Tous ces jeunes paras, je les connaissais. Je les avais même encouragés à venir au Liban. Nous étions de la même unité, le 1er régiment de chasseurs parachutistes basé à Pau, aujourd’hui à Pamiers (Ariège). À Beyrouth, j’avais passé deux jours et deux nuits avec eux, dans leur poste Drakkar qui sera anéanti le 23 octobre 1983. J’avais marié l’un, baptisé l’enfant de l’autre. Nous avions animé ensemble la fête de la Saint-Michel, en septembre 1983.

Pourquoi dites-vous que cette mission de Beyrouth reste à jamais votre croix ?

Jésus nous a bien dit que « mon chemin passait par la souffrance ». Oui, ce fut très dur d’encourager tous ces jeunes du poste Drakkar à tenir coûte que coûte, sachant qu’ils allaient tous mourir. Quel gâchis ! Cette belle jeunesse française venue au secours des Libanais, en guerre depuis huit ans. Nous n’étions pas préparés au terrorisme, pas préparés à ce conflit face à des ennemis invisibles que notre présence gênait dans tous leurs trafics. On ne sort pas indemnes de tout ce que nous avons vécu au Liban et pour les Libanais.

Que retenez-vous plus précisément de l’opération de Kolwezi, en mai 1978 ?

L’aumônier n’a pas de place prévue. C’est donc sur la volonté du chef de corps que je pars, nommé brancardier. Je voyagerai à côté de lui, et je sauterai au-dessus de Kolwezi, derrière lui, avant d’atterrir sur un cadavre d’Africain. Très vite, les premiers blessés arrivent. Le médecin diagnostique, l’infirmier soigne. Tout le monde se retrouve dans la même salle. L’aumônier est avec eux, donne à boire, aide à manger les rations, lave les treillis pleins de sang, amène jusqu’aux toilettes…

Il y a les premiers morts…

Oui. Les premiers tués sont confiés à l’aumônier, le médecin ayant de trop nombreux blessés à traiter. Les combats ayant diminué, le médecin me demande d’organiser le rapatriement des blessés et des malades de l’hôpital civil vers un hôpital voisin avec des médecins et du personnel soignant. Trois convoyeuses de l’air s’en occupent au cours du vol. Avant les premiers retours sur Calvi, une messe est célébrée en souvenir de nos cinq tués, morts pour la France à Kolwezi, et de toutes les autres victimes tuées, civiles ou militaires. Ce fut une belle opération humanitaire, rendue possible dans l’urgence, malgré tous les obstacles. Les massacres ont été stoppés, grâce à nos légionnaires parachutistes de très haut niveau opérationnel,

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Pourquoi avez-vous quitté l’aumônerie, en 1986, pendant près de dix ans pour aller au Tchad ?

Au cours de l’opération Manta au Tchad, j’avais rencontré des soldats tchadiens chrétiens. Ils m’avaient dit : « Nous avons soif du bon Dieu, nous avons faim de sa Parole, de Jésus-hostie, de la confession. Or, depuis dix ans, nous n’avons pas vu de prêtre» Aussitôt, sous l’influence de l’Esprit Saint, ma vie a changé : « Il faut tout quitter, famille, pays amis. Car la moisson est abondante les ouvriers peu nombreux. »

Quel a été votre apostolat dans le nord du Tchad ?

J’ai été le seul blanc sur un territoire désertique grand comme la France, dans cet immense nord du Tchad. J’ai évangélisé et construit des églises et des chapelles. J’ai soutenu des familles entières, des veuves de guerre. Près de dix ans de ma vie, dont je suis revenu épuisé.

Pourquoi êtes-vous revenu dans l’aumônerie militaire ensuite ?

J’avais une grande expérience acquise d’homme de Dieu, de serviteur de l’Église, dans les communautés militaires, proche des soldats, des sous-officiers, des officiers et des familles. Je l’ai mise au service de mon affectation, à l’École d’application de l’infanterie de Montpellier et du Commissariat de l’armée de terre.

Et de nouveau, ce fut la Légion…

Oui, au bout de cinq ans, au 4e régiment étranger à Castelnaudary, auprès des jeunes légionnaires venant de 146 pays différents. Je fus alors l’humble compagnon de tous ces jeunes venus servir la France et commencer une nouvelle vie.

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À propos de l’auteur
Frédéric Pons

Frédéric Pons

Journaliste, professeur à l'ESM Saint-Cyr et conférencier.

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