Russie : une économie empêtrée dans l’inflation

22 août 2025

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Photo : Vladimir Poutine et Kim Jong Un (Vladimir Smirnov, Sputnik, Kremlin Pool Photo via AP, File)

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Russie : une économie empêtrée dans l’inflation

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La Banque centrale de Russie tente de juguler l’inflation en augmentant ses taux directeurs. Mais cela provoque une surchauffe de l’économie et un risque de récession. D’autant que les capacités productives sont de plus en plus restreintes.

Dans un entretien accordé à Rossijskaya Gazeta le 21 août 2025, Andréï Gangan, directeur du département de politique monétaire de la Banque centrale de Russie, a détaillé les perspectives économiques du pays. Entre forte inflation et baisse de la productivité, de premiers signes de récession se font sentir.

La Russie touchée par l’inflation

La Russie est touchée par l’inflation, qui concerne notamment les produits de première nécessité, tels la betterave, les pommes de terre et les concombres, légumes utilisés pour la production du bortch.

L’inflation est causée par la perte de valeur de la monnaie, le rouble, à cause de l’accroissement de la production monétaire réalisée afin de soutenir l’effort de guerre.

En clair, le gouvernement produit de la monnaie pour payer les dépenses de guerre. Mais cette monnaie produite fait baisser la valeur du rouble, ce qui entraîne de l’inflation. Pour la contrer, la Banque centrale de Russie a augmenté son taux directeur. Des succès sont enregistrés, car, ces derniers mois, les chiffres de l’inflation en Russie ont montré des signes de ralentissement. Toutefois, selon Andréï Gangan, il est prématuré de considérer la bataille comme gagnée. « Il est trop tôt pour se féliciter. Il faut atteindre une stabilisation durable de la tendance déflationniste », prévient-il.

La baisse récente de certains prix alimentaires, comme les pommes de terre ou les légumes, s’explique selon lui par une correction après de fortes hausses antérieures. En revanche, de nombreux biens et services restent volatils, ce qui pèse directement sur le pouvoir d’achat des ménages.

Des chiffres contrastés

L’analyse de la Banque de Russie distingue plusieurs niveaux d’inflation. En intégrant la hausse des tarifs des services publics et des produits agricoles sensibles, l’inflation annuelle atteint environ 8,5 %. Mais en excluant ces composantes, le taux chute à 3,5 %, et la moyenne trimestrielle ressort à 4,5 %.

Ces écarts traduisent la difficulté de mesurer précisément la dynamique des prix. Pour Gangan, ils justifient la prudence : « Dans notre situation actuelle, face aux risques internes et externes, une politique monétaire rigoureuse est nécessaire. Cela signifie que le taux directeur doit rester significativement supérieur à l’inflation actuelle. »

Un taux directeur qui est actuellement de 18%, contre 2% pour celui de la BCE.

Si un taux directeur fort limite l’inflation en opérant une contraction de la masse monétaire, il nuit aussi aux investissements et il tarit les ressources financières des ménages et des entreprises.

Plus un taux directeur est élevé, plus le crédit est cher. La hausse des taux directeurs rend donc difficile l’obtention d’un crédit immobilier. Les prix de l’immobilier ont très fortement augmenté en Russie, notamment à cause de la hausse des prix des matières premières.

Les entreprises ont de plus en plus de difficultés à trouver des financements, ce qui pèse sur l’innovation et donc la croissance future.

La Banque centrale russe est donc prise dans un dilemme : nécessité d’augmenter les taux directeurs pour contenir l’inflation, mais impossibilité de les tenir élevés trop longtemps au risque d’aggraver la récession de l’économie russe.

Une trajectoire de baisse de l’inflation

Le scénario central de la Banque de Russie prévoit une inflation de 6 à 7 % en 2025, puis un retour vers l’objectif de 4 % au cours des années suivantes. En conséquence, la fourchette moyenne du taux directeur est estimée entre 16,3 et 18 % pour la période allant d’août à décembre 2025, avant une baisse vers 12 à 13 % en 2026.

Cette trajectoire reste toutefois indicative. « Le niveau exact du taux en fin d’année peut s’écarter de la fourchette. Si l’inflation ralentit plus vite, nous pourrons réduire plus tôt. Mais si les pressions persistent, nous devrons maintenir le taux élevé », souligne Gangan.

L’impact sur le logement

La question du logement est également au cœur des préoccupations. Le coût élevé de l’immobilier reste un frein pour de nombreux ménages. Gangan y voit une raison supplémentaire de lutter contre l’inflation : « Des prix élevés du logement constituent une autre raison pour laquelle nous avons besoin d’une inflation faible. Elle impacte aussi les prix des matériaux de construction et les salaires. »

Selon lui, la baisse de l’inflation et du taux directeur devrait progressivement améliorer les conditions de crédit immobilier. « À mesure que l’inflation et le taux directeur baisseront, les conditions de l’hypothèque sur le marché s’amélioreront », affirme-t-il. Il rappelle qu’entre 2017 et 2019, avec une inflation proche de 4 %, les taux hypothécaires non subventionnés s’étaient établis autour de 8 à 9 %, permettant un accès plus large sans créer de bulle spéculative.

Une économie en récession

Andreï Gangan confirme la récession de l’économie russe :

« Aujourd’hui, notre économie a utilisé la quasi-totalité de ses capacités de production, de sa logistique et de ses infrastructures, et surtout, la quasi-totalité de ses ressources humaines. Il est désormais difficile de trouver de nouveaux travailleurs. Nous avons besoin d’une pause et de nouvelles approches pour accroître la productivité du travail. Sans cela, toute la croissance des salaires sera inévitablement « engloutie » par l’inflation, et les travailleurs n’y gagneront rien. »

Difficulté de trouver de nouveaux travailleurs : c’est en effet l’un des grands problèmes de l’économie russe. Entre les hommes envoyés au front en Ukraine et ceux qui sont partis pour échapper à la guerre, la Russie manque de main-d’œuvre et son vivier se tarit. Cette phrase est lourde de conséquences pour les mois à venir : elle signifie que la Banque centrale de Russie reconnaît un plafonnement de l’économie. L’industrie militaire a-t-elle encore les moyens de produire des armes, peut-elle augmenter sa production ? Rien n’est dit ici, mais on peut supposer, à la lecture de ces propos, que cela n’est plus possible. Comme à l’époque de l’invasion de l’Afghanistan (1979-1988), il semblerait que la guerre en Ukraine épuise les capacités économiques de la Russie.

A quoi s’ajoute une baisse du prix du pétrole, aujourd’hui autour de 60 $ le baril. Or, le pétrole étant la principale ressource de la Russie, une baisse du prix du baril signifie une baisse des revenus. Et donc moins d’argent pour financer l’effort de guerre.

Le PIB de la Russie a certes augmenté, ce que souligne Andreï Guegan :

« Globalement, l’économie poursuivra sa croissance cette année et l’année prochaine. Les données préliminaires sur la croissance du PIB pour le premier trimestre 2025 sont de +1,4 %, et pour le deuxième de +1,1 %, avec une prévision de 1 à 2 % pour l’ensemble de l’année. La situation évolue conformément à nos attentes, même si les prévisions de printemps du ministère du Développement économique étaient légèrement supérieures, de +2,5 %. »

Mais la croissance du PIB est essentiellement soutenue par la création monétaire et l’économie de guerre, c’est-à-dire par l’augmentation des dépenses de l’État, ce qui accroît le déficit russe. Cette croissance du PIB n’est donc pas le signe d’une bonne santé de l’économie.

La fragilité de l’économie russe, que soulignent de nombreux acteurs officiels, est le tendon d’Achille de Moscou dans la guerre menée en Ukraine. Et un élément sur lequel pourraient s’appuyer les Européens pour faire plier Moscou.

Origine de la source : Rossijskaya Gazeta  est un journal fondé par le gouvernement russe en 1990. Les informations fournies sont donc fiables et reflètent la pensée et l’opinion du gouvernement.

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À propos de l’auteur
Jean-Baptiste Noé

Jean-Baptiste Noé

Docteur en histoire économique (Sorbonne-Université), professeur de géopolitique et d'économie politique à l'Ircom. Rédacteur en chef de Conflits.

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