Le drone « FPV » kamikaze : un bouleversement dans la guerre asymétrique

20 octobre 2025

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Le drone « FPV » kamikaze : un bouleversement dans la guerre asymétrique

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L’usage du drone FPV kamikaze par des groupes armés non étatiques est une pratique de plus en plus courante. Son emploi et son efficacité, notamment face à des armées conventionnelles se sont révélés être un atout non négligeable, et relativement abordable pour des acteurs aux ressources limitées. Cette arme à faible coût a récemment fait ses preuves dans divers terrains ; urbains, montagneux, mais également vastes et ouverts.

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La genèse

Le drone « FPV » (« First Person View ») ou « vue à la première personne » est issu du milieu droniste amateur, principalement utilisé dans des activités de loisir telles que des courses et parcours d’obstacles. Contrairement à des drones plus stables, principalement développés par la marque chinoise DJI, qui sont utilisés pour l’observation mais également le largage de charges et munitions explosives, le drone « FPV » se démarque par son agilité, sa vitesse et sa précision.
L’usage militarisé de ce type de drone a vu le jour au cours de la guerre en Ukraine, quelques mois après l’invasion russe du 24 février 2022. Sa première utilisation filmée date de juillet 2022.

Opérateur en train de piloter un drone. (C) Forces Démocratiques Syriennes

La caméra du drone diffuse des images vidéo en temps réel au pilote, qui contrôle l’appareil avec des lunettes connectées et une manette, offrant ainsi une perspective à la première personne depuis le point de vue du drone. Bien que dépourvu de système de stabilisation, l’appareil dispose d’une mobilité accrue, ce qui a poussé des unités spécialisées à le doter de charges explosives. Son système de détonation, placé à l’avant du drone, permet une explosion au moment de l’impact.

[roquette PG-7V]

Roquette PG-7R (C) @DronesForRojava

La munition utilisée est généralement une ogive (PG-7V, PG-7VL ou PG-VR) à charge creuse de lance-roquette russe RPG-7, du fait de la forme triangulaire de sa base avant dont la masse de la munition varie entre ~2 et 4,5kg.

« Vole comme un papillon, pique comme une abeille »

L’usage de ce drone s’est rapidement distingué comme un moyen de frapper des cibles mobiles humaines et matérielles, comme des véhicules blindés ou même des appareils volants, mais également d’atteindre des espaces partiellement fermés ou difficilement accessibles.
En effet, la mobilité du drone « FPV » kamikaze s’est révélée être un formidable outil pour frapper des bunkers, des positions fortifiées tout comme des hangars, en se faufilant par des petits orifices permettant de faire détoner la charge à l’intérieur de ces derniers.

Un drone FPV frappe un véhicule dans un hangar. (C) Forces Démocratiques Syriennes

Ce type de drone peut atteindre de manière précise des cibles dans tous types de terrains.
Idéal sur terrains plats avec peu de relief, il prouve également son efficacité dans des environnements. Le PKK (Parti des Travailleurs du Kurdistan) a notamment commencé à opérer des drones « FPV » kamikazes à l’été 2024, dans le cadre du conflit avec l’armée turque.
Les bases du PKK se trouvant principalement dans zones montagneuses, l’armée turque a construit des dizaines de bases militaires dans la région de Zap, située au nord de l’Irak (Province autonome du Kurdistan) et qui comporte des chaînes de montagnes.
Les unités combattantes du PKK ont donc développé l’usage des drones « FPV » kamikazes, issus du marché civil, afin de frapper les positions turques. Au travers des vidéos publiées sur leur site de propagande, « Gerîla TV », on constate des frappes relativement précises ciblant notamment du matériel de surveillance vidéo, ainsi que des baraquements et fortifications.

Image d’un drone FPV « kamikaze » du PKK sur le point de frapper une position montagneuse de l’armée turque sur les monts Qandil. Août 2024, Région autonome du Kurdistan, Iraq. (C) Gerîla TV

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La fronde de David contre la puissance de Goliath ?

Les conflits asymétriques se multiplient aujourd’hui dans le monde, principalement en Afrique et en Asie mais également en Amérique du Sud. Ces derniers opposent l’armée d’un État à une force combattante irrégulière, qui ne relève pas du même statut que son adversaire. De ce fait, l’asymétrie répond en grande partie de la différence de moyens militaires qui différencie les belligérants. En tout premier lieu, le budget de défense, mais également la possibilité de se fournir et d’opérer des véhicules militaires tels que des blindés terrestres, navals, aériens (hélicoptères, avions de chasse…), et plus rarement l’arme nucléaire. L’usage de plus en plus répandu des drones et leur facilité d’acquisition, sur le marché civil, ou de conception, grâce à une ingénierie rudimentaire, vient quelque peu bouleverser ce déséquilibre. En effet, cette nouvelle artillerie volante est de nos jours obtenable à faible coût, quelques centaines de dollars, et peut détruire des appareils ou véhicules dont la valeur s’élève à plusieurs millions.
Cette technologie est donc apparue comme une redoutable alternative pour des groupes n’ayant pas moyen de se procurer une aviation militaire. La possibilité de produire des drones « FPV » grâce à des imprimantes 3D et des composants électroniques facilement accessibles semblent avoir séduit plusieurs groupes non-étatiques, qui ont formé des pilotes à leur usage.

Technicien de HTS construisant un drone FPV.

Des images publiées par Hayat Tahrir al-Sham (HTS) lors de l’offensive contre l’Armée Arabe Syrienne fin 2024 ont montré un usage répété et une production locale de drones « FPV » kamikazes. Utilisés en amont d’attaques frontales, ils permettaient de frapper et détruire des véhicules blindés tels que des chars, mais également des positions retranchées ennemies.

Frappe sur un char de l’Armée Arabe Syrienne par la Brigade des faucons. Décembre 2024. (C) vidéo de propagande d’HTS

On constate également l’usage de drones « FPV » kamikazes par les Forces Démocratiques Syriennes (FDS), dans des frappes dirigées derrière la première ligne de front, sur les routes de ravitaillement et des bases ennemies abritant des véhicules, dépôts de munitions et soldats.

Les Forces Démocratiques Syriennes (FDS) ont également mis sur pied une unité de dronistes spécialisée dans l’usage du drone « FPV » kamikaze nommée « l’unité du martyr Haroun ».
Cette dernière est entrée en action en faisant face à l’offensive de l’Armée Nationale Syrienne (ANS) sur Manbij et lors de la bataille du barrage de Tichrine fin décembre 2024. Elle est jusqu’à présent, avec la brigade des faucons de HTS, l’exemple le plus abouti d’une véritable unité de dronistes, testée et éprouvée au combat, développée par une force armée non-étatique.
Les frappes de drones « FPV » kamikazes ont notamment permis aux FDS de contenir les assauts quotidiens de l’ANS, en immobilisant notamment leurs blindés ou en frappant les routes de ravitaillement.

Pilote s’entraînant sur un logiciel de simulation de pilotage de drones. (C) Drones For Rojava

Drones produits via l’imprimante 3D grâce aux dons. (C) Drones For Rojava

On peut remarquer une nette amélioration du pilotage des drones « FPV » kamikazes au fil de la bataille ainsi qu’un usage et une production accrue. Cela s’explique principalement par une initiative issue de la diaspora kurde en coopération avec l’unité, le projet « Drones for Rojava » qui a pour but de récolter des fonds et composantes pour la production de drones « FPV » ainsi que la formation de pilotes. Dans une vidéo publiée sur leur compte telegram, on peut y voir des pilotes s’entraînant sur un simulateur de drone « FPV », via une manette et un écran d’ordinateur.

Le drone « FPV » kamikaze se révèle être un vrai atout dans l’affaiblissement de positions, mais surtout dans l’attrition de forces ennemies, qu’elles soit matérielles ou humaines. Sa capacité à pouvoir atteindre des cibles au delà de la première ligne de front en fait également un véritable poids psychologique pour ceux qui doivent y faire face. En effet, le sentiment d’être « à l’abri » tend à s’estomper à l’approche du bruit distinctif généré par les ailettes mécanisées du drone. Au travers des vidéos publiées par les FDS au cours de la bataille du barrage de Tichrine, on constate petit à petit une certaine frénésie chez les soldats des différentes brigades de l’Armée Nationale Syrienne, ciblés sans relâche par des drones « FPV » kamikazes. Ces frappes sont opérées depuis des tunnels afin d’éviter tout repérage par les forces ennemies, notamment par les drones turcs Bayraktar TB-2 ou Akinci, porteurs de missiles guidés qui appuient de manière quasi continue l’ANS.

Un combattant des FDS en plein pilotage de drone FPV depuis un tunnel. (C) Centre de Presse des Forces Démocratiques Syriennes

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Une propagation mondiale

Le drone « FPV » kamikaze a plus récemment fait son entrée dans la guerre civile birmane.
Une unité de guerilla des Forces de défense du peuple (PDF), branche armée du gouvernement d’unité nationale en exil, a frappé un hélicoptère de la junte birmane en frappant les pales de l’engin.

L’hélicoptère de l’armée birmane est frappé au décollage par un drone FPV.

L’usage de ce type de drone est rapidement devenu un précieux atout pour les groupes armés non étatiques, s’illustrant pas la diversité de ses usages mais également des cibles et des milieux géographiques qu’il peut atteindre. Il apparaît également comme une abordable possibilité pour ces groupes d’acquérir une modeste aviation, avec la particularité que les appareils opérés ne disposent pas d’équipage.

À ce jour, l’utilisation du drone « FPV » kamikaze » a été recensé chez des groupes tels que le Hezbollah, le Hamas, Hayat Tahrir al-Sham (Brigade des faucons), les Forces Démocratiques Syriennes (Brigade du martyr Haroun), le PKK, les PDF, le MNLA (Mouvement National de Libération de l’Azawad), les Forces de routien rapide au Soudan (FSR) et même la branche somalienne de l’organisation État Islamique.

Il est certain que l’adoption du drone « FPV » kamikaze par de nombreux groupes armés non étatiques n’est qu’une question de temps et que sa prolifération ne sera qu’exponentielle.
En effet, l’usage de ce type de drone est destiné à croître, à mesure qu’il bouleverse la guerre moderne, il semble naturel qu’il vienne à son tour avoir un impact non-négligeable sur les conflits asymétriques, et ce par la facilité d’obtention de celui-ci ainsi que les résultats satisfaisants liés à son usage.

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À propos de l’auteur
Elie Cruz

Elie Cruz

Journaliste à Conflits

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Cachemire, zone de guerre

C’est l’histoire d’une région montagneuse, de trois empires et de rivalités séculaires. C’est l’histoire d’affrontements et de guerres, pour la possession de corridors, de lieux de passages et de symboles. À tous ceux qui pensent que les conflits n’existent pas, que la guerre est chose du passé, que les représentations ne structurent pas le monde, le Cachemire offre un démenti cinglant. Des frontières nées de la partition de l’Empire des Indes en 1947, des jeux de puissance, des intérêts politiques et voilà comment, depuis plus de quatre-vingt ans, le feu de la guerre brûle aux confins de l’Inde, du Pakistan et de la Chine.