En moins de quarante ans, la Chine est passée du statut de producteur périphérique à celui de maître incontesté de la filière mondiale. Son exécution progressive, extraction, intégration, consolidation, puis innovation, révèle une grande cohérence stratégique.
Depuis les années 1980, la Chine a mis en place une stratégie de domination progressive du secteur des terres rares, allant de la maîtrise de l’extraction à celle du raffinage et de la production d’aimants permanents. Cette stratégie s’inscrit dans la vision à long terme visant à assurer l’indépendance technologique, renforcer la sécurité nationale et disposer d’un levier géopolitique majeur.
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Une ressource naturelle abondante et exploitée précocement
La Chine dispose d’environ 37 % des réserves mondiales de terres rares, mais elle a longtemps souffert d’un manque de technologies de valorisation. Dès les années 1950, les premières prospections dans la région de Bayan Obo1, en Mongolie intérieure, révèlent un potentiel immense. À partir des années 1980, la Chine décide de transformer cet avantage géologique en atout industriel et stratégique.
Sous l’impulsion du leader Deng Xiaoping, l’exploitation minière est encouragée. Deng déclarait en 1992 : « Le Moyen-Orient a le pétrole, la Chine a les terres rares2 ». Cette phrase résume la vision stratégique du gouvernement chinois : faire des terres rares une arme économique et technologique équivalente à celle du pétrole pour les puissances énergétiques.
Une politique d’État centralisée et planifiée
Les terres rares sont rapidement intégrées aux plans quinquennaux chinois3. Dès le 7e plan (1986-1990), la Chine définit des objectifs de développement minier et d’exportation. Les années 1990 voient la mise en place d’entreprises d’État comme Baotou Steel Rare Earth Group, qui deviendra plus tard China Northern Rare Earth Group, principal acteur mondial du secteur.
L’État chinois joue un rôle d’architecte et de coordinateur, fixant les quotas de production, les licences d’exportation et les prix. Cette centralisation permet de subventionner la production et de favoriser les fusions industrielles.
La montée en puissance de la Chine (1990-2010)
Entre 1990 et 2010, la Chine passe de producteur marginal à quasi-monopole mondial. En 2010, elle assure environ 97 % de la production mondiale de terres rares, contre moins de 30 % vingt ans plus tôt.
Des entreprises comme China Minmetals, China Northern Rare Earth Group ou Ganzhou Rare Earth Group ont bénéficié de financements publics et de transferts technologiques. Le gouvernement a favorisé la création de clusters industriels dans des régions comme la Mongolie intérieure, le Jiangxi et le Sichuan.
En 2010, un incident diplomatique avec le Japon (autour de la souveraineté des îles Diaoyu) conduit la Chine à suspendre temporairement ses exportations de terres rares vers Tokyo4. Cet épisode révèle au monde la vulnérabilité des chaînes d’approvisionnement.

Mine de terres rares, Chine, 2010. (C) SIPA
La consolidation et la transition technologique (2010-2020)
Confrontée à une surproduction illégale massive et à une pollution croissante, la Chine réforme sa filière. Dès 2011, le gouvernement lance une campagne de réglementation et de consolidation. Sept grands groupes d’État sont désignés pour superviser l’ensemble du secteur, sous contrôle du ministère de l’Industrie et des Technologies de l’Information (MIIT).
Les années 2010 voient la Chine investir massivement dans les technologies avales : moteurs électriques, batteries, turbines, équipements électroniques. La stratégie ne vise plus seulement à être fournisseur de matières premières, mais leader des technologies utilisant ces métaux.
L’État encourage la recherche dans le recyclage des terres rares et le développement d’une économie circulaire, afin de sécuriser l’approvisionnement intérieur. Des programmes comme Made in China 2025 placent les terres rares au cœur de la montée en puissance industrielle nationale, notamment dans les secteurs : véhicules électriques, énergies renouvelables, robotique et défense.
La Chine étend aussi son influence à l’étranger, notamment en Afrique (notamment au Congo, en Tanzanie et à Madagascar) et en Asie du Sud-Est5, via des partenariats miniers. Ces initiatives, souvent intégrées à la Belt and Road Initiative (BRI), visent à diversifier les sources d’approvisionnement tout en maintenant la prééminence chinoise sur le raffinage.
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Les défis et la nouvelle ère (2020-2025)
La guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine (2018-2020) a ravivé les inquiétudes liées à la dépendance mondiale envers la Chine. Washington a classé les terres rares comme matières premières critiques et lancé des programmes de relance de la production nationale, notamment avec la réouverture de Mountain Pass.
Cependant, même si les États-Unis extraient à nouveau, le raffinage reste largement dominé par la Chine, qui contrôle encore environ 80 % du traitement mondial. L’Australie, via Lynas Corporation6, est l’un des rares producteurs alternatifs crédibles pour les terres rares légères, mais reste très limitée en capacité.
Sous la présidence de Xi Jinping, la stratégie des terres rares s’inscrit dans la logique de sécurité nationale et d’autonomie technologique. Le 14e plan quinquennal (2021-2025) fait des matériaux critiques un pilier du développement industriel.
La Chine met en œuvre plusieurs axes :
Fusion des conglomérats publics pour créer un géant national : China Rare Earth Group (2021), regroupant Minmetals, Aluminum Corporation of China (Chinalco) et Ganzhou Rare Earth Group7 ;
Renforcement du contrôle des exportations, avec une loi sur la sécurité des ressources stratégiques ;
Soutien à la recherche sur les matériaux de substitution et les procédés écologiques de raffinage.
La Chine cherche désormais à passer du statut de fournisseur à celui de leader technologique global. Elle domine déjà plus de 90 % du marché mondial des aimants permanents à base de néodyme, essentiels à la transition énergétique.

(c) AFP
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