<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Visite de Poutine en Inde : Moscou et New Delhi cherchent à réévaluer leur relation

2 décembre 2025

Temps de lecture : 4 minutes

Photo : c Alexander Demianchuk/TASS/Sipa USA/41549377/IB/2209161555

Abonnement Conflits

Visite de Poutine en Inde : Moscou et New Delhi cherchent à réévaluer leur relation

par

Le « partenariat stratégique spécial et privilégié » entre l’Inde et la Russie va trouver de nouveaux moyens de renforcer leurs relations alors que le président russe se rendra à New Delhi les 4 et 5 décembre pour le 23ᵉ sommet annuel Inde-Russie.

Bien que Modi et Poutine se soient rencontrés à plusieurs reprises ces dernières années, il s’agit de la première visite de Poutine depuis le début du conflit en Ukraine, après une interruption de quatre ans — sa dernière visite en Inde remontant à décembre 2021. C’est un événement rare, Poutine sortant rarement de Russie ; sa participation au sommet de l’OCS en Chine en septembre de cette année ayant été une autre exception.

L’Inde et la Russie disposent d’un mécanisme selon lequel le Premier ministre indien et le président russe tiennent chaque année un sommet pour examiner l’ensemble de leurs relations. À ce jour, 22 sommets annuels se sont tenus alternativement en Inde et en Russie.

La visite sera substantielle non seulement pour ce qui concerne le renforcement des relations bilatérales — qu’il s’agisse du commerce et de l’économie, de la sécurité et de la défense, de la science et de la technologie, ou d’autres domaines d’intérêt mutuel — mais elle revêt également une importance particulière compte tenu des relations tendues de New Delhi avec les États-Unis en raison des tarifs élevés imposés par le président Trump à l’Inde.

La visite de Poutine constitue un signal au monde, et en particulier à Trump (États-Unis), que les relations indo-russes reposent sur leur propre mérite, qu’elles ont résisté à l’épreuve du temps en tant que partenariat stratégique « tous temps », et qu’elles ne sont pas la conséquence de leurs relations avec d’autres pays, mais en sont largement indépendantes. Par exemple, les liens entre New Delhi et Moscou sont en grande partie indifférents à ceux de l’Inde avec l’Occident ou à ceux de la Russie avec la Chine.

Malgré la guerre en Ukraine, l’Inde n’a pas ouvertement critiqué — encore moins « condamné » — les actions de la Russie, veillant à ce que celle-ci ne soit pas totalement isolée. Elle a plutôt choisi une voie médiane, encourageant le dialogue et la diplomatie entre les deux parties.

À lire également

Taxes américaines : la réponse de l’Inde

Le commerce, sujet principal de la rencontre

L’accent sera mis sur le commerce, et en particulier sur la réduction du déficit commercial, sujet qui figurera en bonne place à l’ordre du jour. Les échanges bilatéraux ont augmenté de 1,8 fois par rapport à 2022, atteignant 68,7 milliards USD pour l’année fiscale 2024-25, faisant de la Russie le quatrième partenaire commercial de l’Inde. Les deux parties souhaitent porter ce chiffre à 100 milliards USD d’ici 2030.

Toutefois, les déséquilibres commerciaux demeurent un défi. Les importations indiennes en provenance de Russie se sont élevées à 63,84 milliards USD en 2024-25, contre seulement 4,88 milliards USD d’exportations.

Cette asymétrie, dans un rapport de 13 pour 1, est principalement due aux importations indiennes de pétrole brut russe. Les discussions pourraient également porter sur la question sensible du déclin apparent des importations énergétiques indiennes en provenance de Russie à la suite des tarifs punitifs imposés par Trump. L’Inde devra gérer cela avec une grande finesse, en plaçant ses propres intérêts au centre.

La défense, enjeu clé de la relation Inde-Russie

Un autre point clé de l’ordre du jour pourrait être la défense, en particulier les projets conjoints alignés sur l’initiative indienne « Make in India » et la volonté de développer une industrie de défense et d’armement indigène, impliquant une production locale dans les années à venir. Des discussions portent sur l’éventualité que l’Inde achète des systèmes de défense aérienne S-400 supplémentaires, ces armes ayant été très efficaces lors de son conflit avec le Pakistan.

Est également envisagée une offre de transfert de technologie des chasseurs russes Sukhoï (Su-57) de cinquième génération afin de renforcer la puissance aérienne indienne. Cela reflète la confiance mutuelle entre les deux pays, fondée sur un partenariat de défense de plus de six décennies. Cela pourrait ouvrir la voie à une coopération de défense conjointe et au développement d’un projet d’avion de combat de cinquième génération susceptible d’intéresser d’autres marchés du Sud global au-delà de l’Inde et de la Russie.

À lire également

La Russie nouveau fournisseur pétrolier de l’Inde

Réévaluer la relation

L’Inde et la Russie entretiennent une relation de longue date, leurs liens commerciaux et d’investissement remontant à l’époque soviétique. Au fil des années, les deux nations ont renforcé leur coopération économique. Le moment est venu pour elles de réévaluer leurs relations économiques — largement structurées autour des importations énergétiques indiennes.

L’urgence est de trouver des moyens d’accroître les investissements et la coopération scientifique et technologique entre les deux puissances.

Malgré cette visite, il est peu probable que l’Inde soit aisément attirée dans la sphère d’influence russe, ni qu’elle se tourne nettement vers les États-Unis ou l’Occident — compte tenu de leurs récents actes unilatéraux et de leurs doubles standards en matière de commerce et de politique étrangère. Pourtant, New Delhi aura besoin des deux pour maintenir son autonomie stratégique.

La visite du président russe revêt un poids économique, sécuritaire et géopolitique considérable, compte tenu du conflit en Ukraine et du réajustement de la politique étrangère indienne à la lumière des tarifs américains, ainsi que de sa quête d’un délicat rééquilibrage entre la Russie et l’Occident pour préserver ses propres intérêts dans un ordre mondial en mutation.

Cette visite renforcera le partenariat indo-russe mais conduira New Delhi à réfléchir davantage à sa posture future vis-à-vis des États-Unis et de l’Occident d’une part, et à ses efforts de rapprochement avec la Chine et son voisinage troublé d’autre part.

À lire également

Chine-Inde-Russie. Vers une « triangle anti-hégémonique »?

Mots-clefs : , ,

À propos de l’auteur
Mohit Anand

Mohit Anand

Dr Mohit Anand est professeur de commerce international et de stratégie à l'EM LYON, en France.

Voir aussi

Dépenses militaires : une bonne chose pour l’économie ?

Les pays européens s’interrogent aujourd’hui sur leur capacité à assurer leurs défenses nationales dans le contexte d’une menace russe et/ou d’un retrait américain. La question d’investir ou non dans des systèmes d’armement est politique et n’est pas abordée ici en tant que telle. Cet article porte exclusivement sur les effets économiques d’investissements et de recherche et développement (R&D) militaires, aujourd’hui, dans nos pays occidentaux. Elle mobilise d’assez nombreuses références académiques, rédigées et vérifiées par des dizaines d’auteurs de différents pays, ce qui limite le risque d’erreur.

La Chine déploie sa marine

En moins de dix jours, la marine chinoise a successivement admis au service actif le 5 novembre le Fujian, son premier véritable porte-avions, et commencé le 14 novembre les essais à la mer du Sichuan, le plus grand porte-hélicoptères/drones au monde. En parallèle, l’APL-M poursuit la construction d’au moins deux porte-avions à propulsion nucléaire. Si la flotte chinoise a dépassé en nombre de coques son opposant de référence, l’US Navy, depuis 2016, elle est toujours en retard en termes de tonnage. C’est la raison pour laquelle elle s’active efficacement à combler ce manque de bâtiments de combat puissants auxquels Henry Kissinger faisait référence quand il disait qu’« un porte-avions, c’est 100 000 tonnes de diplomatie ».