<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Antony Blinken, un wilsonien au département d’État

7 août 2022

Temps de lecture : 5 minutes
Photo : Crédits: Romée de Saint-Céran :
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Antony Blinken, un wilsonien au département d’État

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Très bien vu à Paris où il a passé l’essentiel de sa jeunesse, qui est vraiment Antony Blinken, le secrétaire d’État américain ? En première ligne pour repousser la Russie le plus loin possible de l’Ukraine, voici le portrait d’un faucon discret, mais puissant.

« Il est impossible de ne pas être ému par ce que les Ukrainiens ont réalisé. Il est aussi impossible de ne pas croire qu’ils continueront à réussir, parce qu’ils savent pourquoi ils se battent. » Réputé froid et distant malgré ses talents de guitariste, Antony Blinken fend l’armure le 26 avril dernier, devant la Commission des affaires étrangères du Sénat des États-Unis. Mais d’où vient cette détermination à repousser l’offensive moscovite hors de l’Ukraine ?

Sans doute d’une petite ville au sud-est de Kiev, Pereiaslav. Jeune auteur yiddish assoiffé de liberté, Meir Blinkine y est parti pour New York en 1904, à l’âge de 23 ans. Ses petits-enfants, Alan et Donald Blinken, ont inauguré au xxe siècle une brillante dynastie d’ambassadeurs des États-Unis. Donald est le père d’Antony Blinken, né le 16 avril 1962 à New York.

Vie entre deux rives

Côté maternel, le milieu est aussi très privilégié. Judith Blinken, née Frehm dans une famille d’origine juive hongroise, dirige les ballets Merce Cunningham de New York. Dans son appartement de Park Avenue à Manhattan, elle reçoit Arturo Toscanini ou Leonard Bernstein. En 1968, sa vie bascule lorsqu’elle rencontre Samuel Pisar. Son fils Antony a neuf ans quand elle s’installe avenue Foch à Paris auprès de cet illustre avocat et banquier international, conseiller économique de Kennedy et confident de Giscard. Libéré de Dachau par l’armée américaine à 16 ans, Samuel Pisar est une figure emblématique de la haute société transatlantique. « Pour comprendre Antony Blinken, décrypte pour L’Express son ami d’enfance et camarade de classe Émile Servan-Schreiber, il faut savoir que Samuel Pisar est peut-être la personne qui l’a le plus profondément marqué : c’est lui qui lui a transmis ses valeurs. L’origine de sa vision du monde est cette scène du char avec ce Noir américain venu libérer l’Europe. Pour lui, l’Amérique est cette force bienveillante, ce “tank aux bras ouvert”, ce défenseur de la liberté et des droits de l’homme qui, parfois, doit intervenir à l’étranger pour défendre les droits d’autres peuples. »

Parmi sa prestigieuse clientèle, Samuel Pisar compte Jean-Jacques Servan-Schreiber, le père d’Émile et chef de file des atlantistes français, de retour en grâce après la parenthèse gaullienne. Entre deux réunions de l’American Foundation for Art and Culture et du Centre américain de Paris, Judith Pisar part skier en famille à Megève, mais à l’été, Antony Blinken retrouve son père autour d’un match de base-ball des Yankees ou sur une plage des Hamptons. En 1980, Antony Blinken obtient son baccalauréat dans la très sélecte école bilingue Jeannine-Manuel de Paris avec Robert Malley comme camarade de classe. Il est aujourd’hui l’envoyé spécial des États-Unis pour renégocier les accords nucléaires de Vienne avec l’Iran.

Une fois bachelier, Antony Blinken revient aux États-Unis pour ses études supérieures. Direction Harvard puis Columbia. Il apprend le russe et semble renouer avec ses origines paternelles en consacrant son mémoire au gazoduc que l’URSS a inauguré à travers l’Ukraine dans les années 1980 pour alimenter la Hongrie et la Slovaquie. Ally versus Ally: America, Europe, and the Siberian Pipeline Crisis qu’il publie en 1987 est le récit de l’échec de Reagan à bloquer le projet. Blinken en conclut qu’une meilleure entente avec les pays d’Europe centrale est plus efficace pour la Maison-Blanche qu’une confrontation solitaire et brutale avec Moscou.

Les bonnes relations du couple Pisar avec Madeleine Albright et leur campagne commune pour Michael Dukakis en 1987 ouvrent naturellement les portes de la Maison-Blanche. Leah Pisar entre au Conseil national de sécurité de l’administration Clinton, suivie de peu par son demi-frère Antony en 1995. Simple rédacteur, ce dernier gagne ses galons d’expert des relations transatlantiques au cours d’un second mandat Clinton nettement plus offensif que le premier, dans lequel Madeleine Albright tient le département d’État. Les sanctions contre l’Irak pleuvent et la guerre de l’OTAN contre la Serbie rythme la fin des années 1990. Le tournant wilsonien de la présidence Clinton forge les premières années diplomatiques de « Tony ». Après la dislocation de l’URSS, les États-Unis goûtent aux plaisirs de l’hyper-puissance mondiale. Puisque la diplomatie reste une histoire de famille chez les Blinken, il épouse en 2002, Evan Ryan, qui fait carrière dans le sillage d’Hillary Clinton avant de travailler pour John Kerry au département d’État. Le mariage a été célébré par un prêtre et un rabbin, symbole de l’ouverture libérale des élites de la côte Est des États-Unis.

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Aux côtés d’Obama

« Blinken représente l’aile interventionniste et libérale du parti démocrate, qui penche en faveur d’une projection de la puissance américaine » analyse dans Le Monde Charles Kupchan, ancien cadre du Conseil de sécurité nationale sous les administrations de Bill Clinton et de Barack Obama. Quand les néoconservateurs remportent les élections contre Al Gore, le jeune Blinken rebondit en 2002 auprès de l’influent sénateur démocrate du Delaware, président de la très puissante Commission des affaires étrangères, un certain Joseph Biden. Blinken le persuade de voter en faveur de la guerre en Irak décidée par George W. Bush. Mauvais choix. En 2008, Biden échoue aux primaires démocrates face à Barack Obama, qui s’est opposé à l’aventure irakienne, mais il se console avec la vice-présidence. Antony Blinken est de l’aventure, toujours comme conseiller diplomatique. Les années Obama voient les croisés de la démocratie régulièrement frustrés par les prudences de la Maison-Blanche, réticente à s’engager en Syrie et en Libye. Les entourages de Biden et d’Hillary Clinton rongent leur frein. Jacob Heilbrunn, du magazine National Interest, confirme : « Blinken est un idéaliste. Il veut sincèrement rendre le monde meilleur et, comme Biden, il pense que si les États-Unis veulent réaliser un come-back pour rétablir leur leadership mondial, c’est maintenant ou jamais. »

Les wilsoniens démocrates savent pouvoir compter sur les Européens pour mener leurs guerres. En novembre 2011, Antony Blinken prépare l’après-Sarkozy et reçoit à Washington Jean-Yves le Drian, alors président socialiste de la région Bretagne et conseiller défense du candidat François Hollande. En avril 2012, tandis que les sondages donnent Sarkozy perdant, il se déplace à Paris afin de préparer avec lui le sommet de l’OTAN à Chicago fin mai. Pour Washington, il s’agit de s’assurer que la France restera fidèle à la restauration atlantiste menée par Nicolas Sarkozy. Certes, le désengagement de la France d’Afghanistan est confirmé, mais le maintien dans le comité militaire intégré de l’OTAN n’est pas remis en cause. Et surtout, Blinken veut s’appuyer sur Paris pour faire tomber Bachar Al-Assad. S’il ne parvient pas à convaincre Obama, il est tout de même promu en 2013 directeur adjoint du Conseil de sécurité nationale au côté de la redoutable Susan Rice et laisse son poste de conseiller diplomatique du vice-président Biden à un certain Jake Sullivan. Tous les deux se sont connus au sein du Conseil de sécurité nationale de Bill Clinton. La parenthèse Trump (2017-2021) est l’occasion pour Blinken d’un passage au sein du complexe militaro-industriel de Washington où il rencontre son futur collègue au département de la défense, le général Lloyd Austin.

En 2021, il obtient le poste de secrétaire d’État de Joe Biden tandis que Sullivan prend la place de conseiller à la sécurité nationale du président. Ces deux fonctions sont traditionnellement rivales au sein de l’exécutif américain, mais les deux hommes se connaissent bien. En juin, après une rapide tentative de dialogue stratégique avec Moscou à Genève, le bras de fer gazier américano-russe reprend avec pour objectif de neutraliser l’ouverture du deuxième tube Nord Stream sous la Baltique. Blinken et Sullivan échouent dans un premier temps à faire capoter le projet germano-russe. La guerre en Ukraine leur offre une revanche historique.

Juste après son investiture, le presque octogénaire président américain est venu au département d’État pour donner les clés de sa diplomatie à son fidèle conseiller : « Nous travaillons ensemble depuis plus de vingt ans. Vos qualités diplomatiques sont respectées de façon égale par vos amis et nos compétiteurs dans le monde. Et ils savent que lorsque vous parlez, vous parlez en mon nom. » La délégation de pouvoir est telle qu’Antony Blinken s’autorise parfois à corriger les propos du président auprès des journalistes. Avec un Biden de plus en plus sénile devant les caméras, Blinken est devenu le plus puissant secrétaire d’État que les États-Unis aient connu depuis William Seward après la mort de Lincoln.

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À propos de l’auteur
Hadrien Desuin

Hadrien Desuin

Ancien élève de l’École spéciale militaire de Saint-Cyr, Hadrien Desuin est membre du comité de rédaction de Conflits.
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