<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Avec la brigade du génie à Angers

24 janvier 2025

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Avec la brigade du génie à Angers

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Reportage de Conflits à Angers, le long de la Maine, où siège la nouvelle brigade du génie récemment recréée.

Article paru dans le N55, Géopolitique des montagnes. 

Depuis une boucle du cours d’eau surgit une grande plateforme nommée « engin de franchissement de l’avant » (EFA) transportant deux véhicules, sécurisés par plusieurs soldats pointant leurs armes vers la rive. Le pilote anime sur un angle de 360 degrés deux manettes horizontales qui commandent les moteurs situés sur les flancs. L’exercice est complexe. « Il faut environ quatre semaines de formation pour maîtriser l’appareil », précise le pilote dans le bruit assourdissant des moteurs. L’engin est assez maniable pour être utilisé sur des cours d’eau étroits, la difficulté est d’anticiper une importante inertie. « Le matériel est simple et assez ancien, mais il est robuste », ajoute-t-il. Il faut dire que les EFA ont été construits dans les années 1990, mais l’entretien méticuleux par le personnel qui se succède leur assure une longévité impressionnante. L’un des deux grands volets encadrant chaque extrémité de l’engin se baisse, le premier véhicule, un VAB, descend pour vérifier la contamination chimique du sol. À l’aide de deux petites roulettes blanches sorties depuis l’arrière du véhicule et d’une perche prolongée d’une ventouse, les soldats réalisent des prélèvements analysés ensuite par un ordinateur afin de vérifier une potentielle contamination chimique. La lutte contre la guerre chimique est l’une des spécialités de la brigade du génie. Deux soldats du 2e régiment de dragons en combinaison de protection présentent les différents outils pour réaliser des prélèvements ou évoluer en terrain contaminé. Les équipements de pointe traduisent une relation directe entre les industriels de la défense et les besoins du régiment. « Nous avons effectivement des liens étroits avec les entreprises », confirme l’un des soldats. « Nous discutons de nos besoins et des améliorations du matériel pour qu’il soit le plus adapté possible à nos missions. » Ces hommes maîtrisent aussi parfaitement la science des explosifs qu’ils doivent être amenés à identifier. Ils travaillent également avec les opérateurs des forces spéciales pour qui cette double spécialisation est salutaire. Le Griffon peut ensuite débarquer. Ce véhicule de transport de troupes tant attendu par l’armée française impressionne par sa taille et sa technologie. Spécialement conçu pour protéger les soldats des explosifs posés au sol et des contaminations radiologiques, biologiques et chimiques, long de 7,6 mètres et large de 2,5 mètres, il est équipé de multiples appareils de détection. « Pour les besoins du génie, on lui a adapté un crochet à l’avant et aménagé de l’espace à l’intérieur pour transporter du matériel », explique le caporal-chef Jérémy, qui vient de terminer sa formation sur le véhicule. « La tourelle est entièrement commandée depuis le poste du copilote. Zoom, vision nocturne, elle a beaucoup de fonctionnalités qui font du Griffon un véhicule puissant sur le terrain. La mitrailleuse de calibre 12,7 mm est aussi contrôlée depuis l’intérieur. Le seul moment où on sort, c’est pour changer la bande de munitions. » Les six roues paraissent parfaitement adaptées aux terrains difficilement praticables.

Le VAB aménagé pour les activités du Génie, accompagné du drone effectuant les prélèvements chimiques.

Qu’est-ce que la brigade du génie ?

Ces soldats et engins appartiennent tous à la brigade du génie, dont l’état-major est basé à Angers, à côté de l’École du génie où les soldats et les jeunes officiers sont formés à toutes les spécificités de cette arme : creusement des routes et pistes, construction de ponts, opérations de minage anti-char, de déminage, etc. Cette brigade, créée en 1993, a été dissoute en 2010 après le mouvement de rationalisations enclenché par la revue générale des politiques publiques (RGPP) – suppression de 54 000 postes pour la seule mission défense – puis réactivée en juillet 2024. « Sa recréation concrétise les nouvelles ambitions de l’armée de terre qui se prépare aux combats les plus durs, et notamment à l’éventualité d’un engagement d’envergure. La maîtrise du milieu d’engagement, raison d’être de la brigade du génie, conditionne les résultats : dans un combat de haute intensité, pas de victoire possible sans génie puissant », explique le général Bizien à qui le commandement de cette nouvelle brigade a été confié. « Présente dans tous les espaces du champ de bataille, de l’avant à la zone arrière, la brigade du génie est une brigade interarmes qui ne porte pas son nom car elle regroupe aussi des unités de traditions de cavalerie, d’infanterie et d’artillerie, toutes spécialisées, porteuses de capacités uniques au sein de l’armée de terre. Jusqu’alors dispersées, leur réunion en une seule brigade va permettre des synergies et des optimisations. » Le 2e régiment de dragons, rattaché à la brigade, est spécialisé dans les risques NRBC (nucléaires, radiologiques, biologiques et chimiques), le 132e régiment d’infanterie cynotechnique dispose de chiens pour la détection / neutralisation humaine et la recherche d’explosifs, le 28e groupe géographique est un expert de la topographie et de l’exploitation géographique. La brigade compte environ 5 000 soldats dont deux régiments de sapeurs, le 19e régiment du génie et le 31e régiment du génie, spécialisés dans l’aménagement du terrain, la production d’énergie et la construction de routes, locaux et abris de combat.

Le renouveau de la brigade du génie

Pendant quatorze ans, la brigade du génie a été mise en sommeil. Les moyens ont été considérablement réduits, des savoir-faire mis de côté. L’armée de terre, engagée de manière quasi permanente dans des OPEX, sort ainsi formatée par trente années consacrées aux opérations de gestion de crise (Afghanistan, Sahel, Centrafrique…) pendant lesquelles l’entraînement s’est focalisé sur une partie du spectre capacitaire (comme par exemple la lutte contre les IED pour les sapeurs). Mais depuis 2019, dans un contexte de menaces grandissantes, la loi de programmation militaire veut moderniser les armées et le budget augmente en adéquation. Le gouvernement envisage de dépasser la barre symbolique des 50 milliards d’euros en 2025, une augmentation de 7 % par rapport à 2024. Le génie n’a pas été oublié. Il sort bénéficiaire de la LPM 24-30 avec une modernisation de nombreuses capacités (bréchage, franchissement, minage anti-char…) et des augmentations associées de personnel. En plus des recommandations émanant de l’état-major, un rapport parlementaire conduit par Patricia Mirallès et Jean-Louis Thiériot en 2022 avait justement appelé à renforcer les capacités du génie. « Cela va nécessairement prendre du temps, mais nous ambitionnons d’être en pleine capacité opérationnelle lors d’un exercice interarmes majeur en 2026 », clarifie le général Bizien. « Nous devrons être capables de réaliser de nombreux exercices couvrant l’ensemble des savoir-faire à maîtriser lors d’un engagement d’envergure. Par exemple : des franchissements complexes intégrant des capacités interarmes comme la défense sol-air ou du leurrage à l’aide de matériel physique et d’électronique. La coordination fine à mettre en place avec les unités de circulation et la logistique, l’intégration de manœuvres de déception (comme Napoléon lors du franchissement réussi de la Bérézina en 1812) ou de camouflage (comme le corps expéditionnaire français du général Juin avant de franchir le Garigliano en 1944). »

Réalisation d’une herse

L’Importance du génie dans les armées

Le génie est fondamental pour les armées. La création d’un corps des ingénieurs du roi par Vauban sous Louis XIV est à l’origine de ces troupes spécialisées, à la fois combattantes et savantes, qui se sont particulièrement distinguées pendant la campagne de Russie et tout au long de l’histoire militaire. « Je vous livre cette idée, conclut le général de La Goutte, commandant de l’École du génie et chef interarmées du génie : une armée qui se concentre sur la modernisation de son génie militaire est une armée qui se prépare à faire la guerre. On peut faire de grandes annonces sur l’achat d’avions de chasse ou de drones, mais s’il n’y a personne pour préparer et soutenir l’avancée des troupes au sol, on n’est pas prêt pour la guerre. La renaissance de la brigade du génie est un signal fort que la France envoie aux autres puissances militaires. »

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Tirage du béton lors de la réalisation d’une dalle.

À propos de l’auteur
Guy-Alexandre Le Roux

Guy-Alexandre Le Roux

Journaliste

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