<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> « Certains pays arabes veulent mettre fin à la cause palestinienne ». Entretien avec Cheikh Sadik Al Nabulsi

30 novembre 2023

Temps de lecture : 7 minutes
Photo : Hezbollah supporters hold pictures of their relatives who died. Southern Beirut suburb of Dahiyeh, Lebanon, Saturday, Nov. 11, 2023. (AP Photo/Hassan Ammar)/HAS116/23315545202509//2311111618
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« Certains pays arabes veulent mettre fin à la cause palestinienne ». Entretien avec Cheikh Sadik Al Nabulsi

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Le rôle du Hezbollah est essentiel au Proche-Orient. La parole de ses cadres et ses actions sont scrutées et interprétées bien au-delà du monde arabe. Entretien avec Cheikh Sadik Al Nabulsi pour mieux comprendre la position du Hezbollah et sa vision de la guerre qui se déroule à Gaza.

Note de la rédaction : Fidèle à sa méthode d’analyse, Conflits estime qu’il est essentiel de connaitre les positions et les discours de toutes les parties d’un conflit, afin d’en mieux comprendre la complexité et partant de le résoudre. La position du borgne, qui ne regarde le monde qu’avec un seul œil et qu’avec un seul point de vue, empêche d’analyser la complexité du monde. Un entretien avec une personne ne signifie pas une adhésion à ses propos et ses idées. Telle est donc la raison d’être de l’entretien publié ci-dessous : connaître la position de l’un des cadres du Hezbollah afin de pouvoir comprendre l’action de ce mouvement. Ce texte est donc à lire comme un document et non comme une analyse de la rédaction.

Le Cheikh Sadik Al Nabulsi est enseignant en sciences politiques. Il est aussi le représentant du Hezbollah dans la ville de Saïda et il est membre du conseil chiite libanais. Malgré les réticences du Hezbollah à s’adresser à la presse étrangère, Conflits s’est vu accorder un entretien avec le Cheikh Al Nabulsi.

Propos rapportés par Pierre-Yves Baillet. Entretien réalisé le 22 novembre 2023.

Pouvez-vous nous la décrire la situation actuelle dans le Sud Liban ?

La situation reste tendue sur le front nord de la Palestine, et il ne semble pas qu’elle se calmera de sitôt, car la crise israélienne est importante et les oblige à maintenir le front ouvert, car cela est plus avantageux pour eux afin de rétablir leur dissuasion, car la puissance israélienne a été ébranlée par l’attaque du 7 octobre. Surtout que le front nord de la Palestine est étroitement lié à deux éléments définis par le Secrétaire général du Hezbollah, Sayyed Hassan Nasrallah. Les choses continueront ainsi tant que les Israéliens n’adopteront pas un cessez-le-feu à Gaza. Ce qui se passe actuellement est une trêve humanitaire pour l’échange de prisonniers et l’acheminement de certaines aides. Cela signifie qu’il n’y aura pas de fin des hostilités, et cela signifie également que tous les fronts resteront ouverts, que ce soit du côté de Gaza ou du Liban.

La deuxième chose est que l’attitude israélienne envers le Liban demeure agressive. Chaque jour, nous voyons une nouvelle agression israélienne contre les civils libanais, les maisons, les paysages, et le Hezbollah ripostera à ces agressions, maintenant le front ouvert tant que les Israéliens n’auront pas cessé leur agression.

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Quelle est la ligne rouge à ne pas franchir et qui obligerait le Hezbollah à intervenir massivement ?

La ligne rouge demeure vague, en raison de la politique floue adoptée par le Secrétaire général du Hezbollah. Jusqu’à présent, on ne sait pas quelle est la ligne rouge qui déclenchera l’ouverture de différents fronts. Il semble que cela soit lié à quelque chose adopté par les chefs de l’axe de la résistance, qui estiment qu’il est bénéfique de maintenir les choses comme elles sont, car jusqu’à présent, la résistance palestinienne n’est pas épuisée et n’a pas atteint un niveau nécessitant l’ouverture de nouveaux fronts. Les choses resteront ainsi tant qu’il n’y aura pas de danger pour la résistance palestinienne, qui bénéficie du soutien du Hezbollah.

Jusqu’à présent, on ne sait pas quelle est la ligne rouge qui déclenchera l’ouverture de différents fronts.

À ce jour, la résistance palestinienne est toujours capable de lancer des roquettes. Deuxièmement, la résistance lie l’ouverture des différents fronts à de nombreux facteurs stratégiques. Il doit y avoir certaines circonstances pour ouvrir les fronts. Il faut que l’environnement politique et que la situation sur le terrain soit favorables.  Pour le moment, les conditions ne sont pas réunies pour mener une telle opération d’envergure. Peut-être que cette situation convient à l’axe de la résistance pour affaiblir et épuiser les forces de l’entité israélienne en préparation de la deuxième étape, dont on ne sait pas quand elle se produira, mais il est indéniable qu’elle viendra un jour. Il est évident que les membres de l’axe de la résistance ne peuvent pas coexister avec l’entité israélienne. Il en va de même pour les Israéliens. Ils ne peuvent pas accepter la présence des forces de l’axe de la résistance et des groupes militaires palestiniens. C’est pourquoi le conflit se poursuivra. Pour l’instant le conflit n’est pas ouvert, il s’agit d’épuiser les forces ennemies en attendant le moment opportun pour lancer la grande offensive. Quand est-ce que ce moment viendra ? Personne ne le sait. Cela pourrait bien se déclencher dans quelques semaines comme dans quelques années.

Le média Mekomit a publié un document provenant des services de renseignements israéliens. Dans ce document, partagé par Wikileaks, les services israéliens préconisent le transfert des populations de Gaza vers le Sinaï en accord avec l’Égypte. Pensez-vous que cela soit réalisable ?

Sans aucun doute, il y a une collusion israélo-égyptienne et une collusion israélo-jordanienne spécifiquement en ce qui concerne la résistance palestinienne et la cause palestinienne. Nous savons que certains pays arabes veulent mettre fin à la cause palestinienne, cela n’est plus un secret. L’expulsion des habitants de Gaza vers le Sinaï, bien que ce soit un vieux projet israélo-américain, n’est toujours pas acceptée par les Égyptiens. La résistance palestinienne et les habitants de Gaza refusent d’être expulsés de leur terre et déporté ailleurs. Ils estiment que c’est une nouvelle Nakba[1], et ils y font face, donc toute expulsion ne peut pas avoir lieu. C’est une idée extrêmement dangereuse. Ni le Hezbollah ni les autres membres de la résistance n’accepteront une telle déportation. Israël affirme être entouré par un arc de roquettes des pays des axes de la résistance, ce qui indique qu’Israël est en phase de déclin et de retrait, et non pas en phase de réalisation d’un projet aussi dangereux. C’est pourquoi je crois que la déportation des habitants de Gaza vers le Sinaï sera accompagnée de nombreux dangers, et nous serons confrontés à d’énormes incidents si Israël franchit cette étape. Les peuples du Moyen-Orient ne l’accepteront pas non plus, car ils soutiennent la cause palestinienne.

L’intervention militaire du Hezbollah en Syrie, aux côtés du régime de Bachar al-Assad, lui a fait perdre en popularité vis-à-vis des populations arabes et au Liban. Qu’en est-il aujourd’hui ?

Sans aucun doute, la popularité de la résistance a décliné à un certain stade en raison de la provocation et de la propagande des régimes arabes et étrangers. Mais aujourd’hui, après la présence de la résistance aux côtés de la cause palestinienne, elle retrouve sa présence, sa légitimité et sa popularité. La cause palestinienne est une cause unificatrice pour tous les Arabes et les musulmans, et quiconque s’implique dans cette cause bénéficiera d’un grand soutien et d’une grande popularité. Aujourd’hui, le Hezbollah est soutenu par de nombreux Arabes et musulmans pour son engagement dans la cause palestinienne, c’est pourquoi nous disons qu’il gagne en popularité, et il y a de nombreuses demandes de la part des Arabes et des musulmans pour intensifier son engagement.

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Dans le sud du Liban, plusieurs factions palestiniennes, sous la coordination du Hezbollah, comme le Hamas ou le Jihad islamique palestinien, participent à des opérations militaires contre Israël. Ces groupes arrivent-ils à se coordonner ?

Aujourd’hui, les massacres qui se déroulent à Gaza poussent de nombreuses factions libanaises et palestiniennes à s’impliquer dans le combat. La réaction de ces factions est une réaction normale, sans aucun doute il y a une coordination entre ces factions, car la bataille est unique et tout le monde y participe dans cette nation, et non seulement ses factions. Ce dont ont besoin les pays et les peuples musulmans, les pays et les peuples arabes, c’est de faire davantage d’efforts, et quiconque peut arrêter cette agression et exercer une pression sur Israël pour mettre fin à ses massacres. C’est pourquoi ce qui se passe dans le sud du Liban est quelque chose de normal comparé à cette situation désastreuse et aux massacres qui se déroulent à Gaza.

Khalil Kharaz, le chef adjoint des brigades al-Qassam (branche armée du Hamas) au Liban a été tué par une frappe israélienne. Selon vous, Israël aurait commencé une campagne d’assassinats ciblés ?

Il y a un mouvement extrémiste et fanatique au sein du gouvernement israélien, au sein du cabinet israélien, et ils veulent étendre la guerre et cibler davantage le Liban, et ils veulent élargir la marge de leurs opérations militaires. Les Israéliens aimeraient étendre ces opérations et assassinats, et l’objectif est d’arrêter ces factions. Mais comme je l’ai dit auparavant, si Israël élargit ses manœuvres militaires, les factions de la résistance dans la région étendront la marge du conflit et se battront contre cet ennemi.

En tant que cadre dirigeant du Hezbollah, n’avez-vous pas peur d’être aussi pris pour cible ?

Non, nous recherchons le martyre, nous invoquons Dieu jour et nuit pour devenir des martyrs, nous anticipons le martyre et considérons cela comme un insigne d’honneur sur notre poitrine de la part de Dieu. Nous n’avons pas peur et croyons que le rang le plus élevé qu’un être humain puisse atteindre est celui de devenir martyr.

Khalil Kharaz a été tué avec deux salafistes turcs et Abu Bakir. Abu Bakir était une grande figure du salafisme libanais ainsi qu’un cadre du mouvement al-Nosra. En Syrie, le Hezbollah et al-Nosra étaient des ennemis. Sont-ils devenus alliés aujourd’hui ?

Quelle est la preuve de cela ? Qui affirme que ces personnes combattaient contre le Hezbollah ? Certains médias avancent cette hypothèse, mais de toute façon, nous sommes confrontés à une cause juste, celle du peuple palestinien. Quiconque tente d’insinuer des suspicions et des allégations entre les factions libanaises et palestiniennes devient suspect à nos yeux et nous condamnons cela. Il nous est impossible d’accepter – alors que toutes ces atrocités sont commises par Israël – des affrontements entre les Palestiniens, ou parmi les Palestiniens et les Libanais, ou d’accepter tout doute semé par certains médias. Pour nous, la question est liée au conflit contre l’ennemi israélien et à la manière dont nous pouvons arrêter cette agression et remporter la victoire sur cet ennemi.

Selon vous, que devraient faire la France et les pays occidentaux ?

Aujourd’hui, l’opinion publique étrangère et française est confrontée à une responsabilité historique et humanitaire. Tout l’Occident assume aujourd’hui la responsabilité de la poursuite de l’agression israélienne et de l’extermination du peuple palestinien. L’Occident doit savoir qu’il est celui qui a planté cette entité dans le monde arabe et le soutient pour poursuivre sa guerre contre le peuple palestinien. Le regard de l’Occident sur le peuple palestinien et notre nation doit changer. L’Occident, qui parle de droits de l’homme, doit examiner les droits du peuple palestinien et arabe. Les Arabes et les musulmans n’accepteront pas toutes les atrocités commises sous le couvert des gouvernements occidentaux et du soutien de l’Occident à des régimes criminels tels que le régime sioniste. Le regard doit changer, et les gouvernements doivent cesser leur soutien à l’entité israélienne, jusqu’à ce que les relations entre l’Occident et les pays arabes soient fondées sur des intérêts mutuels et des intérêts réels fondés sur la justice et la paix.

[1] NDLR : Nakba, la « catastrophe » en arabe, désigne le mouvement qui a vu les Arabes de Palestine quitter leur maison à la suite de la guerre de 1948.

À propos de l’auteur
Pierre-Yves Baillet

Pierre-Yves Baillet

Journaliste indépendant spécialisé sur la géopolitique du Moyen-Orient.
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