Ministre de l’Intérieur, porte-flingue de Chirac, résistant, Charles Pasqua a eu une vie riche, toujours tournée vers la politique. Pierre Manenti lui consacre une biographie de grande qualité.
Pierre Manenti, Charles Pasqua. Dans l’ombre de la république, Passés / composés, 2024.
Disparu le 29 juin 2015, Charles Pasqua aura longtemps marqué la vie politique française, mais aussi, mais aussi sur la fin de sa vie judiciaire. Ce personnage que l’on a longtemps assimilé à l’acteur Fernandel coche en effet toutes les cases du stéréotype méridional. Sa carrière professionnelle a pu se dérouler pendant de longues années chez le promoteur du pastis, Paul Ricard. Il n’a jamais cherché à dissimuler son accent, et sa proximité avec certains milieux interlopes aurait pu en faire un des personnages de la French connexion.
En réalité Charles Pasqua, issu d’une vieille famille corse, mais dont la famille s’est installée à Grasse, a commencé son engagement très jeune, en rentrant à l’âge de 16 ans dans la résistance. Grandi dans un milieu favorable à la gauche, il voit comme bien d’autres dans la personne du général de Gaulle l’espoir pour la France. Son aversion pour le communisme est directement liée aux turbulences de l’épuration et de la fin de la guerre, même s’il n’a jamais manifesté la moindre indulgence pour les pétainistes.
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Engagé très tôt dans le rassemblement du peuple français, le parti du général de Gaulle, il manifeste ses qualités d’organisateur et sa capacité à activer des réseaux. Malgré cet engagement politique précoce, il parvient à suivre des études, jusqu’au baccalauréat, mais doit assez rapidement chercher du travail.
Après avoir exercé différents métiers, soutenu par sa jeune épouse d’origine canadienne Jeanne, et après avoir été détective privé, videur de boîte de nuit, manutentionnaire, il rentre chez Paul Ricard, l’entreprise phare des boissons alcoolisées. Il restera plus de 15 ans, et ses qualités d’organisateur le feront grimper très vite dans la hiérarchie de l’entreprise.
De la guerre d’Algérie à mai 68
La guerre d’Algérie, après le retour au pouvoir du général de Gaulle en mai 1958, le ramène à l’action politique, mais toujours dans l’ombre lorsque le service d’ordre de l’union pour la nouvelle république, le parti gaulliste, se transforme en service d’action civique, dans le cadre de la lutte contre l’OAS. Ces liens plutôt sulfureux l’écartent dans un premier temps du champ de bataille électorale dans la région des Bouches-du-Rhône, mais il est très vite remarqué par les instances du parti gaulliste, toujours pour ses réseaux, notamment lors de la campagne électorale de 1965.
Les événements de mai 68 constituent un électrochoc et celui qui se définit lui-même comme « un vendeur de pastis, adepte du coup de poing », s’engage en politique en se présentant aux élections législatives. Candidat dans les Hauts-de-Seine avec Pierre Mazeaud, il parvient à l’emporter dans ce qui apparaît comme un bastion communiste. Après la campagne du référendum perdu en 1969, il soutient la candidature de Georges Pompidou à la succession, et poursuit son ascension dans les instances du parti gaulliste devenu UDR.
Le porte-flingue de Jacques Chirac
Il se rapproche du jeune Jacques Chirac, dont il devient assez rapidement, après sa défaite aux élections législatives de mars 1973, un porte-flingue. Il s’éloigne de Pierre Messmer, héritier « historique » du gaullisme pour soutenir celui qui sera décisif dans la victoire de Valéry Giscard d’Estaing aux élections présidentielles de 1974.
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Il reste toujours un homme de l’ombre, dans son département des Hauts-de-Seine, et il manœuvre de façon très habile pour soutenir ces jeunes protégés, comme Patrick Devedjian et quelques autres dans leur ascension politique. Élu sénateur, il s’impose comme une voix forte dans la haute assemblée et il s’engage clairement auprès de Jacques Chirac, surtout lorsqu’il lance l’appel de Cochin contre les giscardiens et de façon générale les pro-européens. Au moment de la présidentielle de 1981, et après l’échec de Jacques Chirac, il joue un rôle majeur au Sénat dans l’opposition à la gauche, même s’il s’installe dans une relation étrange avec François Mitterrand, président de la République. Il se défait, au moins en apparence, de son aspect sulfureux de marseillais, pour apparaître comme une voix forte au Sénat, notamment sur des textes importants comme l’audiovisuel ou la sécurité publique. Il conduit également le parti gaulliste dans les Hauts-de-Seine, en apparaissant clairement comme l’empereur de la région.
La victoire de l’opposition aux élections législatives de 1986 le désigne « tout naturellement » comme ministre de l’Intérieur à 59 ans. Toujours soutenu inconditionnellement par son épouse, il sait s’entourer de directeurs de cabinet et de conseillers avec lesquels il entretient des relations étroites depuis longtemps. Le réseau corse et marseillais joue évidemment un rôle essentiel, comme avec Marchiani. Il est évidemment très attentif à ce qui se passe dans son département, et, après la deuxième défaite de Jacques Chirac en 1988, cherche encore à préparer l’avenir.
Le temps des ruptures
Il se retrouve ainsi à nouveau ministre de l’Intérieur dans le gouvernement d’Édouard Balladur après 1993, et il renforce son image de ma poigne à diverses occasions. Dans la perspective de l’élection présidentielle de 1995, et toujours comme ministre de l’Intérieur, mis en avant dans plusieurs affaires de terrorisme, il décide finalement de soutenir Édouard Balladur. Ce dernier doit affronter Jacques Chirac, qui finit par l’emporter, même si Charles Pasqua considère que l’héritage gaulliste est ainsi bradé. Il cherchera à maintenir sa carrière politique en développant dans une alliance tumultueuse avec Philippe de Villiers différents mouvements souverainistes, mais les rivalités de personnes dans ce milieu finissent par le marginaliser.
C’est d’ailleurs la période où il est rattrapé par différentes affaires politico – financières, notamment dans des ventes d’armes à l’Angola. Il essaie de créer un nouveau RPF, rassemblement du peuple français, en reprenant le nom historique du mouvement gaulliste, envisage une candidature présidentielle avant de renoncer. Il soutient du bout des lèvres Jacques Chirac en 2002, mais il entame à ce moment-là sa traversée du désert, toujours sur fond d’affaire judiciaire. Son parti, lors des Européennes du 13 juin 2002, se retrouve avec à peine 1,7 % des suffrages exprimés. Il y perd également son dernier mandat de député européen, ce qui l’expose avec la perte de son immunité aux poursuites judiciaires. Il finit d’ailleurs condamné en appel dans l’affaire du casino d’Annemasse, il est également condamné dans l’affaire de l’Angolagate à laquelle se rajoute une autre condamnation, celle-ci pour trafic d’influence. Il multiplie toutes les procédures avec pourvoi en cassation, ce qui éloigne la perspective d’une condamnation définitive. Il finit par s’engager en 2012 dans le soutien à Nicolas Sarkozy pour sa réélection, avant que les malheurs ne le rattrapent avec la mort de son fils unique Pierre en février 2015. Il décède d’un AVC le 29 juin de la même année.
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10 ans après sa disparition, et dans le contexte politique actuel, quelles que soient les vicissitudes de la vie politique, et les oppositions qui peuvent exister, on ne peut que regretter que des voix fortes comme la sienne ne se fassent entendre. Au-delà de la galéjade, Charles Pasqua était surtout un animal politique, un décideur capable d’aller à contre-courant, notamment des sondages. Il faut en effet lire cette biographie comme un exemple de l’engagement sans faille, même s’il faut rester lucide sur la part d’ombre que ce républicain sincère pouvait porter en lui.