La puissance européenne est combattue par la Chine et les Etats-Unis. Pour les Européens, il y a urgence à retrouver le sens du combat politique.
Article paru dans le N57 : Ukraine Le monde d’après
Certains discours restent dans l’histoire par leur force immédiate et leur portée à long terme. Celui prononcé par le vice-président américain James David Vance devant les Européens, au premier jour de la conférence de la sécurité de Munich, le 14 février, est de ceux-là. D’une franchise peu courante dans les relations internationales, il marque un tournant dans la relation entre les États-Unis et l’Europe.
Jugé provocateur par les uns, roboratif par les autres, ce discours a – peut-être – sonné le réveil du Vieux Continent. L’aidera-t-il à sortir de sa léthargie stratégique ? Permettra-t-il à l’Europe d’assurer sa défense de façon plus ambitieuse et autonome, comme le réclame Donald Trump, au nom du « partage du fardeau » ? Si tel était le cas, ce coup de semonce mettrait fin à huit décennies d’une confiance trop naïve dans l’allié américain et à trente années d’un confort paralysant hérité de la fin de la guerre froide.
Vance ne s’est pas limité au seul champ sécuritaire. À l’unisson de la nouvelle administration Trump, il s’est placé en rupture totale avec la doxa des élites européennes sur d’autres sujets sensibles, écartés du débat public par la bien-pensance ambiante : « Écoutez ce que votre peuple vous dit… La menace qui m’inquiète le plus en Europe n’est ni la Russie, ni la Chine, ni celle d’aucun autre acteur extérieur. Ce qui m’inquiète, c’est la menace venant de l’intérieur. C’est le recul de l’Europe par rapport à certaines de ses valeurs les plus fondamentales. »
Vance a lu ce « recul des libertés démocratiques » dans l’actualité européenne. À commencer par l’annulation de l’élection présidentielle en Roumanie, sous la pression de Bruxelles, au prétexte d’une ingérence russe favorable au candidat populiste. Confrontée à la poussée populiste, l’Allemagne a elle-même été concernée lors de sa dernière élection, « si les choses ne se passaient pas comme prévu »… L’inéligibilité de Marine Le Pen décidée par un procureur français, le 31 mars, conforte ceux qui redoutent une « tentation totalitaire » dirigée contre les partis populistes ou non conformistes. M. Vance a aussi cité la traque idéologique de l’islamophobie, prétexte à toutes les censures intellectuelles, et la répression des oppositions à l’avortement, avec cette décision du Royaume-Uni de criminaliser les prières silencieuses menées autour des établissements pratiquant l’IVG.
« La liberté d’expression, j’en ai peur, est en retrait, a-t-il conclu. Lorsque nous voyons des tribunaux européens annuler des élections et de hauts responsables menacer d’en annuler d’autres, nous devons nous demander si nous nous conformons à des normes suffisamment élevées… Je crois profondément qu’il ne saurait y avoir de sécurité si l’on craint les voix, les opinions et la conscience de son propre peuple. Si vous fuyez devant vos électeurs, l’Amérique ne pourra rien faire pour vous. »
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Ce « déni de démocratie » a aussi conduit à interdire la venue à Munich de parlementaires populistes, de gauche et de droite. M. Vance a eu beau jeu de rappeler le combat pour les libertés pendant la guerre froide, contre ceux « qui censuraient les dissidents, fermaient les églises, annulaient les élections […] Nous devons faire davantage que simplement parler de valeurs démocratiques. Nous devons les incarner… Lorsque des responsables politiques représentent une part importante de la population, il nous incombe au moins de dialoguer avec eux. »
Vance n’ignore rien des choix idéologiques d’une partie des élites européennes, notamment sur l’immigration, « l’un des défis les plus pressants pour notre civilisation commune », ni du poids étouffant du « totalitarisme doux du wokisme », selon la formule de son ami Rod Dreher, le penseur de la droite chrétienne aux États-Unis : « Aucun électeur sur ce continent ne s’est rendu aux urnes pour ouvrir les vannes à des millions d’immigrés sans contrôle… Je suis convaincu qu’ignorer les gens, mépriser leurs préoccupations ou, pire, fermer les médias, annuler les élections ou les tenir à l’écart du processus politique ne protège en rien. »
Au soir de ce discours, à Bruxelles, à Berlin et ailleurs en Europe, la plupart des dirigeants européens médusés ont répondu à M. Vance que ses critiques n’étaient « pas acceptables ». « N’ayez pas peur ! » venait de leur dire le vice-président américain, en reprenant les mots du pape Jean-Paul II, le 22 octobre 1978, lorsqu’il avait lancé son combat historique contre l’emprise du totalitarisme soviétique.