<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Editorial n°31 – Mare Nostrum

6 janvier 2021

Temps de lecture : 3 minutes
Photo : (c) Romée de Saint-Céran
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Editorial n°31 – Mare Nostrum

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La Méditerranée est l’ombilic de notre civilisation. Elle a vu naître les Grecs, les Latins et les chrétiens. Des peuples innombrables se sont abreuvés de son eau : Perses, Égyptiens, Hébreux, Celtes, Byzantins, Normands… Les grandes cités ont fleuri sur ses littoraux, inventant l’art, la culture, la politique, la guerre. Elle est la mère de filles innombrables dont Rome, Alexandrie, Byzance et Carthage. Elle est la mère d’Ulysse et d’Alexandre, de César et d’Octave, de Lépante et d’Agosta. Cette mare nostrum est le lieu de naissance et de vitalité de ce que nous sommes. Des colonnes d’Hercule à Antioche, des dizaines de peuples, de traditions, de cultures, mais une même civilisation comprise dans la romanité. Elle est la mer des îles, des oliviers et de la vigne. Combien de crus s’accrochent à ses restanques, combien de cépages brûlés par le soleil et par le sel, à Lérins, à Pantelleria, à Céphalonie ?

 

La Méditerranée est l’authentique berceau de l’Europe. Cette unité et ce cosmos se sont brisés sur l’arrivée de l’islam et le glaive de Mahomet. Henri Pirenne a démontré comment l’irruption musulmane a cassé l’unité méditerranéenne. En quelques décennies, l’Égypte et l’Afrique romaine et chrétienne ont été dissoutes. La rapidité avec laquelle la romanité a été balayée demeure l’un des plus grands mystères de l’histoire. Le lac romain s’est évaporé et l’Europe s’est retrouvée amputée de la partie méridionale de sa géographie. Jusqu’à la prise d’Alger en 1830, il ne faisait pas bon vivre sur les côtes exposées aux Barbaresques et aux marchands d’esclaves. Qui se souvient des hommes qui portèrent l’armure et la bannière de l’ordre de Malte, des Templiers et des Hospitaliers ? Qui se souvient des Européens morts des fièvres et du paludisme en tentant d’assécher les marais pour transformer les zones insalubres d’Algérie en jardins à fruits ? La Méditerranée est victime d’une amnésie collective. Sans transmission du grec et du latin, ce sont les pages de nos ancêtres qui n’existent plus. Sans transmission de l’histoire des hommes, ce sont les hauts faits, les peines et les douleurs qui n’ont jamais existé. La Méditerranée, pour poursuivre sa mission d’ombilic de la civilisation, doit être un lieu de mémoire vivante.

Notre mer redevient le lieu de tous les dangers. Les gisements gaziers découverts excitent les convoitises et les appétits de puissance. On découvre que la mer est aussi un lieu de frontières, que l’interprétation du droit et des règlements internationaux suscite des controverses sans fin. Les exercices maritimes retissent les alliances anciennes et la France redécouvre l’importance d’une marine puissante et mobile pour calmer les clameurs expansionnistes comme pour stopper les trafics. Les mafias recréent l’unité de la mer. Du Nigeria où les femmes sont razziées aux marchés aux esclaves de Tripoli, les connexions se font avec les passeurs de Naples et les proxénètes de Paris. Tout est aujourd’hui connu sur ces réseaux de traite humaine et de nouvel esclavage, sur les atrocités subies par les populations, sur un phénomène de criminalité massive que certains s’obstinent à camoufler sous le masque bienveillant du migrant. Cet islamisme que l’on refuse de comprendre qui renaît et afflue au Caire, à Lunel, à Benghazi se retrouve en Méditerranée où transitent les mercenaires et les soldats fous qui y trouvent leurs terrains de chasse et de combats. Les enjeux de la Méditerranée ont des conséquences au Mali et en Suède ; elle est la plaque tournante et le carrefour de tous nos maux et de tous nos défis.

Une renaissance ? Et si dix ans après la désastreuse expédition de Libye les Européens renouaient avec la ruse d’Ulysse et la force d’Achille ? On a vu la marine française, seule en Europe, porter assistance à la Grèce et à Chypre ; on voit ENI et Total en pointe pour exploiter les immenses réserves de gaz. Cela démontre que l’Europe dispose encore de ressources technologiques et intellectuelles pour défendre son espace et le valoriser. Ce serait un beau vœu pour 2021 que de vouloir renouer avec une histoire née en Méditerranée.

 

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À propos de l’auteur
Jean-Baptiste Noé

Jean-Baptiste Noé

Docteur en histoire économique (Sorbonne-Université), professeur de géopolitique et d'économie politique à l'Institut Albert le Grand. Rédacteur en chef de Conflits.
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