<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> George Soros. On ne prête qu’aux riches…

31 janvier 2021

Temps de lecture : 5 minutes
Photo : George Soros accusé d'influencer la politique migratoire européenne, 26 février 2019. Photo : Pablo Gorondi/AP/SIPA AP22307041_000002
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George Soros. On ne prête qu’aux riches…

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Star vieillissante de Wall Street, parangon de la philanthropie anglo-saxonne, le milliardaire a bâti un réseau d’influence mondial au service de ses intérêts et de son idéologie. Aujourd’hui, le banquier de la gauche américaine, de la diversité et des minorités enchaîne plutôt les déconvenues.


 

L’été dernier, à Washington, un groupe d’activistes pro-Trump réclamait l’incarcération de Soros, ce « terroriste domestique », pour visées « antipatriotiques » et « complot contre l’État ». Ils l’accusaient de financer, pêle-mêle, les lobbies pro-immigration, pro-cannabis et des guérillas urbaines anti-Trump.

Ce qui est avéré, c’est que le plus riche des propriétaires de « hedge funds » (fonds alternatifs) américains – 29e fortune mondiale, il aurait amassé 25 milliards de dollars, selon le magazine Forbes – parraine, entre autres, des militants de la légalisation du cannabis en Californie, a investi une vingtaine de millions dans la campagne du parti démocrate et traite volontiers en public l’actuel président américain d’« apprenti dictateur ».

Pas de chance pour lui. En échouant, Hillary Clinton lui a fait perdre mille fois sa mise. Ayant parié sur l’effondrement de Wall Street dans l’hypothèse de l’élection de Trump, son fonds d’investissement, le Soros Fund Management, a vu ses actifs se déprécier d’un milliard de dollars quelques semaines après la victoire du magnat de l’immobilier. À l’inverse de ses oracles qu’il continue pourtant à dispenser à la planète entière, Wall Street bat des records. En un an, la hausse atteint 25 %.

 

« Financier, philosophe et philanthrope »

On ne prête qu’aux riches, et la force de frappe financière du milliardaire donneur de leçons demeure considérable. Mais son pouvoir et son influence ne sont peut-être plus tout à fait les mêmes qu’à l’aube des années 2000, quand il s’offrait le luxe de prêter un demi-milliard de dollars au fragile gouvernement de Boris Eltsine. Ces derniers temps, il n’y a pas qu’avec le Nasdaq que Soros enchaîne les déconvenues. Il a confirmé avoir soutenu financièrement les manifestants de la place Maïdan à Kiev durant l’hiver 2013-2014. Bilan : le pays traverse une grave crise économique, le conflit intérieur est loin d’être réglé et ses parrains occidentaux se désintéressent de son sort. Il s’écrit qu’une ONG américaine financée par ses soins aurait inspiré le plan d’Angela Merkel pour l’accueil des « réfugiés » en 2015. Deux ans plus tard, la chancelière paie personnellement le prix politique de ses décisions. Comme aux États-Unis, dans plusieurs pays européens voisins où ses relais médiatiques et financiers sont puissants, ce loup vieillissant de Wall Street a échoué à bloquer l’émergence de majorités conservatrices.

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En Europe centrale et orientale, les accusations formulées à l’encontre de celui qui se définit comme un « financier spéculateur-philosophe-philanthrope » ne sont pas moins graves qu’outre-Atlantique. Son bras armé pour distiller son influence, l’organisation « Open Society Foundations » (OSF), qui revendique avoir distribué 14 milliards de dollars de subventions dans le monde depuis sa création il y a 35 ans, et à laquelle il vient de transférer 18 milliards de dollars de sa cagnotte personnelle, est interdite en Russie depuis 2015. Le Kremlin lui reproche d’être l’un des principaux bailleurs de fonds des révolutions de couleur dans les ex-pays satellites. Les chefs de file des nouvelles majorités conservatrices aux commandes ne se gênent pas pour vouer l’homme et ses pompes aux gémonies. En Hongrie, dont est originaire le milliardaire, le Premier ministre Viktor Orban accuse sa fondation de « travailler infatigablement à transporter les migrants en Europe par centaines de milliers ». Son gouvernement a financé une campagne d’affichage ouvertement anti-Soros. Le Polonais Jaroslaw Kaczynski, leader du parti Droit et Justice majoritaire à la Diète, lui fait le procès de vouloir bâtir des « sociétés sans identité ». En Macédoine, le VMRO-DPMNE, majoritaire au Parlement de Skopje, appelle à « désoroïser » le pays.

Soros déchaîne les passions jusque sur les bords de la Méditerranée. La droite israélienne reproche à « ce juif athée » et « antisioniste » de soutenir des organisations propalestiniennes et pro-islamistes ; ses relais évoquent le chiffre de 10 millions de dollars dépensés en leur faveur depuis 2001. Parmi les ONG internationales dans le collimateur du camp Netanyahu, apparaissent en bonne place Human Right Watch, Amnesty International ou le Collectif contre l’islamophobie en France. À telle enseigne que le Likoud défend un projet de loi dite « Georges Soros » visant à interdire à des ONG d’accepter des fonds émanant de personnes et d’organisations anti-israéliennes ou favorables au boycott de l’État hébreux. En Afrique, royaume des rumeurs et des fake news, on croit souvent distinguer sa main derrière les processus de « transition démocratique » et les révolutions de palais. Officiellement, sa fondation est présente dans 13 pays clés. Soros contrôle plusieurs fonds d’investissement. Il lorgne tout particulièrement le secteur pétrolier et minier. À plusieurs reprises, il est entré en conflit avec des intérêts français. L’ONG Oxfam, que finance OSF, s’est attaquée nommément à la filiale d’Areva qui exploite des mines d’uranium au Niger.

 

Sur le retrait

Pendant longtemps, le système Soros a prospéré dans la discrétion, voire dans une certaine opacité ; en pleine contradiction avec l’ambition de sa fondation : promouvoir « des société ouvertes » par le biais de « démocraties vivantes et tolérantes ». Son fondateur, homme au parcours hors normes, n’est pas à un paradoxe près. Né en Hongrie dans une famille d’origine juive ashkénaze ayant échappé à la déportation, il fuit Budapest pour Londres en 1947. Après s’être formé à la London School of Economics, où il tombe sous le charme du philosophe autrichien libéral Karl Popper, il cède aux sirènes de Wall Street et émigre aux États-Unis. En 1970, il lance son propre hedge fund et spécule avec succès sur les monnaies, les dettes souveraines, les matières premières, les bourses. En 1992, en une nuit, il empoche un milliard de dollars en pariant sur l’effondrement de la livre sterling. « L’homme qui a braqué la banque d’Angleterre » récidive un an plus tard avec le franc, puis en 1997 avec les monnaies thaïlandaises et malaisiennes.

Soros a logé ses capitaux dans un family office[1] new-yorkais. C’est le paravent légal d’un véhicule basé dans un paradis fiscal aux Antilles néerlandaises, le Quantum Fund. Le milliardaire, qui a été condamné en France pour délit d’initié dans l’affaire du raid concocté par le banquier Pébereau contre la Société Générale en 1988, réinvestit une bonne partie de ses gains dans sa fondation tentaculaire. L’OSF contrôle en direct une quarantaine de structures éparpillées sur les cinq continents, dont plusieurs universités privées. L’Américain, qui se décrit volontiers comme « chef d’État apatride », en a fait une machine de guerre au service de ses idées et de ses intérêts. Quand il arrive que ses objectifs coïncident avec la politique de Washington à l’étranger, c’est encore mieux. Par exemple, sa fondation cofinance en partenariat avec la Freedom House et le National Endowment For Democracy, deux structures notoirement proches de la CIA, le mouvement d’activistes serbes Otpor. Née en 1998, à l’origine de la chute de Milosevic à Belgrade en 2000, on retrouve sa trace dans les révolutions de couleur en Europe, sur la place Tarir au Caire en 2011, au Venezuela aujourd’hui (voir pages 58 à 60).

La déconvenue du Brexit a convaincu l’allié fidèle de l’Union européenne, à 86 ans, de se retirer progressivement de la gestion quotidienne de son empire. En avril 2017, il a recruté son septième directeur depuis 2000 ; encore une star de la finance mais cette fois une femme, qui plus est croyant dans la hausse de Wall Street et votant républicain. Toujours bon pied bon œil, remarié pour la troisième fois en 2013 avec une consultante en santé de quarante et un ans sa cadette, le financier auteur de 14 livres s’apprête surtout à transmettre le flambeau à ses deux enfants Alexandre et Jonathan. Ils semblent mûrs pour assurer la prospérité de l’empire Soros tout en poursuivant la quête paternelle. Eux aussi veulent « bâtir une société mondialisée pour soutenir notre économie mondialisée ».

  1. Bureau de gestion du patrimoine par lequel une banque privée gère la fortune d’une ou de plusieurs familles.
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Mériadec Raffray

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