<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> France, puissance militaire et armée de terre #6

6 avril 2022

Temps de lecture : 7 minutes
Photo : Le char Leclerc. c : Daniel Steger
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France, puissance militaire et armée de terre #6

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La puissance est une notion multiforme qui a fortement évolué au cours des âges. Les facteurs qui la déterminent se sont accumulés : ressources, démographie (« il n’est de puissance que d’hommes », disait Jean Bodin), agriculture, économie au sens large, commerce, langue et au-delà influence (le fameux soft power) … Il reste qu’un des fondements les plus évidents réside dans la puissance militaire, qui seule permet d’assurer la souveraineté et, dans certains cas, de l’augmenter.

Une puissance évolutive au cours de l’histoire

Cette puissance militaire est elle aussi variée et a évolué au cours des siècles. Ainsi, un des grands arts de la guerre a longtemps consisté à savoir effectuer des sièges (poliorcétique) : cette capacité est aujourd’hui estompée. De même, elle a évolué et s’est diversifiée : si à l’origine elle se composait seulement des armées opérant sur terre et sur mer, on a observé depuis le début du XXe siècle une diversification avec tout d’abord la montée en puissance de nouvelles capacités : l’arme aérienne tout d’abord, mais aussi d’autres segments : espace (qui échoit en France depuis peu à l’Armée de l’air, renommée Armée de l’air et de l’espace), cyberespace, mais aussi champs cognitif et électromagnétique. Simultanément, l’armée de terre s’est elle aussi spécialisée : si à l’origine, la Gendarmerie était une de ses subdivisions organiques qui a rapidement conquis son autonomie (au point qu’aujourd’hui, elle ne dépend plus du ministère des armées), d’autres corps ont pris leur autonomie : la médecine (service de santé des armées) ou les carburants (service de l’énergie opérationnelle) depuis longtemps, plus récemment l’intendance renommée commissariat et devenu interarmées, ou encore le service du génie devenu service d’infrastructure de défense. Enfin, un certain nombre de fonctions spécialisées sont devenues des directions interarmées, comme le renseignement militaire ou encore les réseaux et systèmes d’information.

Ces précisions permettent de comprendre qu’il faut être très prudent quand on compare les dispositifs à travers les âges, d’autant plus que la suspension du service militaire en 1995 a fortement contribué à la déflation des effectifs. Simultanément, l’augmentation de la puissance des armes (puissance de feu, autonomie ou encore systèmes informatiques embarqués) a décuplé la capacité d’action du simple soldat. Ce dernier nécessite désormais une longue formation, bien loin du poilu de 1914 qui n’avait besoin que d’une simple instruction au tir de fusil… L’armée de terre demeure ainsi une armée d’hommes (et de femmes) mais où la qualité importe désormais plus que la quantité.

Il reste que l’on mesure la puissance d’une armée à trois facteurs : les ressources (humaines et matérielles), l’organisation et n’entraînement, enfin la volonté.

Ressources

Ressources humaines

Il faut tout d’abord distinguer le personnel ressortissant organiquement de l’armée de terre des « terriens » affectés dans des directions ou services interarmées ou ministériels. Certains évoquent le chiffre de 13.000 soldats.

L’armée de terre organique compte au total, par cercles concentriques partant du plus étendu au plus restreint, 148.761 hommes[1] en 2021.

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Panorama du matériel de l’armée française

Parmi ceux-ci, il faut distinguer 25.764 réservistes qui sont des personnels volontaires, travaillant normalement dans le civil mais venant effectuer des périodes plus ou moins courtes au sein de l’armée de terre. De même, environ 11.000 hommes servent dans des unités particulières, dépendant organiquement de l’armée de terre mais non fonctionnellement : il s’agit notamment de la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris, des unités d’intervention et de sécurité civile, enfin des unités de service militaire adapté.

Il reste donc au sein de l’armée de terre environ 121.000 personnes. Parmi celles-ci, on dénombre 8.186 agents civils et donc 111.818 militaires : 4.309 officiers, 38.528 sous-officiers, 61.491 militaires du rang et 490 volontaires. Parmi ceux-ci, environ 77.000 soldats composent la force opérationnelle terrestre, (FOT), les autres servant dans les écoles, les états-majors et autres organismes de soutien.

Ressources matérielles

La variété des missions et des spécialités rend le parc de matériel de l’armée de terre très divers et hétérogène. On peut distinguer des véhicules de combat, des véhicules d’appui et de soutien, enfin des aéronefs.

Parmi les véhicules de combat, l’armée de terre compte :  222 chars de combat Leclerc (XL), 247 blindés à roues AMX 10 RC, 628 véhicules blindés du combat d’infanterie (VBCI), près de 2.650 véhicules de l’avant blindés (VAB) et 1.418 véhicules blindés légers (VBL), 1.149 petits véhicules protégés. A cela s’ajoute une nouvelle gamme de véhicules Scorpion, destinés à remplacer une partie des précédents et intégrés au sein d’une bulle aéroterrestre permettant le combat infovalorisé. Il s’agit des VBMR Griffon (339 livrés en janvier 2022, 936 livrés d’ici 2025) destinés à succéder au VAB, de l’EBRC Jaguar (300 livrés à partir de 2021) destinés à succéder à l’AMX 10 RC, enfin d’un VBMR léger Serval, lui aussi en succession du VAB, 489 devant être livrés d’ici 2025. A l’horizon 2030, l’armée de terre prépare un nouveau segment lourd pour succéder notamment au Leclerc rénové.

Parmi les véhicules d’appui et de soutien, l’armée de terre compte : en artillerie, 77 canons Caesar, 13 lance-roquettes unitaires, 132 mortiers de 120 et encore un certain nombre de canons TRF1, ainsi que près de 200 missiles anti-aériens Mistral. Le parc de matériel du génie est hétéroclite et vieillissant. En matière d’hélicoptères, la France compte encore près de 80 gazelles et de 36 Pumas en service, deux appareils très vieillissant, d’environ 80 hélicoptères d’attaque Tigre et d’une cinquantaine de NH90, hélicoptère de transport.

La prochaine loi de programmation militaire fera l’effort sur les parcs d’Artillerie et de génie mais aussi sur l’hélicoptère H160 Guépard. L’ensemble de ce parc doit à terme être interopérable au moyen du standard Scorpion qui suppose un système d’information unique permettant la mise en réseau de tous les pions du système.

Organisation

Si l’effectif de l’armée de terre avait connu une déflation continue au cours de la guerre froide, une inversion de cette tendance a eu lieu depuis 2015. Elle s’est accompagnée d’un nouveau modèle d’armée, « Au contact ». Il tient compte de la présence des forces sur le territoire national au travers de l’opération Sentinelle mais surtout décide d’une nouvelle organisation.

Division organique

Le commandement des forces terrestres (CFT, Lille), compte ainsi deux grandes divisions (1ère et 3ème) qui ont été recréées et comptent chacune trois brigades. Il comprend également la brigade franco-allemande et les forces terrestres établies outre-mer ou à l’étranger. A cette force interarmes s’ajoute un certain nombre de piliers spécialisés, chacun commandé par un général de division. Ces commandements spécialisés sont ceux du renseignement, des systèmes d’information et de communication, de la logistique, de l’entraînement et des écoles du combat interarmes (E2CIA). Les deux divisions et ces quatre commandements sont placés sous le commandement des forces terrestres (CFT) basé à Lille.

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Une vision stratégique pour l’armée de terre

D’autres commandements ont été institués, en dehors des forces terrestres et sous la houlette de l’EMAT : il s’agit du commandement du territoire national (en charge des réserves de la BSPP, des USIC, du service militaire adapté, du service militaire volontaire), du commandement de l’aviation légère de l’armée de terre (ALAT : hélicoptères), le commandement des forces spéciales terre, le commandement de la légion étrangère.

Deux directions particulières spécialisées dépendent également de l’EMAT : il s’agit de la direction des ressources humaines de l’armée de terre (DRHAT) dont dépend le commandement de la formation (responsable notamment des écoles interarmes comme Saint-Cyr ou Saint-Maixent ou des lycées militaires) ; et la Direction de la SIMMT (structure interarmées de maintien en condition des matériels terrestres) qui chapeaute le commandement de la maintenance des forces et le service de la maintenance industrielle.

Les armes et les traditions

Cette organisation est articulée en niveaux hiérarchique : corps d’armée, divisions, brigades et en dessous régiments. Mais cette division organique est croisée par une articulation ancienne, fondée sur la spécialité ou le métier. On parle alors d’armes (d’où la notion de « combat interarmes », propre à l’armée de terre, à ne pas confondre avec l’interarmées qui réunit les différents milieux : terre, mer, air). Certaines de ces armes sont anciennes, d’autres ont été créées au XXe siècle : infanterie, cavalerie, artillerie, génie, subdivision des troupes de marine, train, transmissions, matériel, ALAT. Ces armes sont un creuset professionnel mais aussi le socle des traditions et donc de la culture tactique.

Ces traditions et ce cérémonial peuvent paraître désuets. Ils favorisent pourtant la cohésion et constituent un facteur de supériorité opérationnelle. La fierté d’appartenir au régiment, la volonté de ne pas déchoir par rapport à l’exemple des anciens, les épreuves et cérémonies passés ensemble contribuent à souder les unités, des plus petits échelons aux plus importants. C’est une base indispensable du moral et de la discipline, facteurs essentiels de la tenue d’une troupe au combat et donc de son succès.

Expérience et volonté

Discipline et moral sont donc deux facteurs essentiels de la puissance. Mais ils ne suffisent pas puisqu’il faut confronter cet outil au feu afin de le durcir sans l’user. La mesure est difficile : il n’y a qu’à observer l’armée de terre britannique qui a été surengagée en Afghanistan et peine depuis à s’en remettre. Tel n’est pas le cas de l’armée de terre française qui a connu de nombreuses expériences opérationnelles depuis les trente dernières années. La professionnalisation a en effet mis fin à la séparation traditionnelle entre troupes appelées qui restaient en métropole en garde à l’Est et troupes spécialisées (parachutistes, marsouins et légionnaires) qui avaient l’habitude de partir outre-mer.

Simultanément, de nombreux théâtres d’opération se sont ouverts : outre l’Afrique et le Liban traditionnels, les terriens ont été projetés partout : Koweït, ex-Yougoslavie, Kosovo, Afghanistan, Bande sahélo-saharienne, Moyen-Orient, … La professionnalisation ne désigne donc pas simplement le changement de statut des soldats, passés d’une majorité d’appelés à une quasi-totalité d’engagés (EVAT : engagés volontaires de l’armée de terre). Cette professionnalisation désigne également l’aguerrissement, aussi bien en garnison qu’en centres spécialisés (CENTAC, CENZUB, centres de tir, centres commandos) ou surtout en Opex (opération extérieure) ou en mission intérieure (Missint : autrefois Vigipirate, depuis 2015 Sentinelle).

Cet emploi régulier de toutes les troupes fait de l’armée française la plus puissante d’Europe et probablement une des plus aguerrie et efficace au monde. Elle réussit à produire des effets tactiques incontestables même si l’outil militaire n’arrive pas toujours à construire des solutions stratégiques durables. Elle est ainsi particulièrement reconnue par l’ensemble des observateurs en Europe et dans le monde au point que de nombreuses armées recherchent une certaine interopérabilité ou à partager son expérience.

Enfin, dernière faculté, elle a l’habitude de coopérer avec d’autres unités : il peut s’agir d’unités d’autres milieux (armée de l’air, marine nationale) ou d’actions internationales (dans le cadre ONU, UE ou OTAN). Elle dispose pour cela d’états-majors spécialisés, notamment le CRR-FR de Lille ou le Corps européen de Strasbourg.

L’armée de terre constitue ainsi un outil efficace et puissant, taillé à la bonne mesure même si elle connaît évidemment des difficultés localisées, comme toute structure. Elle a fait toutefois la preuve de ses qualités d’adaptation, ce qui constitue finalement le facteur le plus durable de sa puissance.

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La nécessité stratégique de l’interarmées

Olivier Kempf dirige le cabinet stratégique La Vigie. Il est chercheur associé à la FRS.

[1] Par souci de simplicité, nous utiliserons le terme « homme » au genre neutre, qui comprend bien sûr les hommes et les femmes de la défense.

À propos de l’auteur
Olivier Kempf

Olivier Kempf

Le général (2S) Olivier Kempf est docteur en science politique et chercheur associé à la FRS. Il est directeur associé du cabinet stratégique La Vigie. Il travaille notamment sur les questions de sécurité en Europe et en Afrique du Nord et sur les questions de stratégie cyber et digitale.
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