Guerre en Iran : un lion peut en cacher un autre

13 juin 2025

Temps de lecture : 4 minutes

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Guerre en Iran : un lion peut en cacher un autre

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Quand on ne peut pas surprendre par le temps, on surprend par la méthode. L’attaque israélienne vise donc à décapiter les dirigeants iraniens et à empêcher le déploiement du nucléaire.

Alea iacta est. Dans la nuit du 12 au 13 juin, vers 2h15 heure locale, Israël a lancé une opération d’une ampleur sans précédent contre la République islamique d’Iran. Les premières cibles visées semblent être des infrastructures nucléaires et militaires ainsi que des hauts gradés et responsables du programme atomique. L’attaque, menée avec le feu vert des États-Unis, visait à neutraliser la capacité de l’Iran à produire une arme nucléaire dans un avenir proche et à désorganiser sa chaîne de commandement militaire, composée de l’armée régulière et des Gardiens de la révolution. Selon les premières informations disponibles, les frappes ont détruit le site d’enrichissement d’uranium de Natanz, plusieurs usines de missiles, ainsi que le siège des Gardiens de la révolution à Téhéran.

Cibles touchées

La frappe a littéralement décapité le haut commandement de la République islamique en éliminant le général Hossein Salami, commandant en chef des Gardiens de la révolution, et le général Mohammad Bagheri, chef d’état-major des forces armées iraniennes. Plusieurs autres officiers supérieurs, une trentaine, ont également été tués. Parmi les victimes figurent aussi Faridoon Abbasi et Mohammad Tehranchi, deux scientifiques nucléaires iraniens de premier plan. Ces éliminations ciblées visent avant tout à frapper le régime au cœur de ses structures politico-militaires.

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Cette « frappe d’ouverture » éclaire rétrospectivement l’étrange communication israélienne de ces derniers jours. La presse israélienne fourmillait d’insinuations sur une frappe imminente, dans ce qui semblait être une campagne planifiée, mais dont la logique n’était pas évidente : pourquoi alerter les Iraniens ?

Pourquoi ne pas reproduire les frappes menées dans la surprise la plus totale contre les projets nucléaires irakien (1981) et syrien (2007) ? La réponse est qu’il ne s’agit pas cette fois d’une simple frappe, mais du déclenchement d’une guerre — ou du moins d’une opération prolongée. À cela s’ajoute un signal très fort venu des États-Unis : l’annonce par le Département d’État de l’évacuation du personnel non essentiel de plusieurs ambassades dans la région. Israël ne pouvait sans doute pas surprendre Washington et prendre le risque d’assumer seul d’éventuelles victimes américaines en cas de représailles. Le problème, impossible de surprendre par le calendrier, a été résolu en surprenant par le choix des cibles. Comment transformer les citrons en citronnade ?

Savoir utiliser la surprise

L’idée est de profiter du fait que, alerté par l’imminence de l’attaque, le haut commandement iranien se regroupe dans ses QG à Téhéran, dans l’attente d’hostilités presque annoncées. La surprise n’a donc pas porté sur le moment de l’attaque, mais sur le fait que le renseignement israélien ait réussi à pénétrer l’appareil militaire iranien au point de localiser et frapper ses centres de commandement au moment même où tous les responsables clés s’y trouvaient. C’est en quelque sorte un bis repetita de l’élimination de Hassan Nasrallah dans son QG à Beyrouth à la fin septembre dernier. Enfin, la surprise a également porté sur le mode opératoire. À l’instar des Ukrainiens face à la Russie, Israël aurait implanté des bases avancées de lancement de drones à proximité immédiate des sites stratégiques iraniens. Ce dispositif permet d’effectuer des frappes avec des engins plus légers, dotés de charges utiles plus importantes, les besoins en carburant ou en batterie étant considérablement réduits par la brièveté des vols. Résultat : des attaques plus précises, plus puissantes, et surtout plus difficiles à intercepter, tant le délai de réaction laissé à l’ennemi est court.

Pourquoi Israël a-t-il choisi de frapper maintenant ? Essentiellement parce que l’Iran est aujourd’hui si proche de se doter de l’arme nucléaire que l’on serait arrivé au tout dernier moment pour l’en empêcher. Selon les autorités israéliennes, Téhéran serait désormais en mesure de produire plusieurs bombes en une quinzaine de jours à peine.

L’Iran est sur le point de disposer de l’arme nucléaire

Cette analyse semble largement partagée. Pour la première fois depuis deux décennies, l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) a officiellement condamné l’Iran pour son non-respect de ses engagements, une condamnation rendue publique alors que les négociations entre Washington et Téhéran sont au point mort. Il est donc raisonnable de supposer que l’Iran est en train de franchir la dernière ligne droite vers l’arme nucléaire, tout en se protégeant derrière un rideau de fumée diplomatique.

À la suite de la résolution de l’AIEA, Téhéran a annoncé des mesures de représailles. Parmi celles-ci figure l’ouverture d’un troisième centre d’enrichissement de l’uranium, implanté dans une zone sécurisée à l’abri d’éventuelles frappes. En parallèle, l’Iran a confirmé son intention de moderniser l’usine de Fordow afin de porter l’enrichissement de l’uranium à plus de 60 %, un seuil inquiétant et sans finalité civile crédible. Pour dissiper toute ambiguïté, le général Hossein Salami, tué cette nuit, avait prononcé peu auparavant un discours particulièrement belliqueux.

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L’objectif israélien est donc clair : empêcher l’Iran d’acquérir la bombe. Mais la seule destruction des installations nucléaires, y compris des vecteurs, ne pourrait que retarder l’échéance de quelques années. On peut y voir l’action d’un joueur de football qui arrête avec la main un ballon ayant échappé à son gardien. Si Israël croit à une menace existentielle imminente, gagner quelques années n’est pas rien. Toutefois, cette opération, qui, selon les autorités israéliennes, pourrait durer jusqu’à quinze jours, vise des objectifs bien plus ambitieux : fissurer, affaiblir, voire précipiter la chute du régime ou sa transformation en un pouvoir post-révolutionnaire de type thermidorien.

Ainsi, le nom donné par Israël à cette opération, Am Kalavi, littéralement « un peuple se lève comme un lion », envoie un double message. D’abord au peuple israélien, qui, après des décennies de confrontation avec un régime voué à sa destruction, se redresse enfin pour transformer l’angoisse en espoir. Mais aussi à un autre peuple : celui qui aspire à remettre le lion au centre de son drapeau. Suivez mon regard.

Dans la région, les chancelleries condamnent officiellement tout en espérant, parfois ouvertement, mais le plus souvent discrètement, un affaiblissement ou un échec de la République islamique. Les États-Unis, de leur côté, ont apporté un soutien sans ambiguïté à l’opération, réaffirmant leur solidarité avec Israël et se déclarant prêts à l’aider à se défendre contre d’éventuelles représailles iraniennes. À Washington, on espère pouvoir contenir l’escalade grâce au processus diplomatique encore en cours, et, le moment venu, capitaliser autour de la table des négociations sur un éventuel succès israélien. Mais c’est un jeu à haut risque qui vient d’être lancé et, quand on traverse le Rubicon, on peut s’attendre à tout, au meilleur comme au pire.

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À propos de l’auteur
Gil Mihaely

Gil Mihaely

Journaliste. Directeur de la publication de Conflits.

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