La guerre et la paix, Approches et enjeux de la sécurité et de la stratégie

27 juin 2020

Temps de lecture : 7 minutes
Photo : La guerre et la paix, Charles- Philippe David et Olivier Schmitt - AP22465370_000009
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La guerre et la paix, Approches et enjeux de la sécurité et de la stratégie

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La période dans laquelle nous vivons assiste à un recul des relations internationales, et c’est ce qu’entend présenter cet ouvrage. Le système mondial est en mutation continuelle tant sur le plan du caractère de la guerre, des possibilités de régulation des conflits et des stratégies de paix au XXIe siècle. Avec le recours à l’isolationnisme amorcé par Trump, quels sont les caractères des relations internationales de ce début de XXIe siècle ?


 

Un changement de paradigme venant du géant américain

Depuis vingt ans cet ouvrage a été utilisé dans les salles de classe et les chercheurs, et a été constamment remis à jour ; cette fois ci, le spécialiste canadien, président de l’Observatoire des Etats -Unis de l’Université du Québec à Montréal passe la main à Olivier Schmitt, professeur de relations internationales et directeur du Center for War Studies (CWS) de l’Université du Danemark du Sud. Avec la présidence Trump, nous sommes au croisement entre deux mondes stratégiques concurrents. Celui, nouveau, des enjeux non militaires, où la guerre commerciale et les sanctions, tendent à remplacer, voire se substituer aux affrontements sur le terrain.

 

 

 

Où les défis globaux de la sécurité, se sont diversifiés, car la sécurité n’est pas seulement matérielle, mais humaine, sociale, culturelle, éthique.  Alors que le monde ancien, celui où comptaient encore les principes généraux du droit, le respect des alliances et de la parole donnée, tend à s’estomper. De fait la négociation, comme moyen de réguler les rapports inter étatiques et fixer, pour un moment le rapport des forces et la compatibilité des intérêts est de plus en plus négligée. Avec Donald Trump, c’est à un changement de paradigme, presque complet, auquel on assiste.

L’hégémon américain n’agit plus comme le garant de l’ordre multilatéral libéral qu’il avait établi, en 1945, mais n’est plus guidé que par la recherche de ses propres intérêts souvent réduits à leur aspect purement financier, sinon comptable. Une nouvelle compétition, que d’aucuns dénomment nouvelle guerre froide s’est instaurée entre les Etats -Unis et la Chine. Les crises régionales, même si elles ont diminué, sont toujours présentes. La course aux armements, surtout en Asie qui achète plus de 60% des armes vendus dans le monde a repris de plus belle, adieu les dividendes de la paix. Toutes ces évolutions, augurent l’avènement d’un monde plus chaotique, un panorama, qui s’est bien compliqué avec le coronavirus.

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Des conditions de guerre modifiées

Le recul démocratique, la montée des autoritarismes, le moindre soutien apporté aux droits de l’homme, la lassitude de l’aide au développement autant de facteurs déstabilisant les pouvoirs traditionnels. Mais c’est l’irruption de toutes les formes de désinformation, les nouvelles formes de guerre, cyber, hybride, qui constituent un paysage stratégique nouveau. Les armes intelligentes, la robotisation, l’intelligence artificielle, la numérisation modifient les conditions de la guerre. A cela s’ajoute les mouvements migratoires, la construction des murs et des barrières, et l’impact du changement climatique dont les effets sur la sécurité nationale ont été reconnus par le Département de la Défense américain dès 2003.

Mais ce que prend en compte surtout cet ouvrage c’est ce que les auteurs appellent le recul sécuritaire, – j’aurai préféré l’affaiblissement- qui se traduit par la croissance des budgets militaires, le retour du nucléaire, surtout en matière de forces de théâtre, le démantèlement de tout le système de l’arms control, tel qu’il avait été mis en place depuis 1969 avec Nixon et Brejnev. Bien des équilibres stratégiques sont modifiés par la montée rapide de la puissance chinoise et le retour de la puissance russe.

 

Le recul de la responsabilité de protéger

Un autre élément est amplement pris en compte par cette nouvelle édition, celui d’ordre normatif. Si le blocage du Conseil de sécurité n’est pas une chose nouvelle, plus révélatrice est le recul de la responsabilité de protéger. Les opérations de maintien de la paix, changent de nature, il ne s’agit plus de maintenir la paix, mais de l’imposer. Les combats mettent aux prises de plus en plus des forces non classiques, milices, mercenaires… Tous ces facteurs sont minutieusement analysés, dans cet ouvrage. Voilà donc l’ordre international modifié. Pour les auteurs on a quitté le » monde unipolaire », celui dominé par l’hyperpuissance américaine, mais on n’est pas encore arrivé à un monde multipolaire, faute de pôles solides, indépendants. Il en est de même pour ce qui concerne la hiérarchie des puissances, que les auteurs classent en cinq catégories.

 

La hiérarchie des puissances

La première est celle de la superpuissance, c’est-à-dire les Etats -Unis car eux seuls ont la capacité à intervenir partout dans le monde et ne peuvent être détruits par aucun Etat seul. La seconde est celle de la grande puissance, qui dispose de capacités d’intervention limitée, c’est-à-dire la Chine. La troisième catégorie est celle des puissances majeures, dans laquelle ils placent France, Royaume -Uni et Russie. A la fois l’expression « majeure », qui implique l’idée de suprématie, mais surtout le fait de mettre sur le même plan les trois pays nommés, paraît tout de même étrange. Certes le PIB russe n’est guère à la hauteur de ses ambitions, mais sa puissance atomique, militaire, l’immensité de son territoire, ses ressources naturelles, devraient le hisser au niveau supérieur. La quatrième catégorie est celle des puissances régionales, où l’on trouve tous les candidats à un siège permanent au Conseil de la Sécurité, Allemagne, Japon, Inde, Brésil, Afrique du Sud, Nigéria, mais il est curieux qu’ils y mettent l’Argentine et non le Mexique, mais surtout le Kenya, et non l’Ethiopie, dont la population (103 millions) a dépassé celle de l’Egypte.

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L’anatomie de la guerre évolue

Au-delà de ces remarques, reste l’essentiel, c’est à dire la gamme très vaste des questions passées en revue par les auteurs. Ils indiquent que le nombre des Etats et leurs victimes ont beaucoup diminué.  En effet le ratio nombre de guerres/ nombre d’Etats est passé de 0,74 durant les années 1890 (le plus élevé de l’histoire) à 0,26 dans les années 1940, à 0,17 durant les années 1990, le plus faible de l’histoire. Mais un tel indice fort général, qui ne prend en compte ni la durée, ni l’ampleur, ni le nombre de belligérants est-il parlant ? Ce que l’on observe c’est que les guerres sont de plus en plus longues, d’une durée moyenne de quatre ans et demi contre une moyenne d’un an et demi entre 1900 et 1944. Les guerres civiles qui avaient diminué après la fin de la guerre froide, du fait de la disparition du soutien apporté par les deux Grands, mais ont repris après 2003, indiquant l’autonomie croissante des Etats. Autre fait marquant la majorité des guerres en cours mettent aux prises les pays musulmans, qui représentent 60% des conflits, contre 40% auparavant.

 

L’opération extérieure : assurer une mission de police internationale   

Une autre réflexion porte sur les interventions militaires, qui depuis la fin de la guerre froide ont changé de nature. On a assisté à un glissement de l’emploi de la force armée utilisée traditionnellement dans un but politique afin de combattre un ennemi à l’emploi de la force armée comme un outil de gouvernance afin de policer des espaces contestés. Ce glissement conduit potentiellement à prolonger indéfiniment l’emploi de la force : s’il ne s’agit plus de combattre un ennemi- avec lequel il faudra ensuite établir la paix, mais d’assurer une mission de police internationale, la durée théorique des interventions, puisqu’il y aura toujours des déviations potentielles à la bonne gouvernance, aura tendance à se prolonger surtout dans le cas où l’on demande à l’intervention militaire de régler des problèmes qui relèvent avant tout de la politique. On trouve là, le dilemme auquel se heurte l’opération Barkhane au Sahel.

On sait que l’intervention militaire à elle seule ne règle pas tous les problèmes, comme l’a prouvé l’intervention franco-britannique contre Kadhafi en mars 2011. Il s’avéra qu’une fois le colonel détrôné il n’y avait ni solution politique, de rechange, ni protégé partagé avec les Européens, pour l’avenir du pays, ni encore moins les moyens d’empêcher une guerre civile. Être artisan de la paix ne s’avère pas aisé.

 

L’impact des transformations socioéconomiques

D’autre part les transformations de l’ordre international et des modalités de l’emploi de la force ont lieu dans un contexte plus large marqué par les transformations socioéconomiques de long terme qui ne manqueront pas d’avoir un impact sur la sécurité internationale. La première de ces transformations est la mutation des modes de production et du capitalisme global. On sait combien cet aspect sera encore renforcé par la pandémie. Le deuxième défi majeur est la crise de confiance, particulièrement marquée dans les pays occidentaux, entre leurs dirigeants et leurs citoyens et donc le devenir de la démocratie. Le troisième enjeu de long terme est l’impact du changement climatique dont les conséquences vont se sentir dans bien des domaines, accès à l’eau (avec les conflits potentiels), la sécurité alimentaire, avec les possibilités de migrations, la montée des océans et des mers. En lisant ce riche ouvrage on trouvera des réponses à nombre de questions. Comment définir la guerre et la paix ? Que sont la sécurité et la stratégie ? quelles mutations a connu la guerre et ses manifestations ? Les enjeux de sécurité se sont diversifiés. A -t-on progressé dans les tentatives de régulation de la guerre, la gouvernance internationale, la sécurité collective, la maîtrise des armements ?

 

Privilégier la diplomatie préventive pour une stabilité mondiale

En définitive, l’ordre international est toujours soumis aux aléas de la peur. Les dilemmes traditionnels de la sécurité se transforment en paradoxes de la sécurité dans un environnement de plus en plus compétitif où ce sont de plus en plus des systèmes économiques, des modèles sociaux et des manières de gouverner qui s’affrontent. Par ailleurs on observe depuis un quart de siècle que le rôle des civils s’est notablement accru, d’abord comme principales victimes des conflits devenus de plus en plus intraétatiques, puis comme participants. Il en résulte l’apparition de sociétés guerrières multiformes, durables, faisant fi des frontières, des autorités établies, vivant de tous les trafics, mélangeant motivations idéologiques et appât du gain. D’où le dilemme des puissances, que j’appellerai installées qui doivent tout à la fois se réadapter aux risques de conflits de haute intensité tout en gérant le bas du spectre lié à la menace terroriste et à la stabilisation des Etats, domaine où interviennent de plus en plus les forces spéciales. D’un autre côté, avant même l’irruption des mouvements de protestation ayant fait suite à la mort de George Floyd, les auteurs avaient noté les violences d’extrême droite, la défense de la « race blanche » et en retour la puissante montée des mouvements anti-racistes.

Le génie nucléaire n’est pas près de revenir dans sa boite, d’où la nécessité pour les puissances de gérer le « troisième âge nucléaire », au moment où tout le système de l’arm control est sur le point de s’effondrer. Or l’équilibre reste fondamental pour la stabilité de l’ordre mondial. Toutes ces données sur lesquelles cet ouvrage s’étend longuement, conduisent à s’interroger, une fois de plus, sur l’efficacité des méthodes de prévention, de régulation et de résolution des conflits. Même si on peut s’interroger sur son efficacité, la diplomatie préventive doit être constamment mise en œuvre. Les médiations poursuivies inlassablement, impliquant de nombreux acteurs. Construire une paix positive, durable relève du Sisyphe, mais sans cet effort, le coût de la reprise des guerres s’avèrera très lourd. De même un nouveau modèle de mission de maintien de la paix sera nécessaire, cela semble aller de soi à énoncer, mais plus difficile à mettre en œuvre. Avec des Etats -Unis en retrait, bon nombre de pays européens du Nord, du Centre et de l’Est focalisés sur la Russie, faudra -t-il de plus en plus reposer sur la Chine déjà très présente dans ce domaine et quelques rares autres pays ?

À propos de l’auteur
Eugène Berg

Eugène Berg

Eugène Berg est diplomate et essayiste. Il a été ambassadeur de France aux îles Fidji et dans le Pacifique et il a occupé de nombreuses représentations diplomatiques.
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