Ormuz : l’Iran joue aux échecs

29 juillet 2019

Temps de lecture : 3 minutes
Photo : Iran inventeur du jeu d'échec sait mener la partie (c) Pixabay
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Ormuz : l’Iran joue aux échecs

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La multiplication des altercations entre l’Iran et les États-Unis dans le détroit d’Ormuz fait craindre un basculement vers une guerre armée. Analyse de Jean-Yves Bouffet.

 

Vers le milieu du mois de mai, quatre tankers furent victimes d’un sabotage au sud du détroit d’Ormuz. Puis deux autres à la mi-juin. Une semaine plus tard, l’Iran abattit un drone américain, affront que l’US Navy lavera par la suite en faisant de même avec un appareil iranien. Début juillet, c’est le pétrolier iranien Grace 1 qui est intercepté par les autorités britanniques au large de Gibraltar, soupçonné de transporter du pétrole vers la Syrie. Deux semaines plus tard, les Iraniens saisissent un pétrolier britannique, l’accusant d’avoir percuté un navire de pêche. À la suite de cela, la France, l’Allemagne, et surtout le Royaume-Uni, en première ligne, envisagent de déployer des moyens pour protéger la liberté de circulation dans la zone. Voilà pour les faits, du moins les principaux, car il est difficile d’être exhaustif, tant les incidents et les déclarations s’enchaînent rapidement.

Une zone sous tensions régulières

Pour bien jauger le risque, il faut faire preuve de mémoire. Ce n’est pas la première fois que le ton monte dans la région. Ainsi, fin 2011, l’Iran avait déjà menacé de fermer le détroit d’Ormuz, expliquant que cela était « aussi simple que de boire un verre d’eau ». En mai 2015, Téhéran s’était permis d’intercepter le Maersk Tigris en prétextant un litige commercial. Le pavillon du navire, les îles Marshall, un État indépendant, mais restant lié aux États-Unis, leur avait servi de prétexte pour faire monter les enchères. Et il y a un an, en juillet 2018, l’Iran annonçait déjà qu’elle procéderait au blocus du détroit d’Ormuz en représailles aux sanctions américaines. Et surtout, pendant la guerre Iran-Iraq, dans les années 1980, Saddam Hussein avait tenté de pousser l’Iran à la faute en lançant la « guerre des tankers », qui prenait justement des pétroliers pour cible. On connaît la suite, à savoir le match nul à la Pyrrhus qu’a constitué cette guerre. Mais celle-ci n’a pas dégénéré malgré de nombreux incidents qui auraient pu conduire à cela, par exemple, lorsqu’un navire militaire américain a été touché accidentellement par des missiles irakiens.

À la question de savoir si l’Iran peut tenir un blocus militaire du détroit d’Ormuz, la réponse semble clairement non. La Chine et la Russie n’enverront pas, en l’état, leurs soldats mourir pour Téhéran, dont l’armée seule ne fait clairement pas le poids face à la puissance de l’Oncle Sam et de ses alliés. La seule possibilité réaliste consisterait en une action asymétrique, par exemple un minage du détroit. Elle serait sans nul doute efficace car, le temps que la zone soit sécurisée, l’interruption du trafic qui en résulterait aurait des conséquences dévastatrices sur l’économie mondiale, quoique son importance relative ait baissé d’un cran. Toutefois, les Iraniens y ont-ils vraiment intérêt ? Ce n’est pas évident, ne serait-ce parce que la Chine, puissance dont Téhéran a absolument besoin, serait impactée négativement.

 

Dans tous les cas, des actions d’intimidation touchant des drones ou des navires marchands de façon isolée permettent de se toiser mutuellement sans atteindre des points de non-retour. L’Iran ne tentera probablement pas ce qu’elle a justement cherché à éviter pendant la guerre Iran-Iraq, et n’a pas essayé durant les autres moments de tensions et d’affrontement, à savoir, la fermeture du Détroit d’Ormuz. Les Iraniens n’ont-ils pas inventé les échecs[1], jeu de stratégie par excellence ?

Lire aussi : Iran / Etats-Unis : embargo réel, guerre rituelle

[1] Échecs vient d’ailleurs du mot « Shah », qui désigne le roi. Il faut noter que selon certaines légendes, c’est en Inde que ce jeu aurait été inventé.

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À propos de l’auteur
Jean-Yves Bouffet

Jean-Yves Bouffet

Officier de la marine marchande.
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