Podcast – La conférence de Genève IV aura-t-elle lieu ?

21 février 2017

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Podcast – La conférence de Genève IV aura-t-elle lieu ?

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De ses voyages, Agnès Richieri, diplômée de Sciences-Po et de l’Institut Européen de Journalisme, rapporte des images, des témoignages, des entretiens, des événements qu’elle présente tantôt sous la forme tantôt d’articles, tantôt d’entretiens, tantôt encore de photographies. Au gré de son humeur et des opportunités. De ces choses vues et de ces paroles entendues, elle tire des analyses personnelles qu’elle fait partager aux lecteurs du site Conflits, au rythme d’une intervention originale chaque mois. Voir et écouter sans a-priori, n’est-ce pas la première étape de toute réflexion ?[/colored_box]

Les ministres des Affaires étrangères de Russie, Sergueï Lavrov, et d’Iran, Mohammad Javad Zarif. Leurs rapports ne sont pas si simples qu’on le croit.

Une fois n’est pas coutume, la date du 4e cycle de négociations de Genève sur la Syrie vient d’être à nouveau décalée. Initialement prévue le 8 février dernier puis le 20 février, les rumeurs tournent autour d’une nouvelle date. Si la diplomatie onusienne concernant la Syrie a souvent habitué les observateurs aux couacs logistiques, les raisons derrière l’absence de date tranchée sont certaines tensions devenues apparentes entre les principaux organisateurs, à savoir Staffan de Mistura pour l’ONU et la Russie. Cette compétition pour le leadership international des négociations de Genève n’est pas sans heurter le désir de nombreux opposants syriens de voir le processus se fixer dorénavant à Damas dans une logique de réappropriation syrienne. Retour sur une concurrence diplomatique qui a éclaté au grand jour lors de la conférence cycle d’Astana le 23 janvier dernier.

Une victoire russe à Astana

Plusieurs jeux d’influence internationale se sont joués en parallèle lors de la conférence d’Astana, les 22 et 23 janvier dernier.

Un premier problème tient à la personnalité de sa principale organisatrice, Randa Kassis, une opposante syrienne « sortie de nulle part, selon une source du PSNS (Parti socialiste national syrien), en ce sens qu’elle n’avait aucune activité politique pro ou anti gouvernement avant la guerre ». Mais ce sont plutôt les connections de son actuel compagnon, Fabien Baussart, ancien consultant pour des compagnies pétrolières et de ce fait proche du président kazakh Noursoultan Nazarbaïev, qui lui ont permis d’organiser cette première réunion regroupant des opposants armés en janvier dernier. Par ailleurs, « Baussart est aussi actif dans le commerce de pétrole avec les Kurdes de Syrie et d’Irak» explique un membre de l’opposition syrienne de l’intérieur. Randa Kassis, accusée de faire le jeu des Russes, pourrait donc représenter en réalité une personnalité adoubée par les Russes certes, mais aussi par les Américains et les Israéliens.

Astana a surtout marqué la concrétisation du rapprochement entre la Turquie et Moscou. En effet, une grande majorité des opposants armés qui y ont été invités sont notoirement proches des services secrets turcs. Par ailleurs, aucun chef kurde proche du PKK, ennemi juré d’Ankara, n’y a été convié. « Astana est aussi une victoire politique de Moscou sur l’Iran, explique le directeur d’Al Manar en Syrie, chaîne TV proche du Hezbollah. Parce qu’il fait de la Turquie une carte capable de faire pression contre Téhéran, le sort des villages chiites de Fouaa et Kefraya n’a pas été abordé dans les négociations finales de cessez-le-feu et l’Iran a été isolé de la conférence. »

Enfin, les deux objectifs affichés par Moscou semblent avoir été atteints. Premièrement, la Russie a réussi à séparer le bon grain de l’ivraie jihadiste en poussant les groupes rebelles présents à Astana à prendre leurs distances avec le Fatah el Sham, ex-Jabhat al Nosra affilié à Al Qaïda. Cet isolement et la perte de légitimité de la partie la plus radicale de l’opposition armée permettent ainsi de conforter la stratégie militaire du gouvernement syrien et de ses alliés sur le terrain. Celle-ci s’apparente à et se justifie comme une lutte purement anti-terroriste, loin des théories contre-insurrectionnelles. Enfin, le choix de Mohammed Alloush, réputé proche des Saoudiens, comme chef d’une délégation essentiellement pro-turque couronne une politique habile d’évincement de l’opposition soutenue par Riyadh.

Le jeu trouble de Damas et Téhéran à la réunion de Moscou

Organisée fin janvier, la conférence de Moscou s’est voulue le pendant politique de la conférence d’Astana, destiné à concrétiser l’écartement politique cette fois-ci de l’Arabie Saoudite avant les négociations de Genève IV.

Cette nouvelle réunion a regroupé dix personnalités de l’opposition syrienne représentant les groupes de Moscou, Astana, Le Caire, Humeymim et Damas. Si le groupe de Riyadh a été formellement invité, personne du groupe n’est venu mais Hassan Abdelazeem du groupe de Damas a néanmoins été chargé de représenter les intérêts de Riyadh. Parmi les éléments nouveaux figurent l’invitation du PYD kurde, signe d’une pression nouvelle des Américains et Européens déçus de n’avoir pas vu leur allié présent à Astana.

Sous l’impulsion de Mikhael Bogdanov, vice-ministre des Affaires étrangères, les opposants se sont mis d’accord sur la constitution d’une seule délégation pour l’ensemble de l’opposition syrienne à Genève IV d’une part, puis sur le format de face à face entre l’opposition syrienne et la délégation gouvernementale, d’autre part. A noter que le format privilégié lors des trois premiers cycles de négociations à Genève était de 4 délégations (3 d’opposition et une gouvernementale) qui ne rencontraient que Staffan de Mistura et son équipe sans jamais de face à face. Enfin, la présence de membres de l’opposition armée au sein de la délégation de Genève IV a été acceptée par toutes les parties présentes à Moscou, quoique formellement refusée par le groupe de Riyadh. Un projet constitutionnel présenté par Moscou a aussi été distribué aux membres de l’opposition comme document de travail pour réconcilier les différentes positions.

L’élément le plus surprenant de la réunion de Moscou est la présence au même moment dans la capitale russe d’une délégation d’autres Syriens représentant la « plate-forme de Damas ». « La plate-forme a été créée il y a trois mois à Damas lorsque le président Assad a demandé un rassemblement de l’ensemble de l’opposition de l’intérieur, explique Ahmed Koussa, un député syrien membre de la plate-forme. Leur visite à Moscou avait pour seul et unique but de s’inclure dans la délégation de l’opposition syrienne qui doit se rendre à Genève. » Organisée sous l’impulsion de Barouine Ibrahim, une opposante kurde de l’intérieur, la visite de cette délégation officieuse à Moscou n’a pas porté ses fruits. « Cette plate-forme est essentiellement constituée de partis créés en 2011 au moment de l’ouverture démocratique du président Assad, explique un membre de l’opposition de l’intérieur. Ces derniers ont des liens avérés avec le régime. » Et effectivement, l’appel répété de la plate-forme à tenir les négociations diplomatiques à Damas et non à l’étranger fait étrangement écho aux propres demandes du gouvernement syrien. On pourrait donc analyser la présence de cette délégation officieuse à Moscou comme la volonté de Damas et par extension de Téhéran de garder un certain contrôle sur le cycle diplomatique en cours, d’autant plus après l’avancée politique russe à Astana.

Des points de vue irréconciliables pour Genève

En attendant la conférence de Genève IV prévue pour la fin février, l’opposition politique syrienne n’a pas besoin des manœuvres de Damas pour se déchirer à nouveau. « Si nous avons accepté de faire une délégation unique, il n’est pas question pour l’instant que celle-ci soit unie, précise Elian Mousaad, chef du groupe de Humeymim. Nous avons des positions irréconciliables, tant sur la composition de la délégation que sur un éventuel gouvernement de transition. »

La préparation de Genève IV est donc devenue le théâtre d’une confrontation entre deux camps aux intérêts divergents et déterminés à réduire l’influence de l’autre : d’un côté un groupe laïc soutenu par Moscou et de l’autre un groupe plus proche des Frères musulmans soutenu par Riyadh. Sur le fond les priorités divergent : l’un souhaite garantir avant tout la laïcité du futur système politique syrien tandis que l’autre voudrait évincer dès que possible le président Assad du pouvoir. Pour contrer l’isolement politique dont il fait l’objet, le royaume saoudien a donc organisé une réunion le 12 février dernier, dans sa capitale. Des membres de l’opposition armée et du groupe de Riyadh se sont rassemblés pour proposer une délégation de 21 membres composée essentiellement d’éléments proches des Saoudiens mis à part Alaa Arafat proche de Qadri Jamil et de Moscou ainsi que Khaled el Mahamid du groupe du Caire. Les éléments les plus proches de Moscou comme Qadri Jamil, Randa Kassis et Elian Mousaad sont ainsi écartés. Proposition insoutenable pour le groupe de Humeymin dont la délégation idéale ne contient qu’un seul membre du groupe de Riyadh et les trois personnes ci-dessus.

Soucieux de garder la main sur le processus, Staffan de Mistura s’est récemment rendu à Moscou pour négocier la composition finale de la délégation tout en écartant la proposition de Riyadh. A ce jour, aucune invitation officielle n’a été lancée pour la conférence de Genève IV.

Agnès Richieri

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À propos de l’auteur
Agnès Richieri

Agnès Richieri

Journaliste spécialiste du Moyen-Orient et de la région des Grands Lacs, Agnès Richieri est titulaire d’un Master en Affaires internationales de l’IEP de Paris et d’un Master Grands Reportages à l’Institut Européen du Journalisme. Passionnée de géopolitique et de photographie, elle a été la correspondante du journal La Croix en Egypte et au Kurdistan irakien avant de couvrir à partir de 2015 la crise présidentielle au Burundi. En parallèle, elle a continué sa formation en arabe auprès de l’INALCO. Elle collabore régulièrement avec le journal La Croix et la revue Alternatives Internationales.
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