La Pologne : future première force militaire de l’Union européenne ?

12 janvier 2023

Temps de lecture : 4 minutes
Photo : Le président polonais Andrzej Duda prononce un discours lors de la cérémonie marquant la Journée de l'armée polonaise à Varsovie, en Pologne, le lundi 15 août 2022. (AP Photo/Michal Dyjuk)/DYJ101/22227477260815//2208151545
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La Pologne : future première force militaire de l’Union européenne ?

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Un tel titre aurait fait sourire il y a quelques décennies. Pourtant le conflit ukrainien est en train de rebattre les cartes, tout particulièrement en Europe centrale. La Pologne, qui n’a jamais caché sa rivalité et sa peur de la Russie, se montre particulièrement active. Et tout particulièrement au niveau militaire avec une reformation de son appareil. Pourra-t-elle prendre la place de l’Allemagne en tant que puissance continentale européenne ?

Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’armée polonaise a été reconstituée. D’abord intégrée au pacte de Varsovie à l’époque où elle était intégrée au bloc soviétique, elle fait désormais partie des forces de l’OTAN depuis 1999.

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Une armée en redéveloppement

L’armée polonaise est actuellement l’une des plus grandes armées de l’Union européenne, mais elle pourrait potentiellement devenir la plus grande, si certaines conditions sont remplies.

Tout d’abord, il faut souligner que l’armée polonaise a déjà connu une croissance significative ces dernières années. Depuis 2014, le budget de la défense polonaise a augmenté de manière constante, atteignant environ 2 % du PIB en 2020. Cette augmentation de financement a permis à l’armée polonaise de moderniser ses équipements et de renforcer ses forces. En 2022, l’objectif est désormais fixé à 3 %.

En outre, la Pologne a également investi dans la formation et le développement de ses forces armées. Le pays a créé des programmes de formation avancés pour ses soldats et a mis en place des collaborations avec d’autres pays européens pour renforcer ses capacités de défense.

Il y a également eu une augmentation de la participation de la Pologne aux missions de l’Union européenne et de l’OTAN. Le pays a envoyé des troupes en Afghanistan, en Irak et en Bosnie-Herzégovine, et a également contribué à la mission de l’OTAN en Libye. Cette participation accrue aux missions de l’Union européenne et de l’OTAN montre que la Pologne est prête à prendre une plus grande responsabilité en matière de défense et de sécurité en Europe.

Il y a également des facteurs géopolitiques qui expliquent la croissance de l’armée polonaise. La Pologne est frontalière de l’Ukraine et de la Russie. En tant que membre de l’Union européenne et de l’OTAN, Varsovie joue un rôle important dans la défense de l’Europe orientale contre toute menace potentielle. Avec le conflit ukrainien, elle est appelée à renforcer encore davantage ses forces armées pour protéger ses intérêts et ceux de ses alliés.

Enfin, il faut également noter que la Pologne a un grand potentiel de recrutement, avec une population de plus de 38 millions de personnes. Si le service militaire obligatoire a été supprimé en 2010, le service militaire volontaire est désormais mis en place depuis 2022. On constate, toutefois, une volonté de faire des réquisitions de personnes dans certains domaines spécifiques.

En effet, Varsovie a passé une nouvelle loi de défense en 2022. Comme l’indique le gouvernement polonais, l’armée polonaise compte actuellement environ 111 500 soldats professionnels et 32 000 soldats des forces de défense territoriale. La nouvelle réglementation prévoit que l’armée polonaise sera finalement portée à environ 300 000 soldats – 250 000 soldats professionnels et 50 000 soldats des forces de défense territoriale. Si ces chiffres sont atteints, l’armée polonaise dépasserait en termes d’effectifs les 200000 de l’armée française qui est actuellement la plus grande armée de l’UE.

« La Pologne doit disposer de forces armées adaptées à la situation à laquelle nous sommes confrontés aujourd’hui — des forces qui seront capables de repousser une attaque et qui seront suffisamment fortes pour empêcher une attaque. Avec un pouvoir de dissuasion suffisant pour décourager une telle attaque », a souligné Jaroslaw Kaczyński, dirigeant du parti au pouvoir droit et Justice (PiS).

Avec une augmentation constante de son budget de défense, un engagement accru dans les missions de l’Union européenne et de l’OTAN, des facteurs géopolitiques favorables et un grand potentiel de recrutement, la Pologne est bien placé pour renforcer encore davantage ses forces. Et les récents achats le montrent.

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D’importants achats ces dernières années

La Pologne a réalisé plusieurs achats importants en matière d’armement ces dernières années dans le but de moderniser et de renforcer ses forces armées.

En 2016, la Pologne a acheté des chars Leopard 2A5 à l’entreprise allemande Krauss-Maffei Wegmann. Le pays a commandé 100 de ces chars de combat de dernière génération.

Le pays a également acheté des véhicules blindés de transport de troupes Rosomak à l’entreprise polonaise WZM. Ces véhicules blindés sont utilisés pour le transport de troupes et le soutien logistique sur les théâtres d’opérations.

En 2018, la Pologne a conclu un accord avec l’entreprise américaine Raytheon pour l’achat de Patriot, un système de défense aérienne de dernière génération. Cet achat a été l’un des plus importants de l’histoire de la Pologne en matière de défense et a été estimé à environ 4,75 milliards de dollars.

La Pologne a également acheté des avions de combat F-35 à l’entreprise américaine Lockheed Martin. Le pays a commandé 32 avions de combat de cette série, qui remplaceront les anciens avions de combat MiG-29 et Su-22. Le pays a également commandé des drones militaires, notamment des drones MQ-9 Reaper fabriqués par l’entreprise américaine General Atomics.

Depuis 2022, ses achats s’accélèrent avec des quantités importantes. À la Corée du Sud, la Pologne a acheté 288 systèmes lance-roquettes multiples K239 Chunmoo, 1000 chars K2 de Hyundai Rotem. Aux États-Unis, Varsovie a commandé 116 nouveaux chars Abrams. Abrams comme K2 sont considérés comme des chars de combat. En comparaison, la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni auraient actuellement environ 200 chars.

Quels obstacles à ce redéveloppement militaire ?

Si la direction prise par la Pologne est ambitieuse et peu la conduire à devenir la première armée de l’UE, plusieurs obstacles persistent.

Tout d’abord, le cout de cette armée. Les achats, la formation et l’entretien d’une telle armée coutent cher. Étant donné que la Pologne est comme le reste de l’Europe touchée par l’inflation et les problèmes économiques, l’argent utilisé pour financer l’appareil militaire va grever le budget et la dette. Une situation d’autant plus problématique, que la Pologne reste le principal bénéficiaire net du budget de l’UE. Compte tenu des relations tendues entre le gouvernement polonais et les institutions européennes, c’est un paramètre qui peut être source de blocage important.

Le second obstacle est l’acquisition d’un vrai savoir-faire. Acquérir du matériel n’est pas suffisant pour avoir une armée efficace, il faut avoir une vraie capacité tactique et un vrai entrainement au combat ainsi qu’un commandement efficace. L’acquisition de ce savoir est quelque chose qui demande du temps. Il est certes probable que la Pologne pourra et peut déjà compter sur l’aide et l’entrainement américain (qui semble montrer son efficacité en Ukraine), mais rien n’est acquis.

Finalement, le réarmement polonais est un phénomène à suivre sans pour autant le surestimer (ou le sous-estimer). Avec le conflit en Ukraine, le centre de gravité de la défense s’est décalé vers l’Est et les pays européens doivent adapter leurs stratégies européennes en conséquence.

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À propos de l’auteur
Alexandre Massaux

Alexandre Massaux

Docteur en relations internationales de l'Université de Toulon.
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