Quel avenir pour l’aide humanitaire ? Décriée pour son inefficacité ou bien son militantisme politique, l’aide humanitaire est sur la sellette. L’ouvrage de Jean-François Corty apporte un éclairage sur l’aide aujourd’hui
Jean-François Corty, Géopolitique de l’aide humanitaire, 2025
Qu’elles paraissent lointaines ces quelques paroles prononcées, le 10 janvier 1949, par le président Harry Truman à l’occasion du discours d’investiture de son second mandat : « Un nouveau programme qui soit audacieux et qui mette les avantages de notre avance scientifique et de notre progrès industriel au service de l’amélioration et de la croissance des régions sous – développées. Plus de la moitié des gens dans le monde vit dans des conditions voisines de la misère. Ils n’ont pas assez à manger. Ils sont victimes des maladies. Leur pauvreté constitue un handicap et une menace, tant pour eux que pour les régions les plus prospères ».
Une aide politique
Ces paroles prononcées alors que la guerre froide avait débuté un peu moins de deux ans auparavant et que le plan Marshall était en pleine action, le lointain successeur de Truman, en mettant fin aux activités de l’USAID, les renie totalement. Or peut -on dire que la situation s’est radicalement modifiée depuis lorsque l’on constate que de la moitié de la population mondiale vit selon la Banque mondiale avec moins de 6 ,85 dollars par jour ? Aussi au lendemain de la 4e Conférence internationale sur le financement du développement organisée du 30 juin au 3 juillet à Séville, cette question se pose de manière plus aiguë que jamais. Près de 70 chefs d’État et de gouvernement sont venus à Séville pour cette conférence dite « FfD4 », aux côtés de 4 000 représentants de la société civile et des principales institutions financières internationales. Le secrétaire général des Nations unies espérait que cette conférence permît de trouver des « solutions » face aux énormes besoins des pays en voie de développement, qui « pâtissent d’un déficit de financement annuel estimé à 4 000 milliards de dollars », soit 1 500 milliards de plus qu’il y a dix ans. Mais là où l’on doit substituer peu à peu les investissements et le commerce, comme leviers de croissance des pays du Sud, qu’en est-il de l’aide humanitaire, qui elle s’adresse aux plus pauvres et doit répondre à des besoins d’urgence. Par définition l’aide humanitaire est une aide à la survie. D’où l’intérêt de l’ ouvrage de Jean- François Corty [1] qui cerne les enjeux de cette action humanitaire .Celle-ci a commencé avec Henry Dunant sur les champs de bataille de Solférino, avec la constitution peu après du Comité international de la Croix rouge ( CICR), s’est poursuivi à l’occasion de l’atroce guerre du Biafra ( 1967 – 1970) par la création de Médecins sans frontières, puis s’est amplifié par l’introduction sur l’initiative de la France de la notion, aujourd’hui bien contestée, de la notion de Responsabilité de protéger ( RPP).
Cette aide humanitaire repose sur la série des quatre Conventions de Genève et ses trois Protocoles additionnels. Outre les différences d’agences de l’ONU, les États, elle est mise en œuvre sur le terrain par plus 40 000 ONG, employant 570 000 personnes, dont les moyens, motifs, actions varient considérablement. Le budget annuel alloué à l’aide humanitaire est modique : 29 milliards de dollars. Les trois quarts proviennent de fonds institutionnels, le reste de générosité privée. La seule Fondation Melinda et Bill Gates, ne disposent – elle pas d’un budget annuel de 8,6 milliards de dollars. Le champ de l’action humanitaire est immense. Son action est plus modeste et s’oriente d’abord vers les victimes des conflits armés, dont la nombre en 2024 – 2025 n’a jamais été aussi nombreux depuis 1946. Elle prend en charge en grande partie les 110 millions de réfugiés que comptait le monde en 2022 et dont le chiffre s’est accru par millions., ou voudrait soulager le sort des 160 millions de personnes souffrant d’insécurité alimentaire chronique.
La question des financements
Aujourd’hui, avec le retrait des États-Unis, lesquels assuraient 40% du financement total de l’aide humanitaire et le drame de Gaza, où en 2023 et 2024 plus de 280 humanitaires ont été tués par les bombardements israéliens en moins de dix mois, on doit se demande si celle – ci n’est en situation de commotion cérébrale ? Jean- François Corty esquisse des pistes de renouveau. L’une consiste à mieux la calibrer au terrain, en s’appuyant au maximum sur des acteurs locaux, plus légers et mieux adaptés. À cet égard on doit saluer la déclaration commune sur la sécurité nationale et la protection des réfugiés adoptée le 5 juillet par quatre pays d’Afrique de l’Ouest, le Togo, le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire et le Ghana. Il convient de rompre d’autre part, avec le paternalisme des pays du Nord, comme ce fut le cas de la France s’étant proposée à venir en aide aux victimes du tremblement de terre au Maroc en 2023, lorsque celui était tu en mesure de le faire avec ses moyens.
Tout ceci implique, comme le suggère Nathalie Delapalme, directrice générale de la Fondation Mo Ibrahim, d’opérer une distinction plus claire entre partenariats pour le développement et aide humanitaire. Voire de distinguer ensuite aide structurelle aux populations les plus défavorisées ou les plus vulnérables et aide conjoncturelle aux populations frappées par une crise ».[2]
[1] Jean-François Corty, Géopolitique de l’action humanitaire, Eyrolles, 2025, 183 pages
[2] Réinventer l’aide au développement, in Rapport Schuman sur l’Europe , l’état de l’Union 2025 .