Le Donbass, au cœur du conflit ukraino-russe. Entretien avec Nikola Mirkovic

27 mai 2022

Temps de lecture : 4 minutes
Photo : REGION DE DONETSK, UKRAINE - 23 MAI 2022. Vladimir Gerdo/TASS/Sipa USA/39499135/BF/2205231731
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Le Donbass, au cœur du conflit ukraino-russe. Entretien avec Nikola Mirkovic

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Directeur de l’ONG Est-Ouest, Nikola Mirkovic intervient depuis plusieurs années au Donbass pour apporter soutien et aides humanitaires. De retour d’une mission de soutien aux populations civiles, il livre ses impressions sur l’état de la région, la situation de l’affrontement entre l’Ukraine et la Russie et les chances d’établir une paix prochaine.

Entretien réalisé par Étienne de Floirac. 

 

À l’aune de l’intervention russe, quelle est la situation humaine, économique et politique dans le Donbass ?

Tout va dépendre de là où nous nous trouvons. La partie occidentale du Donbass est clairement au centre du conflit, mais la frontière bouge régulièrement, car nous sommes bien dans une guerre de mouvement. À l’arrière de la ligne de front, on a du mal à croire que le Donbass est en guerre, les magasins sont bien achalandés et les services administratifs fonctionnent normalement. Dans les villes et villages qui ont été éprouvés ces derniers mois par la guerre en revanche nous assistons à des scènes de grande désolation. Il y a beaucoup de destruction et la plupart des civils ont fui là où il y a eu des affrontements récemment. On voit une volonté de tourner la page rapidement à Marioupol où les autorités de la République Populaire de Donetsk redoublent d’efforts pour rapporter l’eau et l’électricité. Des écoles ont déjà réouvert leurs portes, mais il va falloir plusieurs années pour reconstruire la ville.

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Le 22 février, Vladimir Poutine décrétait que les accords de Minsk n’avaient plus d’existence véritable. Êtes-vous en accord avec cette déclaration ?

Tout à fait ! Les accords de Minsk sont morts. Selon Moscou, c’est parce que ces accords n’ont pas réussi à aboutir que la guerre a vu le jour. Depuis 2015, il n’y a en effet pas eu de progrès dans la mise en œuvre de ces accords et chaque camp accuse l’autre de ne pas tenir ses promesses. À ce sujet, c’est notamment la question de l’autonomie des deux républiques du Donbass qui a posé problème pour Kiev. À mon sens, l’Ukraine est perdante, car, si elle avait respecté les accords, les républiques de Lougansk et de Donetsk seraient retournées dans son giron alors qu’aujourd’hui, elles ont basculé dans celui de la Russie et il me semble très difficile de revenir en arrière.

En attaquant l’Ukraine, Moscou a donc voulu mettre la pression sur Kiev pour que les négociations aboutissent or l’Ukraine, sous pression américaine, n’a pas voulu discuter. Et c’est à partir de ce moment que nous sommes progressivement passés des frappes ciblées à une guerre ouverte entre les deux armées. Aujourd’hui, la Russie semble être dans une logique de conquête territoriale sur les régions russophones d’Ukraine.

Au fil de vos rencontres avec les habitants des deux oblasts de Lougansk et de Donetsk, pensez-vous qu’ils souhaitent voir rattacher le Donbass à la Fédération de Russie ?

Je le pense. Les habitants de cette région sont russophones et se disent, de plus en plus, russes. Cela est dû à la violence des nationalistes extrémistes ukrainiens qui ont promis d’interdire l’usage de la langue russe en Ukraine et qui ont obligé la population de ces deux républiques à choisir leur camp. C’est aujourd’hui la Russie qui remporte la mise, en témoigne le nombre des drapeaux russes qui flottent dans les rues. Il ne faut pas oublier que cette population de l’Est ukrainien a quasiment toujours vécu sous influence russe. Je rappelle ici que la connaissance de l’histoire est primordiale pour comprendre la différence, voire le fossé, qui existe entre un Ukrainien de Donetsk et un Ukrainien de Lviv.

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Quel serait l’intérêt pour Moscou d’entretenir ce conflit armé en Ukraine ?

Avec cette guerre, Vladimir Poutine montre qu’il veut mettre un terme au bras de fer qui existe entre l’Occident atlantiste (et bien souvent antirusse) et la Russie. Il veut en finir avec cet état de tension permanent qui mine, notamment, les relations existantes entre la Russie et l’Europe. Il suit ainsi la politique de Clausewitz dans la mesure où il perçoit la guerre comme un autre moyen de faire de la politique. La Russie a donc le sentiment que la confrontation armée est la dernière solution pour régler le conflit larvé que les pays atlantistes livrent à la Russie depuis la dislocation de l’URSS en 1991.

Vladimir Poutine est-il, selon vous, maître du jeu ?

Vladimir Poutine est l’un des maîtres du jeu. Mais il ne faut pas oublier Joe Biden et le Royaume-Uni qui sont des pièces essentielles de ce conflit. Ce sont véritablement ces trois acteurs qui décident de l’actualité en Ukraine. Il y a beaucoup de puissance en jeu et personne n’est pour l’instant au-dessus du lot.

Quelle place la France devrait-elle avoir dans ce conflit ? Celle d’observateur ou bien de partie prenante ?

La France doit adopter une position gaullienne qui est celle de la paix et du compromis. Paris doit prendre parti pour la troisième voie sans être affilié à l’un ou l’autre camp. Il ne s’agit pas d’être neutre, mais bien de chercher notre intérêt tout en proposant des dénouements au conflit. À ce sujet, la Turquie peut être un bon exemple dans la mesure où elle a tenté d’apporter des solutions au conflit ukrainien en accueillant, par exemple, des cycles de négociations sur son sol. Cela serait un gage de puissance et d’influence pour notre pays qui en a tant besoin !

Pensez-vous que Vladimir Poutine souhaite aller plus loin que le Donbass ?

Il est possible que Moscou cherche à aller plus loin. Elle pourrait, par exemple, orienter ses « conquêtes », par voies armées ou référendaires, vers des territoires russophones tels que l’Ossétie ou la Transnistrie. Il n’est pas exclu que Vladimir Poutine souhaite reconstituer le « rousskii mir », le « monde russe ». À bien des égards, la guerre qu’il mène en Ukraine semble entrer dans cette logique. Il peut aussi étendre ses conquêtes à court terme afin de se donner quelques territoires à échanger en cas de négociation. Pour autant je ne pense pas que ses visées dépassent l’Ukraine. Ces guerres ont un coût, ne l’oublions pas.

Pour conclure, pensez-vous que la situation actuelle en Ukraine soit comparable avec celle du Haut-Karabakh ou du Kosovo ? Et que nous disent ces conflits de l’état du monde aujourd’hui ?

En effet, des analogies sont à faire entre ces trois régions. Il est par ailleurs frappant d’observer le « deux poids deux mesures » de l’Occident qui s’émeut de la guerre en Ukraine, mais qui a, sinon provoqué, du moins laissé faire, les guerres au Kosovo et au Haut-Karabakh. Je rajouterai, en conclusion, que cette guerre en Ukraine signe la fin du droit international, déjà bien mal en point avec les récents conflits en Irak, en Lybie ou en Syrie. C’est ce que dénonce la Russie. La loi du plus fort est donc devenue la règle du jeu. Nous l’avons cherchée et nous nous étonnons que Moscou agisse de la sorte. Quel paradoxe !

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À propos de l’auteur
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Nikola Mirkovic est président de l’association Ouest-Est, qui vient en aide aux victimes de la guerre du Donbass.
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