<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Le nucléaire, une source d’énergie qui continue à faire rêver

14 mai 2022

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Le nucléaire, une source d’énergie qui continue à faire rêver

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Si le nucléaire ne représente qu’environ 7 % de la consommation mondiale d’énergie dans le monde, ce pourcentage était inférieur à 1 % en 1973. L’augmentation du prix du pétrole conjugué à la recherche d’une énergie abondante et aux améliorations techniques de la filière font de cette source énergétique un modèle d’avenir pour de nombreux pays.

Le nucléaire fournit environ 15 % de l’électricité produite dans le monde, ce qui représente environ le double du pétrole. Pourtant, le nucléaire fait l’objet d’un mouvement de rejet depuis les années 1970 : beaucoup de commandes de centrales ont été annulées, certains programmes ayant été interrompus brutalement comme aux États-Unis après l’incident de Three Miles Island (1979) ou au Japon après le séisme touchant Fukushima (2011), et de nombreux pays se sont engagés à sortir du nucléaire d’ici 2020-2030 (Allemagne, Belgique). Mais le nucléaire devrait pourtant jouer un rôle important dans la transition énergétique au xxie siècle.

Croissance au nord et au sud

Le fort développement du nucléaire civil jusqu’aux années 1980 s’explique par trois facteurs principaux :

La recherche d’indépendance énergétique dans le contexte des chocs pétroliers : l’électricité nucléaire représente ainsi une solution alternative au pétrole.

La recherche de compétitivité : l’intensité énergétique du nucléaire est bien supérieure aux autres énergies : un gramme de matière fissile libérant autant d’énergie que deux tonnes de pétrole.

La nécessité d’amortir de lourds investissements : la construction d’un réacteur nucléaire étant un investissement très lourd, en fabriquer plusieurs de même technologie permet d’amortir plus facilement les charges, notamment celles de conception.

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L’année 1985 établit un record historique : 42 réacteurs nucléaires sont mis en service cette seule année. Un an plus tard, l’accident de Tchernobyl et le contre-choc pétrolier surviennent avec pour conséquence un ralentissement de la construction de centrales, certains pays optant pour un moratoire (Belgique, Suède), d’autres y renonçant (Italie, Allemagne).

Le nucléaire civil poursuit néanmoins sa croissance. Le nucléaire représente à lui seul environ un tiers du mix énergétique bas carbone mondial. Il existe 430 réacteurs nucléaires en activité dans le monde et 68 en construction, selon la World Nuclear Association : une centaine aux États-Unis, entre 50 et 60 en France et au Japon, une trentaine en Russie devant la Corée, l’Inde, le Royaume-Uni. La Chine en compte déjà 14. Le nucléaire répond en effet à des besoins énergétiques croissants sur la planète : selon l’AIE, la demande en électricité augmentera de + 80 % à + 130 % d’ici 2050 et ne pourra être satisfaite sans l’apport du nucléaire civil.

Les réserves en uranium sont massives. Elles sont estimées à plus de 2 millions de tonnes, sont présentes un peu partout dans le monde et, contrairement au pétrole et au gaz, souvent dans des pays stables : en Australie (environ 30 %) ou au Canada (10 %), mais aussi au Kazakhstan (17 %), en Afrique du Sud (9 %), en Russie (9 %), au Niger (8 %), en Namibie (5 %) pour les zones les plus importantes. Un très petit nombre de mines, les plus actives, fournissent l’essentiel de la demande aujourd’hui : au Kazakhstan, puis au Canada, en Australie, au Niger, en Namibie, en Russie.

Les coûts d’extraction de l’uranium naturel ne représentent que 25 % du coût total d’élaboration du combustible nucléaire ; ce qui coûte cher, c’est l’enrichissement de l’uranium. Au rythme actuel de consommation dans des réacteurs de 1re et 2e générations, il y a une trentaine d’années d’exploitation ; mais grâce aux réacteurs de nouvelle génération, l’uranium pourrait être exploité pendant plus de trois cents ans. Avec le démantèlement des arsenaux nucléaires militaires depuis les années 1990, une quantité importante de plutonium est disponible, ce qui permet d’ores et déjà de fabriquer un nouveau combustible, le mox (mixed oxyde), composé d’un mélange d’uranium appauvri et de plutonium.

Atouts et contraintes

Les atouts du nucléaire sont indiscutables.

Il présente l’avantage de limiter les émissions de gaz à effet de serre (GES). Le nucléaire ne génère que 10 grammes de CO2 par kWh d’électricité produit contre 400 pour le gaz, 800 pour le pétrole, 1 000 pour le charbon. Le remplacement des hydrocarbures par le nucléaire permettrait d’éviter le rejet de 2,1 milliards de tonnes de dioxyde de carbone par an.

La filière sait gérer ses déchets (enfouissement) et les recycler (filière à neutrons rapides).

Mais de forts risques et contraintes sont également à prendre en compte. Le nucléaire fait face à de fortes contraintes de localisation. À l’échelle nationale : la proximité relative des centres de consommation pour rentabiliser les investissements, l’absence d’autres sources d’énergie pour éviter la concurrence inutile, la présence d’un espace à faible densité humaine pour réduire au maximum les impacts d’un éventuel accident. À l’échelle locale : la proximité d’une source de refroidissement suffisamment abondante, de débit rapide et assez froide ; un espace suffisamment grand sur des sols résistants et stables ; des vents permettant la dispersion des rejets et des gaz loin des zones habitées ; un site bien desservi par les voies de transport.

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Si la production en tant que telle est peu coûteuse, il faut tenir compte des investissements et des frais annexes, particulièrement lourds. En France, la Cour des comptes note dans un rapport de 2014 une forte hausse des coûts (20 % en trois ans) liée aux problèmes de sécurité croissante, au coût du combustible, aux taxes, sans parler du coût prévu pour le « grand carénage » qui permettrait de prolonger l’exploitation des centrales au-delà de quarante ans. Les investissements sont très coûteux, tout dépend donc de la durée d’exploitation des centrales : en permettant qu’elles soient utilisées plus longtemps, on rentabilise les investissements initiaux sur une période plus longue.

Des innovations sont toutefois en cours dans le secteur. Si les pays occidentaux semblent se détourner du nucléaire, ce n’est pas le cas en Asie où l’engouement est en train de croître, notamment pour les mini-centrales nucléaires. Tout laisse à penser qu’il sera bien l’énergie de demain.

Les ondes pour supprimer les déchets

Le prix Nobel de physique a été attribué en 2018 au Français Gérard Mourou pour ses recherches sur le laser. Il a été récompensé pour avoir mis au point une méthode de génération d’impulsions optiques ultracourtes de haute intensité. Celle-ci permet d’obtenir des puissances considérables jamais atteintes jusqu’à présent. Sa technique est utilisée en ophtalmologie pour l’opération de la cornée. « Pendant longtemps, la puissance des lasers était limitée, au risque de les détruire. Aux côtés de Donna Strickland, avec qui je partage le prix Nobel, nous avons inventé la technique du CPA (Chirped Pulse Amplification) : le laser émet une impulsion ultracourte que l’on va étirer d’un facteur colossal avant de l’amplifier. Grâce au CPA, on peut produire des puissances considérables, de l’ordre du pétawatt (1015), sans détruire le laser. Cela représente l’équivalent de cent fois le réseau électrique mondial[1]. » Or, d’après Gérard Mourou, ce laser surpuissant peut détruire les déchets radioactifs en assurant leur transmutation. En projetant le laser sur les atomes, il est possible de modifier les neutrons donc la propriété de l’atome lui-même. Ce qui fait que la radioactivité peut passer d’un million d’années à trente minutes. Le scientifique estime qu’il sera possible de faire un usage industriel de cette technique d’ici 2030. Si c’est le cas, il n’y aura donc plus de déchets radioactifs à stocker, ce qui lève la principale prévenance à l’égard de l’énergie nucléaire. « La transmutation de déchets radioactifs et le stockage Cigéo sont des solutions clairement complémentaires. C’est ce que j’aime beaucoup, il n’y a pas d’affrontement. » Ces découvertes scientifiques démontrent que la vision malthusienne et pessimiste de l’énergie n’est pas de mise, l’homme ayant toujours réussi à trouver de nouvelles ressources énergétiques, à innover et à inventer pour améliorer son quotidien.

Uranium ou thorium ?

Dans les années 1950, uranium et thorium étaient testés pour servir de combustible. Si le choix final s’est porté sur l’uranium, c’est du fait de ses possibilités d’alimenter l’industrie militaire. L’amiral américain Rickover décida ainsi que le sous-marin de type USS Nautilus serait alimenté avec de l’uranium 235, car ce combustible peut ensuite produire du plutonium militaire. L’industrie civile alimentait ainsi l’industrie militaire. Le cycle nucléaire au thorium fut donc abandonné au profit de l’uranium, aux États-Unis d’abord puis dans l’ensemble des pays nucléarisés, qui développaient en parallèle de leurs programmes civils des programmes militaires.

Le thorium pourrait revenir aujourd’hui pour des pays désireux de se doter de l’énergie nucléaire sans volonté militaire, ce qui permettrait le développement de la filière sans craindre la prolifération des armes atomiques. Le thorium a l’avantage d’être beaucoup plus abondant que l’uranium et d’engendrer nettement moins de déchets à vie longue.

Contre la mode du nucléaire, la Belgique joue une comédie périmée…

 

Au moment où Emmanuel Macron annonce contre toute attente que la France parie à nouveau sur le nucléaire, la Belgique est à nouveau politiquement enlisée dans une guerre de tranchées autour de la question énergétique. En 2003, le royaume décidait de sortir du nucléaire notamment en interdisant la construction de nouvelles centrales. La fermeture des centrales existantes était programmée après quarante ans d’exploitation, puis après cinquante ans à la suite d’une révision de la loi en 2013. Finalement, la Belgique est censée abandonner définitivement l’énergie nucléaire à l’horizon 2025, tandis que plus de 50 %[2] de ses ressources en électricité en proviennent début 2021. Sans assurance de prolongation de ses activités, Engie a annoncé en février 2021 la fermeture de ses sept réacteurs belges en 2025 et le passage en provisions de 1,9 milliard d’euros dans ses comptes[3]

L’actuelle ministre belge de l’Énergie, Tinne Van der Straeten, confiait à la Libre Belgique en décembre 2020 : « Le nucléaire est une énergie du passé » ainsi que « la sortie du nucléaire n’est pas un but mais un moyen pour réussir la transition énergétique. » Or le nucléaire est clairement une énergie du futur au regard des innovations majeures qui irriguent le secteur ces dernières années[4].

Pourtant, rien ne justifie une sortie aussi radicale. Combler la béance énergétique créée par le retrait du nucléaire est tout sauf une tâche aisée. Devant l’insuffisance actuelle des capacités éoliennes et photovoltaïques, le gouvernement prévoit le soutien de centrales à gaz fossiles qu’il faut construire et des importations d’électricité qu’il faut régler (nucléaire français et fossile allemand…). Ces éventuelles centrales à gaz ont la particularité d’être à la fois hautement polluantes et loin d’être rentables puisqu’elles ne sont destinées qu’à combler l’intermittence du renouvelable. C’est pour cette raison que les autorités belges comptent les subventionner, c’est-à-dire les financer avec l’argent du contribuable[5], si tant est que la direction de la concurrence de la Commission européenne donne son aval, ce qui n’est pas acquis. Quant à la facture d’électricité des ménages, elle va considérablement gonfler dans un scénario sans prolongement du nucléaire[6], tandis que la filière nucléaire belge reconnue mondialement pour son expertise va tout simplement disparaître. Sans parler des coûts de stockage et de ceux de l’extension des réseaux de transmission dus à la dispersion du réseau renouvelable. D’un point de vue technique, les unités nucléaires belges répondent encore à toutes les exigences nationales et internationales requises par l’Agence fédérale de contrôle nucléaire[7]. Il en résulte deux conséquences majeures. D’une part, la Belgique va devenir dépendante des capacités énergétiques de marchés fragiles que sont le nucléaire français et le charbon allemand. Pétri d’optimisme, le plan belge parie sur une croissance significative de ses importations dans un contexte où les marges de production électrique tendent à la baisse[8]. Ce que risque la Belgique, comme l’avertissait dès 2016 l’Agence internationale de l’énergie dans son rapport annuel, c’est une potentielle pénurie en approvisionnement énergétique. D’autre part, et paradoxalement, la sollicitation du gaz en Belgique et du charbon eu Europe devrait produire une hausse imposante d’émissions dans les années suivant la fermeture des centrales nucléaires. Selon l’expert Johan Albrecht, les émissions annuelles pourraient même doubler en Belgique[9]. Ce à quoi la ministre Van der Straeten rétorque : « C’est comme la rénovation d’une maison. La situation s’aggrave avant de s’améliorer. D’abord vous êtes dans la poussière et ensuite vous êtes heureux d’avoir fait cet effort[10]. » Pourtant, il n’y a pas de plan convaincant de reconstruction. Il s’agit de détruire, de sacrifier l’industrie nucléaire sur l’autel d’un programme suranné. Pour ces mouvements politiques belges, pas de révolution du renouvelable sans exécution du nucléaire. C’est un prérequis idéologique. Comme le disait Sergueï Netchaïev[11] : « Le révolutionnaire […] a renoncé à la science pacifique qu’il abandonne aux générations futures. Il ne connaît qu’une science – celle de la destruction. » Les vieilles centrales de Tihange et de Doel doivent payer. Et la nature paiera aussi.

À lire également

L’essor irrésistible de l’énergie nucléaire

[1] Entretien de Gérard Mourou pour l’Andra, 4 octobre 2019.

[2] ELIA & GIEC.

[3] Vincent Collen, « Engie tire un trait sur le nucléaire belge », Les Échos, 24 février 2021.

[4] Jean-Pierre Schaeken Willemaers, « Les dérives de la politique électrique belge », Institut Thomas More, 17 décembre 2020.

[5] Max Hellef, « Le dossier nucléaire belge s’annonce atomique », Luxemburger Wort, 30 novembre 2021.

[6] Johan Albrecht, Le Trilemme énergétique, éditions Itinera Institute/Skribis, 2017.

[7] Jean-Pierre Schaeken Willemaers, « L’impasse d’un système électrique sans nucléaire », Institut Thomas More, 25 janvier 2018.

[8] Maxence Cordiez, « Énergie : “la politique belge est en complet déphasage avec l’urgence climatique” », Le Figaro, 26 février 2021.

[9] « Est-il réaliste d’arrêter le nucléaire en 2025 ? », Forum nucléaire belge, https://www.forumnucleaire.be/theme/la-transition-energetique-belge/est-il-realiste-darreter-le-nucleaire-en-2025.

[10] « La ministre de l’Énergie salue la décision d’Engie: “Heureuse de voir Engie s’engager dans la transition énergétique” », La Libre, 17 novembre 2020.

[11] Sergueï Netchaïev est un des théoriciens nihilistes de l’action révolutionnaire russe au xixe siècle.

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À propos de l’auteur
Etienne de Floirac

Etienne de Floirac

Étienne de Floirac est journaliste
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