Le soja américain, victime collatérale des tensions sino-américaines

2 octobre 2025

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Photo : (Credit Image: © Karen Focht/ZUMA Press Wire)/SIPA60043713_000020/ZEUS/2508082058

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Le soja américain, victime collatérale des tensions sino-américaines

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Depuis les années 1990, la classe moyenne chinoise a continuellement augmenté sa consommation de porcs et de volailles, tous deux en partie nourris avec du soja. C’est à partir de cette période que de nombreux agriculteurs américains, principalement dans le Midwest, ont délaissé la culture des céréales ou du tabac pour privilégier celle du soja. La guerre commerciale entre Pékin et les États-Unis menace la pérennité de cette activité.

Juste avant son inauguration en janvier dernier, Donald Trump déclarait considérer le terme de « tariffs » (droits de douane) comme le « plus beau mot du dictionnaire »¹. Alors que certains observateurs craignent un impact négatif des droits de douane sur certains secteurs, voire une récession, le président américain se montre confiant dans sa capacité à rendre les États-Unis « plus riches que jamais »².

Toutefois, le bras de fer entre Washington et Pékin sur fond de droits de douane visant à sanctionner la passivité des autorités chinoises dans le cadre de la lutte contre le trafic de fentanyl, une drogue qui fait des ravages dans les rues américaines, menace l’industrie américaine du soja. Cette dernière se trouve dans une situation économique hautement préoccupante qui pousse l’administration Trump à devoir rapidement trouver une solution.

Un secteur agricole crucial en péril

Depuis les années 1990, la classe moyenne chinoise a continuellement augmenté sa consommation de porcs et de volailles, tous deux en partie nourris avec du soja. C’est à partir de cette période que de nombreux agriculteurs américains, principalement dans le Midwest, ont délaissé la culture des céréales ou du tabac pour privilégier celle du soja. Selon les chiffres du ministère de l’Agriculture, la superficie des terres consacrées à la culture du soja a ainsi augmenté de 40 % entre 1995 et 2024. Le soja représente la principale exportation agricole américaine et a contribué à hauteur de 31,2 milliards de dollars à l’économie du pays pour l’exercice 2023/2024³. La majorité du soja exporté en 2024 l’a été à destination du marché chinois (52 %) et de l’Union européenne (20 %) ; le reste des exportations concernant le Japon, la Corée du Sud et le Mexique⁴.

En représailles aux droits de douane à hauteur de 20 % fixés par la Maison-Blanche à l’encontre de Pékin dans le cadre de la lutte contre le trafic de fentanyl, la Chine a tout simplement décidé de se passer du soja américain. Cela constitue un manque à gagner abyssal pour les agriculteurs américains dans la mesure où les commandes passées par les entreprises chinoises représentaient 12,6 milliards de dollars en 2024⁵. Le grand bénéficiaire de ce revirement est le Brésil, qui fournissait déjà 70 % des importations chinoises de soja en 2024. La production brésilienne de soja représente aujourd’hui 60 % des exportations mondiales, contre 40 % une décennie plus tôt⁶. Signe que Pékin entend pérenniser cette nouvelle source d’importation, la société publique chinoise Cofco développe actuellement un terminal portuaire de grande ampleur sur la côte atlantique brésilienne après avoir annoncé l’acquisition de 1 000 wagons afin de transporter les récoltes depuis les terres brésiliennes jusqu’au port⁷.

L’absence de commandes chinoises fait cruellement défaut à quelques semaines du début de la saison des récoltes. Le surplus fera mécaniquement chuter le prix du soja américain pendant que le coût de la récolte augmente en raison notamment de la hausse du prix des fertilisants. Alors que les agriculteurs constituent un groupe électoral traditionnellement acquis aux républicains et ayant soutenu Donald Trump lors de ses trois campagnes électorales, l’American Soybean Association en appelle officiellement à la Maison-Blanche : « Nous prions instamment l’administration de parvenir à un accord » ouvrant de nouveau le marché chinois au soja américain⁸.

Un champs de soja dans le Mississippi. (C) SIPA

Quelles options pour l’administration Trump?

Conscient de l’importance des cultivateurs de soja dans son électorat, Donald Trump dispose de plusieurs options afin d’éviter que ces derniers ne soient les victimes collatérales du bras de fer commercial que se livrent Washington et Pékin. Une situation qui semble par ailleurs appelée à durer dans la mesure où il est peu probable de voir Donald Trump renoncer aux droits de douane punitifs de 20 % liés au trafic de fentanyl, ces derniers étant soutenus par une autre partie de ses électeurs. La Chine, qui bénéficie de l’alternative brésilienne, n’a de son côté que peu d’intérêt à ouvrir de nouveau son marché aux exportations américaines sans contrepartie substantielle.

La solution pourrait tout d’abord prendre la forme d’un soutien du gouvernement américain à l’industrie du soja. Lors de son premier mandat, le républicain avait déjà dû faire face à un scénario similaire après avoir imposé des droits de douane à la Chine en 2019. Afin de combler le manque à gagner de ses agriculteurs, l’administration avait adopté un plan de renflouement à hauteur de 23 milliards de dollars. Une voie que semble de nouveau privilégier le locataire de la Maison-Blanche comme en témoigne cette déclaration selon laquelle « nous allons prendre un peu des économies réalisées grâce aux droits de douane, nous allons les donner aux agriculteurs qui vont, pendant un petit moment, souffrir jusqu’à ce que les droits de douane leur bénéficient in fine »⁹. Un pari qui n’est pas sans risque car, comme le rappelle un dirigeant de l’Illinois Soybean Association : « La dernière fois que les États-Unis ont fait ça, nous avons perdu 20 % de part de marché au profit du Brésil, nous ne les avons jamais récupérés ».

Une situation qui n’est pas sans influence sur les tractations actuelles entre les États-Unis et l’Inde. Selon certains observateurs, les droits de douane punitifs de 25 % infligés à New Dehli, officiellement en guise de sanction pour l’achat de pétrole russe, pourraient aussi être une manière de contraindre Narendra Modi à ouvrir davantage le marché indien aux produits agricoles américains, notamment au soja. Cela constitue cependant un point de blocage pour le Premier ministre indien. Outre le fait que l’agriculture emploie 55 % des actifs du pays, New Dehli se montre réticent quant à l’importation de graines de soja génétiquement modifiées. Selon la Food and Drug Administration, en 2020, 94 % des graines de soja plantées aux États-Unis étaient génétiquement modifiées¹⁰. Pour Modi, cette demande de Donald Trump n’est en l’état pas envisageable dans la mesure où l’utilisation de graines génétiquement modifiées est strictement encadrée en Inde¹¹.

¹ NPR – Tariffs, history and meaning
² BBC – Tariffs and the US economy
³ USSEC – Soybean meal exports set new record in 2023-24
The FP – I’m a soybean farmer who voted for…
New York Times – China soybean sales
USDA – Oil crops sector at a glance
Wall Street Journal – American farmers as bargaining chips
ASA – Soybean growers urge Trump to prioritize China trade
Financial Times – US farm bailout revisited
¹⁰ FDA – GMO crops and food
¹¹ NDTV Profit – India-US trade standoff

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À propos de l’auteur
Edouard Chaplault-Maestracci

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