Livre – Géopolitique de l’agriculture – 40 fiches illustrées pour comprendre le monde

7 décembre 2020

Temps de lecture : 3 minutes

Photo : (c) Pixabay

Abonnement Conflits

Livre – Géopolitique de l’agriculture – 40 fiches illustrées pour comprendre le monde

par

L’agriculture comme l’un des fondements sur lequel repose l’alimentation de l’humanité est naturellement la source de tensions et de conflits d’intérêts. Elle est aussi la pierre angulaire de certains grands enjeux de l’avenir, notamment dans les régions du monde les moins développées. C’est vaste sujet que les auteurs de cet ouvrage nous proposent de regarder de plus près.

S’il est un exemple qui illustre, parfaitement, les liens entre climat, agriculture, géopolitique et conflits, c’est bien celui de la Syrie. La migration provoquée par la sécheresse en Syrie entre 2006 et 2010 où près de 60% de la population a connu une grave sécheresse est un bon exemple des incidences climatiques qui peuvent être massives autant que systémiques. Au moment des premières mobilisations politiques en mars 2011, près d’un million de Syriens avaient été exposés à l’insécurité alimentaire, tandis qu’environ 200 000 personnes avaient quitté leurs exploitations agricoles vers les zones urbaines. La région de la Djezireh au nord est avait particulièrement subi cette crise climatique. Les effets de cette sécheresse avaient été décuplés par la mal-gouvernance et des choix de politiques publiques (multiplication des forages, marginalisation de la région de Djezireh dans les politiques d’aménagement du territoire, morcellement foncier, libéralisation économique, etc). Si la révolution avortée a été portée par un ras-le-bol de la corruption, de l’autoritarisme et des inégalités criantes, nul doute que cette sécheresse a aussi joué un rôle. En   réduisant à l’extrême la géopolitique agricole celle-ci pourrait se résumer à l’équation population et niveau de vie, espaces et ressources en eau, rendements et échanges internationaux.

Dans cette optique c’est le cas de l’Afrique qui nous interpelle le plus : alors qu’elle réunissait à peine 13% de la population mondiale en 2000, elle devrait représenter 25% en 2050 et plus de 40% d’ici la fin du siècle. D’où l’importance du secteur agricole qui assure 10% de l’emploi féminin en Afrique contre le tiers en Asie et 20% en Amérique latine. Or les terres arables ne représentent que 10% des terres émergées dans le monde ce qui nécessitera une hausse significative des rendements à l’échelle mondiale. Car les surfaces agricoles sont rognées par l’urbanisation, l’usure des sols, les effets du changement climatique. C’est dire qu’il conviendra d‘augmenter, partout les surfaces irriguées. Celles-ci couvrent aujourd’hui 350 millions d’hectares ; soit 20% des surfaces cultivées, mais 40% de la production. Et il faudrait les augmenter de 500 millions d’hectares, c’est dire l’immense effort à accomplir car elles n’avaient progressé que de 220 millions d’hectares au cours des 70 dernières années !

A lire aussi : L’agriculture française : une mort par les normes

Les ressources en eau seront-elle suffisantes dans les délais requis, sachant que la production d’un kilogramme de viande requiert 1000 litres d’eau et un kilogramme de viande 13 500. Or on s’attend à une augmentation de 50% de la demande alimentaire mondiale d’ici 2050, seuls des échanges internationaux y pourvoiront. On trouvera des données claires et bien présentées dans ce volume qui couvre une gamme étendue de questions. D’un côté un milliard de personnes souffrent de la faim dans le monde, mais de l’autre 2,8 millions meurent chaque année du fait de leur surpoids.

Tout un chapitre est consacré aux violences ou au rôle qu’ont joué les ressources alimentaires, au premier chef des céréales dans le déclenchement des conflits qui sont loin de se  réduire au seul cas  de la Syrie que nous avons mentionnée. Confrontations entre pasteurs et agriculteurs, qui constituent le principal combustible des conflits au Sahel, ségrégation agricole en Afrique australe, qui n’a pas été éliminée, luttes foncières en Asie, fractures rurales en Amérique latine où dans un pays comme la Colombie, 0,25% des latifundia occupent 95% des terres. L’ouvrage passe en revue les grandes puissances agricoles du monde, le poids des échanges, les évolutions probables. On sera déçus de voir que la France, avec sa grande surface et la variété de ses climats se situe bien en-dessous des Pays-Bas, dont les exportations sont supérieures de 150% aux siennes. Même l’industrielle Allemagne exporte plus de 20 milliards de $ de plus de produits agricoles que l’Hexagone. On assiste de plus en plus à une sino-mondialisation agricole, puisque la balance agricole de l’Empire du milieu accuse un déficit annuel de 40 à 50 milliards de $ par an. Le soja compte pour le tiers des importations agricoles du pays, avec 100 millions de tonnes par an, soit 10 fois le volume du début du siècle. Quant à la Russie, lorsque l’on sait que l’agriculture a représenté le grand échec de l’URSS, elle a produit depuis 2000, 1,7 milliard de tonnes de céréales. Ses exportations de blé ont triplé et représentent 20% des exportations mondiales. Les défis du monde agricole, même s’ils sont différents selon les latitudes, présentent néanmoins des traits communs. Vieillissement des populations agricoles ; multilatéralisme qui s’essouffle, effets croissants du changement climatique, etc., c’est dire qu’il faut  s’attendre à des tensions à venir.

Mots-clefs : ,

Vous venez de lire un article en accès libre

La Revue Conflits ne vit que par ses lecteurs. Pour nous soutenir, achetez la Revue Conflits en kiosque ou abonnez-vous !
À propos de l’auteur
Eugène Berg

Eugène Berg

Eugène Berg est diplomate et essayiste. Il a été ambassadeur de France aux îles Fidji et dans le Pacifique et il a occupé de nombreuses représentations diplomatiques.

Voir aussi

Livres 14 novembre

Empire mongol, empire russe et Hanna Arendt. Aperçu des livres de la semaine. Jean-Paul Roux, Histoire de l’empire mongol, Tallandier (coll. « Texto »), 2025, 14,90 euros Le livre de Jean-Paul Roux est devenu, depuis sa première parution en 1993, l’une des synthèses les plus...

Turenne : le général magnifique. Entretien avec Arnaud Blin

Historien et stratégiste, Arnaud Blin a consacré plusieurs ouvrages au terrorisme, aux grands capitaines et à l’étude de la puissance. Plusieurs de ses livres ont été coécrits avec Gérard Chaliand. Il vient de publier une biographie de Turenne : Turenne. Génie militaire et mentor de Louis XIV, Tallandier, 2025.

Propos recueillis par Michel Chevillé

Henri de La Tour d'Auvergne, dit Turenne, est né le 11 septembre 1611 au château de Sedan (Ardennes). Il meurt le 27 juillet 1675 près de Sasbach (principauté épiscopale de Strasbourg, Saint-Empire romain germanique).

Maréchal de France en 1643 et maréchal général des camps et armées du roi en 1660, il est l’un des meilleurs généraux de Louis XIII puis de Louis XIV. Gloire militaire du Grand Siècle avec son rival Condé, il reste un maître incontesté de l’art de la guerre. Lorsqu’il apprend la mort de Turenne à la bataille de Salzbach, Montecuccoli s’exclame : « Aujourd’hui est mort un homme qui faisait honneur à l’Homme. » Napoléon lui-même admirait son génie militaire et affirma qu’il était « le plus grand commandant de l’ère moderne ».

Lu à l’étranger. Bakou, nid d’espions

Les Anglais aiment les romans d’espionnage. Autant pour se souvenir de leur souvenir que pour mythifier leur roman national. Recension de Mavericks, Empire, Oil, Revolution and the Forgotten Battle of World War One Outre-Manche, les ouvrages d’histoire sur l’espionnage et le Grand Jeu...