Livre – La France libérée 1944-1947

18 octobre 2021

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Livre – La France libérée 1944-1947

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Le 21 août 1944, quatre jours avant la libération de Paris, Albert Camus publie dans Combat, sorti de la clandestinité, un éditorial dont le titre résonne comme un programme-manifeste « De la Résistance à la Révolution ».

 

«Nous voulons obtenir immédiatement la mise en œuvre d’une Constitution où la liberté et la justice recouvrent toutes les garanties, les réformes de structure profondes sans lesquelles une politique de liberté est une duperie, la destruction impitoyable des trusts et des puissances d’argent, la définition d’une politique étrangère basée sur l’honneur et la fidélité à tous nos alliés sans exception. Dans l’état actuel des choses, cela s’appelle une révolution. » Les trois années qui ont suivi la libération du territoire français ont été chargées d’espérance. A- t-elle été déçue ?

Une nouvelle République devait naître sous les traits qui avaient été fixés par le programme du CNR, le Comité national de la Résistance rassemblé en 1943 par Jean Moulin au nom du général de Gaulle. Le 15 mars 1944, les représentants des organisations de résistance, des centrales syndicales et des partis politiques ou tendances politiques groupés au sein du CNR ont projeté, outre un plan d’action immédiat contre l’occupant, les « mesures destinées à instaurer, dès la libération du territoire, un ordre social plus juste » – cette révolution voulue précisément par Camus, au nom de la Résistance. Ce programme vise à rétablir l’État de droit républicain, les libertés fondamentales et le suffrage universel. Il contient aussi le projet ambitieux d’instaurer une véritable démocratie économique et sociale, par l’organisation rationnelle de l’économie,  la nationalisation des grands moyens de production, le soutien aux coopératives de production et de vente, la sécurité de l’emploi, la garantie d’un pouvoir d’achat national, la reconstitution d’un syndicalisme indépendant doté de larges pouvoirs dans l’organisation de la vie économique et sociale, un plan complet de sécurité sociale, une politique agricole favorable aux travailleurs de la terre, une retraite pour les vieux travailleurs digne de ce nom, l’instruction pour tous et l’accès pour tous aux fonctions les plus hautes, afin de promouvoir une « élite véritable, non de naissance, mais de mérite ». Le programme préconise aussi l’extension des droits politiques aux colonies. Une partie de ce programme a effectivement été réalisée dans les trois années de reconstruction, qui connurent dans une certaine mesure les premiers pas d’une république sociale : création de la Sécurité sociale dès 1945, création du salaire minimum vital, le SMIC, rétablissement de la gratuité dans l’enseignement secondaire, lois sur les comités d’entreprise, loi sur les conventions collectives, loi sur les délégués du personnel, rétablissement des 40 heures, loi sur les prestations familiales, loi sur l’assurance vieillesse, loi sur le statut de la fonction publique et création de l’ENA en octobre 1945… En économie, nationalisation de la Banque de France, des grandes banques de crédit et des grandes compagnies d’assurances, du gaz et de l’électricité, en 1946 création des Charbonnages de France, lancement de la planification avec le plan Monnet, placé à la tête du Commissariat général au Plan… La France n’avait jamais connu, même au temps du Front populaire, un pareil feu d’artifice législatif en la matière. Ce trio d’années connaît aussi une efflorescence culturelle, après l’étouffement de l’Occupation et du régime de Vichy – qui a fait régner la censure et l’ordre moral.

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Les écrivains de la Résistance, les chevronnés et les nouvelles pousses, publient alors des œuvres majeures : Aragon, Paul Eluard, Julien Gracq, Raymond Queneau, Henri Michaux, Roger Vailland, Georges Bataille, Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir, Albert Camus, Georges Bernanos, Paul Claudel, Jean Cocteau, François Mauriac, André Malraux, André Breton, Romain Gary, Joseph Kessel, Claude Simon, Fran‑ cis Ponge, René Char, Jacques Prévert, Paul Valéry, Julien Green, Michel Leiris, Antonin Artaud, Boris Vian, Philippe Jaccottet, et André Gide qui obtient le prix Nobel de littérature en 1947.

Ce sont aussi les belles heures d’un théâtre libéré où, à côté des auteurs étrangers, sont présentées les pièces des Anouilh, Beauvoir, Sartre, Camus, Audiberti, Clavel, Salacrou, Genet, Pichette, alors que Jean Vilar pose à Avignon les premiers jalons du futur Théâtre national populaire. Même le cinéma, lourdement handicapé par les difficultés financières, offre, en parallèle à la production américaine revenue en masse, une belle panoplie de réalisateurs français qui emplissent les salles : Marcel Carné, Jacques Becker, Yves Allégret, Robert Bresson, Jean Dréville, Christian-Jaque, Jean Delannoy, René Clément, André Cayatte, Julien Duvivier, Marcel L’Herbier, Jean Cocteau, Jean Renoir, René Clair, Claude Autant-Lara, Henri-Georges Clouzot, Maurice Cloche… Pour la musique, les Concerts Colonne, les Concerts Pasdeloup, les Concerts de la Pléiade sont très suivis, tandis qu’Henri Dutilleux, Darius Milhaud, Arthur Honegger, Marcel Landowski, Francis Poulenc, Olivier Messiaen conquièrent un large public, devenu peu à peu plus populaire.

À cet égard, la France des trois années d’après-guerre que décrit à merveille Michel Winock connaît un grand souffle de création. Lois sociales et floraison culturelle sont sans contredit les deux secteurs marquants d’une parenthèse qui, pour le reste, ne répond pas exactement aux espoirs nés de la Résistance. Certes, il n’y avait pas à attendre de la paix un effet magique, le retour à la prospérité, la reconstruction rapide d’un pays mutilé en proie à toutes les pénuries, l’accouchement sans douleur d’une République moderne soutenue par le suffrage populaire … Ce n’est qu’en 1953 que le niveau de production a rattrapé celui de 1938. L’échec des années de la Libération est avant tout politique, dans la difficulté non surmontée de fonder un nouveau régime qui, tout en se référant aux principes républicains hérités du passé, satisfasse la nécessité d’équilibre entre les pouvoirs. Il tient aussi aux déchirements partisans que les débuts de la guerre froide au printemps 1947, lorsque les ministres communistes seront exclus en mai du gouvernement, ne feront qu’aviver. Le grand espoir caressé par beaucoup d’un grand parti de la Résistance à même d’appliquer dans la durée le programme du CNR, s’est cassé sur la reprise des querelles partisanes.

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Le général de Gaulle, chef de la France libre et chef du gouvernement provisoire dans la France libérée, dont le dessein constitutionnel est de doter la démocratie républicaine d’un pouvoir exécutif fort et indépendant du pouvoir législatif, se heurte à la majorité formée par les partis de gauche, PCF, SFIO et radicaux à l’Assemblée constituante et doit démissionner en janvier 1946. Ainsi le régime d’assemblée, malgré la fragilité et l’instabilité démontrées sous la IIIeRépublique, est repoussé dans un premier temps par le peuple souverain. Dans sa seconde mouture, il n’est approuvé que par 36 % des électeurs inscrits. La IVe République était d’autant plus mal partie que le Parti communiste français, devenu le premier parti politique en France, par ses adhérents, par ses électeurs, par le nombre de ses députés, s’est marginalisé avec le surgissement de la guerre froide. La coopération des partis issus de la Résistance est finie. Trouver une majorité gouvernementale va devenir un casse-tête jamais résolu – alors que la France doit achever sa reconstruction. L’échec politique est aggravé par les lourds problèmes d’une décolonisation impossible : l’Algérie, avec les émeutes de Sétif le 8 mai 1946, l’Indochine, où la guerre éclate en septembre, Madagascar, où des mouvements populaires sont durement réprimés en mars 1947. Autant de drames, d’insurrections, de répressions qui briseront finalement le régime.

Dès ses débuts, la IVe République s’enlise dans ses conflits coloniaux, au détriment de ses idéaux d’émancipation. Ces trois années et demie, qui vont de la libération de Paris à la fin des grèves dites « insurrectionnelles » de 1947, sont d’une richesse historique inégale. Ce ne sont pas, ce ne sont plus des « années noires », mais pas davantage des années roses. Le regard de l’historien ne peut rendre compte de millions d’existences individuelles ; il doit généraliser, schématiser, simplifier, sachant que tous ceux qui ont vécu cette époque ne partagent pas la même mémoire. En raison de cette difficulté, l’auteur a cherché à faire entendre dans ce récit des voix singulières, des réactions subjectives puisées dans des journaux et des œuvres littéraires de l’époque. Bref, partir de la diversité pour dessiner une chronique globale, aussi vivante que possible, afin de rester fidèle à l’esprit de cette époque injustement méconnue. Nous sommes tous les enfants, les petits ou arrière-petits-enfants de cette période à laquelle les politiques se réfèrent de temps en temps en se référant au programme du CNR -le Conseil national de la résistance.

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À propos de l’auteur
Eugène Berg

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Eugène Berg est diplomate et essayiste. Il a été ambassadeur de France aux îles Fidji et dans le Pacifique et il a occupé de nombreuses représentations diplomatiques.
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