<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Lu à l’étranger. Immigration et confiance politique 

16 mars 2023

Temps de lecture : 5 minutes
Photo : Des réfugiés fuyant l'Ukraine sont vus après avoir traversé la frontière ukraino-polonaise en raison de l'attaque militaire russe sur l'Ukraine. Medyka, Pologne, le 25 février 2022. Beata Zawrzel/Sipa USA/SIPA
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Lu à l’étranger. Immigration et confiance politique 

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Sans confiance, la vie politique est fracturée et les nations divisées. La crise de la démocratie traversée par la France et plusieurs pays en Europe témoigne d’un affaiblissement inquiétant du politique. Un article du sociologue allemand Ruud Koopmans permet d’éclairer sous un jour nouveau les fondements de la confiance politique.

Une recension de l’article « Statistical and Perceived Diversity and Their Impacts on Neighborhood Social Cohesion in Germany, France and the Netherlands »,

Recension de l’OID (Observatoire de l’immigration et de la démographie). 

Professeur de sociologie à l’université Humboldt de Berlin, Ruud Koopmans est un chercheur de renommée internationale1 pourtant peu relayé en France2, alors même que son champ d’études englobe généralement plusieurs pays européens et en particulier l’Allemagne, la France et les Pays-Bas. Ses travaux les plus notables concernent trois domaines en lien avec l’immigration à l’échelle européenne : l’analyse comparative des différentes politiques d’intégration ; les comportements politiques des immigrés et des minorités ethniques et l’incidence de la diversité ethnique sur la confiance sociale. C’est à ce dernier champ d’étude que s’intéresse le présent article. Il se fonde, pour l’essentiel, sur une étude publiée par R. Koopmans et M. Schaeffer en 2016 dans la revue Social Indicators Research3.

Une méthodologie robuste et minutieuse

Pour conduire leur analyse, les auteurs utilisent les résultats de l’« Ethnic Diversity and Collective Action Survey » (EDCAS), une enquête menée entre 2009 et 2010 à partir de 10 200 appels téléphoniques standardisés. M. Schaeffer et R. Koopmans se concentrent sur une sélection de 4 600 répondants correspondant aux 938 quartiers d’Allemagne, de France et des Pays-Bas retenus pour l’étude. Pour la France, ces quartiers sont issus des villes de Lille, Strasbourg, Lyon, Marseille et Rennes, ainsi que de Paris et ses départements limitrophes (Hauts-de-Seine, Seine-Saint-Denis et Val-de-Marne).

L’étude développe en outre une double approche des effets de la diversité ethnique sur la cohésion sociale. Elle évalue dans un premier temps les effets de la diversité ethnique « statistique », objectivée par le pourcentage de personnes d’origine immigrée (personnes immigrées ou ayant au moins un parent immigré) dans chaque quartier considéré4. Dans un second temps, elle s’intéresse aux effets de la diversité ethnique « perçue » par les habitants, mesurée à l’aide de quatre indicateurs du questionnaire : l’existence de conflits intergroupes, l’existence de groupes caractérisés par des valeurs ou une langue différente et l’estimation par chaque répondant de la proportion de personnes d’origine immigrée vivant dans le quartier.

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Des résultats clairs : la diversité ethnique, aussi bien statistique que perçue, conduit à une baisse de la confiance sociale

En ce qui concerne la diversité « statistique », l’étude démontre une nette corrélation entre l’augmentation de la diversité ethnique et la baisse de la cohésion sociale dans les quartiers considérés. En particulier, les auteurs trouvent qu’en France, la diversité ethnique conduit à une augmentation des problèmes sociaux, ainsi qu’à une baisse significative de la confiance, du lien social et de la satisfaction dans la vie en général.

Ces résultats sont particulièrement robustes dans la mesure où ils prennent en compte une multitude de facteurs sociaux pour évaluer l’incidence de la seule « diversité ethnique », selon une démarche expérimentale. Chaque indicateur de confiance est ainsi testé et ajusté pour tenir compte, dans chaque quartier, du taux de chômage, de la densité de population, du nombre d’années vécues dans le quartier, du statut de locataire ou de propriétaire, du niveau d’éducation, de l’âge, du sexe, du statut marital, du type d’emploi occupé, de l’origine immigrée ou non et même des croyances religieuses. Cette différenciation des facteurs pouvant avoir une incidence sur le niveau de confiance sociale mesuré permet d’éviter les biais liés à la condition socio-économique des habitants des quartiers retenus pour l’étude, et d’examiner de la manière la plus précise possible la seule incidence de la diversité ethnique.

En ce qui concerne la diversité perçue, l’étude arrive aux mêmes conclusions que pour la diversité statistique. Ces résultats ont en outre pour intérêt de tester de manière indépendante l’effet de la diversité perçue chez les répondants natifs et chez les répondants d’origine immigrée. Or dans ces deux catégories de répondants, une baisse similaire de la confiance sociale est observée, pour des niveaux de diversité perçue équivalents. Ceci tend à montrer que la baisse de la cohésion sociale n’est pas liée qu’à un rejet des immigrés par les natifs, mais résulte aussi d’un rejet analogue des natifs par les immigrés, ainsi que de l’existence de groupes hétérogènes au sein même des populations immigrées.

Enfin, un résultat inattendu de l’étude consiste en la découverte d’une corrélation positive entre les inégalités sociales perçues et le niveau de confiance : plus les écarts de revenus sont grands dans un quartier, et plus ses habitants ont tendance à avoir confiance en leurs voisins. Les auteurs expliquent ce phénomène par le fait que les personnes à faibles revenus font davantage confiance aux personnes à hauts revenus, en considérant que leur statut social est un atout pour la qualité de vie du quartier.

R. Koopmans, et M. Schaeffer, Statistical and Perceived Diversity and Their Impacts on Neighborhood Social Cohesion in Germany, France and the Netherlands, Soc Indic Res 125, 853–883 (2016) Exemple de lecture : la diversité ethnique en France est corrélée par un coefficient de -0.112 avec la confiance sociale, ce qui signifie qu’une plus grande diversité ethnique implique un plus faible niveau de confiance sociale. À l’inverse, la diversité ethnique est corrélée avec un plus grand nombre de problèmes rapportés dans le quartier (+0.095).

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Quels enseignements pour la France ?

Selon le baromètre de la confiance politique réalisé par Opinionway en janvier 20225, 68% des Français considèrent qu’on ne peut pas « faire confiance à la plupart des gens ». Cette étude de R. Koopmans et M. Schaeffer permet d’expliquer en partie ce faible niveau de confiance. En effet, comme le montre une analyse de France Stratégie6 recensée par l’OID en août 2021, la plupart des principales unités urbaines de France – dont sont tirés la plupart des quartiers retenus pour l’étude de R. Koopmans et M. Schaeffer – ont connu une très forte augmentation de la proportion de personnes d’origine immigrée ces dernières décennies. Or cette augmentation de la diversité est directement corrélée à une moindre confiance sociale, nous disent ces auteurs.

L’étude recensée permet de balayer un certain nombre des idées reçues qui peuvent être avancées pour expliquer la corrélation entre diversité et perte de confiance :

  1. Il s’agit d’une corrélation robuste, indépendante d’autres facteurs socio-économiques.
  2. Il s’agit d’une corrélation généralisée pour tous les groupes sociaux, qui ne résulte pas seulement d’un sentiment de rejet des immigrés par les natifs.
  3. Il s’agit d’une corrélation généralisée pour les trois pays étudiés et pas seulement pour la France.
  4. Il s’agit d’une corrélation validée à la fois pour la diversité statistique (objective) et la diversité perçue.

Dans ce contexte, toute politique se donnant pour objectif d’augmenter la confiance sociale en France ne peut faire l’économie de mesures visant à réduire la diversité, qu’elle soit statistique ou perçue, au sein des bassins de vie.

1 Indice H de 70 selon Google Scholar. Pour en savoir plus sur cet auteur : Prof. Dr. Ruud Koopmans | WZB

2 R. Koopmans est cité seulement deux fois dans l’ensemble des numéros de la Revue française de sociologie, en 1999 et en 2001, uniquement pour ses travaux relatifs aux mouvements sociaux et non ceux, comparativement beaucoup plus notables, relatifs à l’immigration en Europe.

3 R. Koopmans, et M. Schaeffer, Statistical and Perceived Diversity and Their Impacts on Neighborhood Social Cohesion in Germany, France and the Netherlands, Soc Indic Res 125, 853–883 (2016)

4 Pour la France, les auteurs indiquent que l’absence de données relatives aux personnes ayant au moins un parent immigré a conduit à multiplier le nombre de personnes immigrées par un facteur de correction de 1,91, en cohérence avec les ratios observés en Allemagne et aux Pays-Bas.

5 OpinionWay pour le CEVIPOF-Baromètre de la confiance en politique – vague 13 – janvier 2022.pdf (sciencespo.fr)

6 France Stratégie, L’évolution de la ségrégation résidentielle en France de 1968 à 2017

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