<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Madagascar ou la richesse d’identités multiples

22 février 2024

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Photo : Vue de Madagascar (c) Unsplash
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Madagascar ou la richesse d’identités multiples

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Madagascar, la quatrième plus grande île habitée au monde après l’Australie, la Nouvelle-Guinée et Bornéo, ne cesse de fasciner par sa diversité et ses trésors naturels uniques. Au-delà de ses emblématiques baobabs et de ses lémuriens, cette île de 587 000 km2, plus vaste que la France et s’étendant comparativement de Lille à Madrid, est un véritable concentré de richesses culturelles et identitaires.

Article paru dans le numéro 50 de mars 2024 – Sahel. Le temps des transitions.

Pour appréhender Madagascar dans toute sa complexité, il est essentiel de comprendre la composition de son identité ethnique. Pas moins de 19 ethnies y coexistent, chacune apportant sa propre histoire et ses coutumes uniques. Les hauts plateaux abritent plusieurs de ces groupes ethniques, s’étendant de la capitale Antananarivo jusqu’à Fianarantsoa, située à 470 km plus au sud. On y trouve notamment les Merina, les Betsileo et les Zafimaniry, cette dernière ethnie étant considérée par l’auteur de cet article comme une entité à part entière.

Diversité ethnique

Les autres ethnies se répartissent le long des contreforts des hauts plateaux et sur les côtes de l’île. Au nord, dans la région de Diego-Suarez, les Antakarana se distinguent par leur identité culturelle unique. En descendant vers le sud-ouest, on découvre les Sakalava Boina dans la région de Mahajanga, suivis des Sakalava du Menabe dans la région de Morondava. Plus au sud, les Mikea et les Vezo, peuples de la mer, témoignent de la diversité des modes de vie présents sur l’île, notamment dans la région de Tuléar.

Les Mahafaly, établis dans la zone d’Ampanihy sud, et les Antandroy, à l’extrême sud de l’île, perpétuent des traditions ancrées dans leur quotidien. En remontant vers le sud-est de Madagascar, les Antanosy, dans la région de Fort-Dauphin, les Antaisaka et les Tanala dévoilent leur riche patrimoine culturel. Les Antaimora et les Antambahoaka, quant à eux, ajoutent leur touche distinctive à la mosaïque ethnique de l’île. Au nord, dans la région de Tamatave, les Betsimsaraka, voisins des Bezanozano et des Sihanaka, préservent fièrement leurs coutumes ancestrales. Enfin, les Tsimihety, au caractère bien trempé, complètent ce panorama ethnique captivant.

Il serait injuste de ne pas mentionner les habitants de l’île de Sainte-Marie, située à quelques miles nautiques de Tamatave. Les Saint-Mariens, rattachés aux Betsimsaraka, conservent des traditions et une culture qui leur sont propres, faisant de cette île un véritable joyau à part entière.

Ainsi, Madagascar, au-delà de ses paysages époustouflants, est un véritable melting-pot ethnique où chaque groupe apporte sa contribution à la richesse culturelle de cette île unique au monde, chaque ethnie malgache possédant ses propres règles, traditions, cultures, croyances et souvent son dialecte distinct.

Diversité linguistique 

La langue malgache, représentée par la langue officielle d’Antananarivo, est d’une richesse et d’une complexité multiples, ce qui peut parfois entraîner des difficultés de communication entre les différentes ethnies. Il convient de souligner que Madagascar étant un pays francophone, le français est largement répandu dans les grandes villes, mais dans les zones rurales, c’est une tout autre histoire.

Par exemple, en langue officielle, le mot « merci » se dit « misaotra betsaka (m’sôtch’ betsaqu’) » tandis qu’en Mahafaly, on utilise « malefa bevaka ». Ainsi, il peut être ardu pour un habitant de la capitale de comprendre un Mahafaly sans l’aide d’un interprète.

Bien que la plupart des ethnies utilisent plutôt des dialectes, les Sakalava disposent d’une langue à part entière avec des particularités spécifiques selon les zones géographiques. La langue malgache trouve ses origines dans la langue austronésienne et fait partie du groupe malayo-polynésien. Il s’agit ici de la langue officielle.

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Bien que le malgache commun puisse sembler simple en apparence, avec ses trois temps (passé, présent, futur), sa prononciation, notamment des sons tels que « tr » ou « dr », est phonétiquement complexe pour les non-initiés. De plus, la langue ne comporte ni articles féminins ou masculins, le « ny » étant l’équivalent de « le » ou « la ». En y regardant de plus près, cette langue regorge de sens philosophiques, avec plus de 2 500 proverbes. Certains mots sont pragmatiques et directement empruntés au français ou à l’anglais, tels que « sekoly » pour école ou « dokotera » pour docteur. L’alphabet malgache se compose de seulement 22 lettres, excluant les lettres Q, U, W et X.

L’identité malgache se dévoile à travers une analyse linguistique qui révèle deux origines distinctes : les hauts plateaux, dont les habitants ont des racines malaisiennes, et les côtes, où les origines sont le fruit de migrations africaines et de métissages liés à la colonisation. Ainsi, la langue tananarivienne, bien qu’en partie comprise sur les côtes, coexiste avec des dialectes locaux.

Diversité des traditions

Sur le plan physique, des caractéristiques distinctives se démarquent : les habitants des hauts plateaux ont des yeux légèrement bridés et une peau caramel, tandis que ceux des côtes ont une peau plus sombre. Ces différences créent un mélange et un métissage remarquables au sein de ce vaste pays.

L’identité malgache se définit par l’origine ethnique et engendre l’observation de règles et de coutumes propres à chaque ethnie. Ces traditions peuvent être communes, uniques, étranges ou même sauvages.

Si certaines traditions sont partagées, elles se pratiquent de différentes manières.

Dans une perspective plus large, la première tradition est le fihavanana, qui peut être traduit par « unité familiale », mais qui implique plutôt un devoir ou une obligation envers sa famille. Étant donné que le système de retraite est peu répandu, les enfants et les petits-enfants viennent en aide aux aînés en matière de santé, d’accueil ou d’argent. Par exemple, dans le cas d’un jeune couple non marié, chacun participe au repas familial après la messe dominicale.

La deuxième tradition nationale est le respect des fady (interdits). Si vous vous trouvez dans un endroit où vous ne connaissez pas les fady en vigueur, les habitants se feront toujours un plaisir de vous les expliquer. Les fady regroupent toutes les interdictions concernant les lieux, la nourriture, l’habillement ou encore les postures. Certaines interdictions sont évidentes, comme celle de manger du porc en un lieu précis, tandis que d’autres peuvent sembler plus obscures, comme l’interdiction de porter du rouge sur une plage, sous peine de mort (ce sont les vagues ou le courant qui pourraient vous emporter). Cette tradition des fady est facilement observable, tout comme le famadihana, qui consiste en un rituel de « retournement » des morts.

La vision malgache de la mort diffère grandement de celle de l’Occident. Ici, la vie est considérée comme un passage et la mort ainsi que l’après-mort sont hautement célébrés, jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien des ossements.

Le famadihana est une célébration du défunt et de sa mémoire. Selon les régions, elle intervient deux ou trois ans après le décès. Le corps est exhumé, le lambamena (linceul) est changé et le défunt est promené dans les rues lors d’une fête. À chaque famadihana, les restes se réduisent et sont mélangés avec ceux d’autres défunts. Cette tradition coûteuse implique de nourrir tous les participants pendant la période du rituel. Il y a encore quelques années, on déposait un baiser sur les ossements des défunts en portant les doigts à ses lèvres. L’OMS a mis fin à cette pratique, car un risque élevé de transmission de peste restait actif. 

En ce qui concerne les fidiovana (purification), après avoir donné ou jeté les vêtements du défunt, toute la famille doit laver les habits qu’ils portaient le jour du décès, ainsi que tous les autres vêtements sales, dans une rivière. Il est important de noter que cette pratique doit être effectuée dans une rivière, car elle est considérée comme capable d’emporter les énergies négatives liées à la mort, contrairement aux lacs ou à la maison.

Les traditions malgaches sont si riches et variées qu’il faudrait au moins deux volumes pour les décrire en détail. En voyageant dans le sud du pays, chez les Mahafaly par exemple, on découvre des coutumes étonnantes. Lorsqu’une femme devient veuve, elle est tenue de veiller son défunt mari pendant des semaines, voire des mois, en utilisant un embaumement à base d’herbes et d’onguents. Pendant cette période, elle n’est pas autorisée à quitter la maison. Si des déplacements sont nécessaires, elle doit se déplacer couchée dans une charrette recouverte d’un tissu. Une fois qu’elle a économisé suffisamment d’argent, une sépulture en pierre et ornements sera construite pour le défunt. Il n’est pas rare de voir des inscriptions sur ces sépultures indiquant la date du décès, comme « décédé le xx/10/2021, et enterré le 7/07/2022 », c’est-à-dire plusieurs mois après le décès. En outre, lorsqu’un homme décède, la maison de son épouse est démolie et une nouvelle case lui est construite. Cette coutume renforce le rôle patriarcal de l’homme au sein de la société.

Chez les Antambahoaka, il y avait une croyance persistante jusqu’à récemment selon laquelle avoir des jumeaux portait malheur « fady kambana ». Ainsi, lorsque des jumeaux naissaient, il était courant de décider de garder l’un des deux enfants et d’abandonner l’autre. En revanche, dans les ethnies du sud-est de Madagascar, les albinos sont considérés comme porteurs de chance. Malheureusement, cela a conduit à des sacrifices rituels, bien que ces pratiques soient désormais sévèrement punies par la loi.

Sur une note plus joyeuse, le mariage traditionnel malgache, connu sous le nom de vodiondry (littéralement « cul de mouton »), est une pratique répandue dans tout le pays. Il est considéré comme un engagement plus important que le mariage civil ou religieux. Les négociations et les discussions se déroulent entre les deux familles, avec l’aide de mpikabary (des orateurs ou des artistes de l’art oratoire). Un véritable jeu de séduction est mis en place pour gagner la faveur du père de la mariée. Une fois qu’il a donné son accord, le prétendant doit passer plusieurs étapes. Parallèlement, il doit offrir des enveloppes remplies d’argent selon un ordre précis : une première pour obtenir le droit de parole, une deuxième remplie de pièces et de billets locaux, une troisième pour compenser le père ou le frère de la mariée, qui perd une aide précieuse, et enfin une dernière enveloppe contenant une somme équivalente à environ 50 € en guise de cadeau.

De son côté, le mpikabary représentant le père de la mariée présentera toutes les filles de sa famille au prétendant, au cas où il souhaiterait changer d’avis. Heureusement, cela arrive rarement, mais parfois les négociations, en particulier dans les régions rurales, durent tout un week-end sans qu’un accord ne soit trouvé. Dans de tels cas, le mariage traditionnel vodiondry n’est pas conclu et chacun rentre chez soi.

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En ce qui concerne la dot, ce sont les parents de la mariée qui prennent en charge les frais de la fête qui suit la cérémonie, tandis que le marié est responsable des dépenses liées au mariage civil. Bien que ces traditions puissent sembler tribales aux yeux des étrangers, elles sont profondément respectées et appréciées par la population malgache. Il convient également de noter que l’art oratoire des mpikabary a été inscrit sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’Unesco en 2021, témoignant ainsi de son importance et de sa valeur culturelle.

L’ethnie zafimaniry

Approfondissons un moment la richesse culturelle de l’ethnie zafimaniry.

Originaires de la région d’Antananarivo, ils ont migré vers Antoetra, au sud d’Antsirabe, il y a environ deux siècles. Ils se distinguent par leur expertise en sculpture sur bois, une tradition d’origine austronésienne, enrichie d’influences arabes et des missionnaires scandinaves.

Ils utilisent 21 motifs géométriques et symétriques, qui sont l’expression de leurs valeurs et croyances, chacun ayant une signification très précise. Par exemple, la toile d’araignée tanam-paroratra symbolise les liens familiaux, le rayon de la ruche papintantely représente la communauté, et la corde qui se déroule illustre la droiture de la vie. Ces symboles ornent toutes sortes d’objets, souvent réalisés en palissandre.

Leur architecture est également remarquable. Leurs maisons, construites sans clous ni vis, mais avec des tenons et mortaises, sont entièrement sculptées d’ornements symboliques et peuvent être montées et démontées à volonté. Les portes d’entrée sont souvent dotées d’un verrou dont l’accès est ingénieusement dissimulé.

Chez les Zafimaniry, les femmes ont une tradition de coiffure unique. Elles portent des tresses très fines en forme de papillon au-dessus de la nuque, ou des tresses nouées sur le dessus de la tête. Les jeunes femmes disponibles ou en quête d’un mari arborent fièrement trois petites pinces sur le côté droit pour signaler leur désir d’être courtisées. Dans les villages ruraux, la vie est régie non seulement par des règles administratives et civiles, mais surtout par l’avis du Tangalamena, l’homme le plus âgé et supposé le plus sage du village. Le maire ou la population le consulte pour tous types de problèmes. Il est également l’interlocuteur pour pratiquer un rituel avec les esprits fomba (appeler la pluie, prendre soin de quelqu’un). Ces rituels sont souvent accompagnés de toaka gasy, un rhum distillé à plus de 80 °, qui est ensuite laissé à évaporer pour atteindre 50 °. Cet alcool très fort, principalement composé d’éthanol, peut causer la cécité ou même un coma éthylique en cas de consommation excessive. Avant de boire du toaka gasy, une petite quantité est toujours versée sur le sol en offrande aux ancêtres. Une autre tradition nationale, le santatra (inauguration), est utilisée pour respecter les esprits des anciens lors de la construction d’une maison par exemple. Quelques doses sont versées sur la première brique de la maison et à la fin du chantier pour les honorer.

La musique est également omniprésente dans la vie quotidienne des Malgaches, qu’elle soit religieuse, à travers les chants liturgiques ou les chorales, ou simplement lors de fêtes, avec des styles comme le tsapiky ou le salegy. Ces sonorités d’accordéons, de kabosy (type de guitare) ou de valiha, une sorte de cithare fabriquée en bambou, sont toujours présentes. Il y a toujours un membre d’une famille jouant de la guitare ou chantant. La musique s’accompagne de la danse qui souvent réunit toutes les générations ou les ethnies.

Madagascar, comme beaucoup de zones insulaires, vit dans un ancrage traditionnel puissant, entre les croyances religieuses (toutes les obédiences sont représentées), la tradition avec le fihavanana, les cultures ethniques, même si parfois on peut ressentir quelques dissensions entre ethnies des plateaux et des côtes, les traditions culinaires (les premiers mangeurs de riz au monde, environ 15 kg/mois/personne). Pour parler de l’identité, on aurait pu aussi l’aborder par l’artisanat, par la religion, mais la structuration sociale et identitaire s’est d’abord faite avant l’évangélisation au xixe siècle, c’est pourquoi les thèmes abordés dans cet article sont principalement axés sur ces modèles sociaux.

En conclusion, l’identité malgache est un formidable mélange de cultures, de traditions et de valeurs construites et façonnées par son histoire. L’identité malgache est également marquée par sa diversité ethnique exceptionnelle, avec plus de 19 groupes ethniques qui cohabitent et interagissent selon les géographies, enrichissant ainsi la culture malgache nationale. Malgré les défis socio-économiques et géopolitiques auxquels le pays est confronté, les Malgaches restent attachés à leur identité et à leur patrimoine culturel. Ils continuent de préserver et de promouvoir leurs coutumes et traditions, mais devront s’adapter aux influences extérieures et aux changements modernes pour à la fois conserver cette identité tout en s’intégrant dans une mondialisation inévitable. C’est ici la gageure de nos amis malgaches.

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À propos de l’auteur
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résident à Madagascar, thérapeute en EMDR, stratège et communiquant
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