L’Ukraine survivra-t-elle au chaos ?

29 juillet 2020

Temps de lecture : 6 minutes
Photo : Le président Zelensky, à gauche, visite un hôpital militaire de la région de Donetsk en avril (c)Pyotr Sivkov/TASS/Sipa USA/29642863/AK/2004111859
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L’Ukraine survivra-t-elle au chaos ?

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La jeune Ukraine vit certainement une de ses périodes les plus difficiles depuis sa création en 1991 à la suite de la dislocation de l’URSS. Secouée par une crise économique sans précédent et déchirée sur sa frontière linguistique interne elle a du mal à faire face aux différentes crises. Malgré une aide massive occidentale, les indicateurs ukrainiens ne sont pas bons et Kiev a de quoi s’inquiéter.

Le président Volodymyr Zelensky, élu en 2019, incarnait un souffle nouveau et représentait la volonté des Ukrainiens de tourner rapidement la page de Petro Porochenko. Zelensky avait affirmé qu’il mettrait fin à la corruption et à la guerre au Donbass et qu’il remettrait le pays sur la voie de la croissance. Malgré des discours séduisants et une volonté affichée de réformer, l’ancien comique de la télévision ukrainienne est loin d’atteindre ses objectifs qui, il est vrai, ressemblent aux 12 travaux d’Héraclès.

Une économie sinistrée dépendante du FMI

La croissance du PIB ukrainien est estimée à -7,7%, la dette publique à plus de 50% du PIB et on évalue à plus de 10% du PIB le revenu que renvoient en Ukraine chaque année les quelque 5 millions d’Ukrainiens qui sont obligés de quitter le pays pour vivre.

Le 27 avril dernier, dans le quotidien espagnol El Pais, Zelensky a rappelé que son pays est au bord de la faillite et s’écroulerait dans la pauvreté sans aide étrangère. Zelensky avoue humblement qu’en dépit de nombreuses nouvelles lois il n’a toujours pas réussi à transformer son économie, encore trop dépendante des matières premières, et qu’il a besoin, de nouveau, d’aide du FMI et de la Banque Mondiale pour s’en sortir. Pour éviter un nouveau risque de défaut de paiement, Zelensky a dû batailler au sein de la Verkhovna Rada (parlement) et a même subi une fronde importante au sein de son propre parti pour faire voter deux lois exigées par le Fonds Monétaire International : une loi sur la protection du système bancaire ukrainien des oligarques et une autre sur la levée du moratoire sur la vente des terres agricoles.  Pour l’ex-Premier ministre Ioulia Timochenko, l’adoption de la loi sur les terres agricoles est « l’une des plus grandes tragédies de l’Histoire du pays. » La crainte d’une majorité des Ukrainiens est en effet que la loi n’ouvre la porte à moyen terme au rachat massif des terres ukrainiennes par des multinationales étrangères.

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Les lois ont finalement été votées et le FMI a validé un prêt de 5 milliards de dollars, dont 2,1 débloqués immédiatement. Malheureusement pour Zelensky le président de la Banque centrale ukrainienne, Yakov Smolii, démissionna dans la foulée à grand fracas en dénonçant la « pression politique systémique » contre l’indépendance de la banque centrale ce qui sème évidemment le trouble sur les marchés et au sein du FMI.

La guerre du Donbass loin d’être réglée

Plusieurs décisions importantes des accords de Minsk II (2015) ne sont toujours pas appliquées et la guerre se poursuit au Donbass. Depuis 2014 le conflit a déjà coûté la vie à plus de 13 000 personnes. Les habitants du Donbass, las d’être bombardés par l’armée ukrainienne, sont de plus en plus nombreux non pas à demander l’indépendance de l’Ukraine, mais la réunification avec la Russie. Des drapeaux russes flottent dans les rues des deux républiques et même sur certains bâtiments publics. Les habitants ont délaissé la hryvna ukrainienne pour commercer dorénavant en roubles russes et de plus en plus d’habitants du Donbass demandent le passeport russe. En début d’année le président d’une des deux républiques sécessionnistes, la République populaire de Donetsk, Denis Pouchiline, déclarait : « Depuis 2014, nous n’avons jamais caché ou changé notre trajectoire. Notre tâche principale reste la même : retourner dans notre patrie historique, dans une Russie réunifiée. » Zelensky craint à juste titre que les autres régions russophones d’Ukraine comme Odessa, Kharkov ou Dnepropetrovsk ou même la Transcarpathie, qui est peuplée par une importante communauté hongroise, ne suivent le chemin du Donbass. Le risque de Balkanisation de l’Ukraine sur des lignes linguistiques ou ethniques est réelle et Kiev semble impuissante pour y répondre.

État désorganisé

À force de consacrer une part non négligeable de son budget à son armée (20%) et au remboursement de sa dette (30%) l’Ukraine a délaissé des secteurs majeurs de son économie comme on l’a vu en avril dernier lors des incendies autour de Tchernobyl qui ont détruit 22 000 hectares de son territoire. Les flammes sont arrivées dans la zone d’exclusion à 1,5 kilomètre du sarcophage qui couvre le réacteur de secours de la centrale nucléaire et du stockage des déchets nucléaires. La fumée de ces feux, transportée par le vent, a enveloppé Kiev dont le niveau de pollution au 17 avril figurait parmi les pires du monde d’après IQair. Par miracle, la zone nucléaire n’a pas été touchée, mais on n’a pas été loin d’une catastrophe qui aurait, de nouveau, affecté le continent européen. Le danger a permis de souligner que l’Ukraine ne s’était toujours pas dotée des moyens nécessaires pour gérer le risque nucléaire et les situations d’urgence.

Retour des mouvements d’inspiration nazie

Un autre feu que Zelensky a du mal à contenir est le développement impressionnant des mouvements violents ouvertement antirusse et antipolonais.

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Sous Zelensky, juif de Krivoï Rog, l’Ukraine n’arrive absolument pas à mettre au pas les nombreux groupuscules néonazis qui pullulent dans le pays. Depuis l’Euromaïdan nombreuses sont les manifestations qui honorent les complices du 3e Reich. Ainsi l’OUN, l’UPA, la division SS Galicie sont glorifiées au titre de la résistance contre les Soviétiques. Certains idéologues influents comme Volodymyr Viatrovych pensent que pour couper le cordon ombilical avec Moscou il est impératif de réécrire complètement l’histoire de l’Ukraine en l’opposant à la Russie ce qui est une aberration historique. Le 1er janvier dernier des défilés ont eu lieu dans un certain nombre de villes ukrainiennes pour célébrer les 111 ans de la naissance de l’extrémiste nationaliste Stepan Bandera. Une bannière en son honneur a même été déployée sur le bâtiment de l’administration d’État de la ville de Kiev. Ces mouvements radicaux ont été utilisés par Washington et Bruxelles lors de l’Euromaïdan en 2013-2014 à cause de leurs positions radicalement anti-russes. En fermant les yeux sur les racines idéologiques de ces mouvements, les atlantistes ont laissé se développer en Ukraine une idéologie nationaliste extrémiste qui touche aussi bien des mouvements de jeunesse que le sommet de l’État. Andriy Parubiy, fondateur du parti Social National ukrainien et chef des milices armées pendant l’Euromaïdan a même été président de la Verkhovna Rada jusqu’à l’année dernière.

Avouer l’erreur de 2013

En 2013, Kiev avait le choix entre un partenariat économique et stratégique avec la Russie ou avec l’Union européenne. Quand le président Viktor Ianukovytch a préféré signer avec les Russes les mouvements de rues sont devenus violents et l’ont finalement chassé du pouvoir lors du putsch de février 2014. Les atlantistes étaient prêts à tout pour faire basculer l’Ukraine dans son camp et pensaient qu’avec une révolution de couleur ils y parviendraient. C’était, hélas, faire preuve d’une méconnaissance totale de l’Ukraine dont les racines historiques, la langue, la culture et l’économie sont bien plus proches de la Russie que de Bruxelles ou de Washington. Malgré la situation tendue entre Kiev et Moscou la Russie demeure le 2e plus grand partenaire économique de l’Ukraine. Les pays occidentaux, qui avaient encouragé l’Euromaïdan, n’ont aujourd’hui plus les moyens de sauver l’Ukraine et sont confrontés aujourd’hui au Covid-19 et à leurs propres crises économiques. Le nœud gordien du dilemme ukrainien est que les travaux de redressement économique et politique ne pourront jamais réussir tant que l’Ukraine servira de guerre par procuration aux faucons américains qui sont trop contents d’alimenter une guerre chaude sur la frontière même de la Russie. Cette situation n’est pas près de s’améliorer avec la nomination récente de Keith Dayton, ancien général et ancien conseiller du ministère ukrainien à la Défense, comme ambassadeur américain à Kiev.

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Pour d’arrêter la guerre, cesser de brader le pays et diminuer le service d’une dette colossale, Zelensky doit faire un « reset » de ses relations internationales et entamer une démarche de réchauffement avec ses partenaires européens et la Russie. En 2013, le projet économique global proposé par la Russie était nettement plus intéressant que celui proposé par l’Union européenne. C’est pour cela que la révolution de couleur atlantiste est devenue violente et qu’elle a tout tenté afin d’éloigner Kiev de Moscou. L’ingérence américaine à Kiev pendant et depuis l’Euromaïdan a sérieusement affaibli l’Ukraine et précipité le pays dans la guerre et le chaos. Le vrai courage politique de Zelensky ne serait donc pas de tenir tête à Moscou, mais de tenir tête à Washington et de reprendre les discussions là où elles s‘étaient arrêtées en 2013 afin de relancer son économie et reprendre le dialogue régional. La France et l’Allemagne, signataires des accords de Minsk II, ont un rôle important à jouer également. L’Ukraine est un pont naturel entre la Russie et l’Europe de l’Ouest que les Européens, de Brest à Vladivostok, n’ont pas intérêt à laisser dans le marasme. Il en va de la stabilité et de la paix en Europe et cela ne doit plus être la prérogative des Américains.

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À propos de l’auteur
Nikola Mirkovic

Nikola Mirkovic

Nikola Mirkovic est président de l’association Ouest-Est, qui vient en aide aux victimes de la guerre du Donbass.
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