<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Victoria Nuland, la chute du faucon

22 mai 2024

Temps de lecture : 5 minutes
Photo : Le 30 janvier 2023 à Katmandou, Népal. "Victoria Nuland, secrétaire d'État adjointe aux affaires politiques des États-Unis, s'adresse aux médias lors d'une conférence de presse organisée à l'occasion de sa visite d'une journée au Népal. (C) Sipa.
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Victoria Nuland, la chute du faucon

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La démission surprise de Victoria Nuland, en mars dernier, symbolise un ralentissement du soutien des États-Unis à l’Ukraine

C’est par un communiqué officiel de remerciement, publié sur le site du département d’État le 5 mars dernier, qu’Antony Blinken a annoncé la démission de Victoria Nuland à son administration. Le texte faisait part d’un choix personnel de l’épouse de Robert Kagan, mais les récentes décisions de la Maison-Blanche laissent penser qu’il s’agit d’une divergence de points de vue quant à la politique américaine en Ukraine. « C’est le leadership de Toria sur l’Ukraine que les diplomates et les étudiants en politique étrangère étudieront dans les années à venir » a judicieusement souligné le secrétaire d’État américain. Ironie du sort, c’est quelques jours seulement après la réunion de Paris, au cours de laquelle les velléités interventionnistes d’Emmanuel Macron ont été désavouées par son mentor américain et ses alliés européens, que la démission a été annoncée.

Article paru dans Revue Conflits n°51

La sous-secrétaire d’État américaine est connue pour ses positions bellicistes. C’est elle qui avait lancé à l’ambassadeur américain à Kiev début 2014, en pleine révolution de l’Euromaïdan, le désormais célèbre, « fuck the EU ! ». En 2022, elle avait prévenu que le gazoduc Nord Stream, dont Engie est partenaire, ne survivrait pas à une invasion de l’Ukraine par la Russie. Il n’est donc pas exagéré de dire que la politique américaine de ces vingt dernières années en Europe de l’Est et dans les Balkans lui doit beaucoup. Mais depuis l’échec de la contre-offensive ukrainienne de l’été 2023, son étoile a pâli. Les milliards dépensés pour soutenir Zelensky se sont évaporés et en février 2024, c’est son rival, Kurt Campbell, qui a été choisi comme numéro deux du département d’État. Loin d’être anecdotique, le départ de Victoria Nuland conforte la légère inflexion de la politique américaine en Ukraine.

La pasionaria des néocons

Fille d’un célèbre chirurgien juif new-yorkais, dont les parents avaient quitté la Bessarabie et la Biélorussie, alors provinces de l’Empire russe, Victoria Nuland naît en Louisiane le 1er juillet 1961, mais grandit dans le milieu privilégié de Yale, sur la côte est des États-Unis. Sa mère est chrétienne et son père athée. Après un parcours universitaire en sciences politiques où elle apprend le français et le russe, elle entame une carrière de diplomate. Nous sommes au début des années 1980 et Ronald Reagan symbolise le retour de la puissance américaine face à une Union soviétique finissante. Victoria Nuland suit les affaires politiques russes à l’ambassade américaine de Moscou où elle assiste au putsch manqué des caciques du Parti communiste contre Boris Eltsine en août 1991. Elle alterne les missions à Moscou avec des fonctions au bureau des affaires soviétiques du département d’État à Washington. En juin 1988, elle participe à l’ouverture de la première ambassade américaine à Oulan-Bator, austère capitale de la Mongolie. Cette mission l’amènera plus tard au bureau Extrême-Orient du département d’État et à un poste à Canton, la grande ville chinoise du sud où elle fait la connaissance d’Antony Blinken, qui n’apprécie guère son style très spontané. À Pékin, le régime communiste s’ouvre aux marchés, mais ferme la porte à la démocratie. Depuis lors, le combat de Victoria Nuland pour apporter les droits de l’homme dans le monde ne cessera plus.

On connaît peu de choses de leur vie privée, mais c’est de cette période que date la rencontre de Victoria Nuland avec l’idéologue néoconservateur Robert Kagan. Le média américain Politico raconte que leur rencontre s’est faite à l’occasion d’une discussion passionnée sur le rôle exceptionnel des États-Unis pour annoncer la liberté au monde. L’URSS s’effondre et le modèle américain connaît une véritable lune de miel stratégique. En 1993 naît leur premier enfant, David Kagan qui, avec une pointe de déterminisme, travaille aujourd’hui au profit de la fondation George W. Bush au Texas.

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La mainmise américaine sur l’OTAN

En 1993, Victoria Nuland est repérée par Strobe Talbott, adjoint du secrétaire d’État de l’administration Clinton, Warren Christopher. Elle devient sa directrice de cabinet pendant trois ans puis est nommée adjointe à la direction des affaires postsoviétiques lorsque Madeleine Albright prend la tête du département d’État.

Elle ne pâtit pas de l’écart entre son parcours au sein de l’administration démocrate et les attaches républicaines de son mari, le célèbre chef de file des néoconservateurs avec  William Kristol. Bien au contraire, Toria, comme l’appellent ses collègues, devient la première adjointe de l’ambassade des États-Unis auprès de l’OTAN de 2000 à 2003, où elle soutient avec ferveur l’invasion de l’Afghanistan puis de l’Irak après les attentats du 11 septembre 2001. Tandis que Saddam Hussein se cache dans le réduit sunnite, elle est récompensée par un poste d’adjointe au conseiller à la sécurité du vice-président Dick Cheney, le faucon le plus agressif de l’administration Bush. Les essais de Kagan sont à la mode parmi les dirigeants américains de l’époque, célébrant l’Amérique martiale protégeant la faible et belle Europe. C’est pourtant l’Iran des ayatollahs qui sort renforcé de la séquence.

Fin 2004, la révolution orange propulse Viktor Iouchtchenko et son alliée Ioulia Timochenko au pouvoir à Kiev. Les équipes de Cheney exploitent ce tournant politique en Europe de l’Est, au moment où l’Europe centrale et balte fait son entrée dans l’Union européenne et bientôt dans l’OTAN. Victoria Nuland revient alors à Bruxelles en 2005 comme ambassadrice de George W. Bush auprès de l’OTAN où sa famille s’est installée. En 2008, elle n’est pas reconduite par l’administration Obama et part enseigner au War College puis obtient une mission pour renégocier les traités de non-prolifération nucléaire en Europe. En 2013, lorsque la place Maïdan de Kiev pousse Viktor Iouchtchenko et le clan de Donetsk à l’exil définitif, Victoria Nuland est de retour. Tout juste nommée sous-secrétaire d’État aux affaires européennes de l’administration Obama, son rôle est très actif dans le retour de Kiev dans l’orbite de l’OTAN. Elle distribue des pains au chocolat aux manifestants de la liberté et pousse son poulain Iatseniouk qu’elle préfère à Klitschko pour seconder Porochenko. Ce succès ukrainien lui vaut d’être nommée porte-parole de Hillary Clinton au département d’État à Washington (2013-2017). Au service de Clinton, Bush ou Obama, Nuland est omniprésente avec son franc-parler, toujours prête à faire avancer la démocratie et l’Amérique. Mais sa personnalité éruptive et parfois sans filtre agace les diplomates européens et même Hillary Clinton. La revue Foreign policy la qualifie d’« undiplomatic diplomat ».

Détacher l’Ukraine de la Russie, le fil rouge de sa carrière

En janvier 2017, elle est évidemment écartée par l’administration Trump. Elle prend patience dans les cercles d’influence de Washington (Center for a New American Security, Boston Consulting Group, Brookings Institution, Albright Stonebridge Group). En janvier 2021, elle retrouve le département d’État comme sous-secrétaire aux affaires politiques, un poste sur mesure pour cette missionnaire de la démocratie américaine. En Ukraine, l’aide militaire s’accélère. Il s’agit de couper définitivement le président Zelensky du monde russe, pourtant élu sur une ligne modérée de réconciliation entre l’est et l’ouest du pays. En février 2022, l’offensive russe est annoncée et Victoria Nuland voit ses conceptions géopolitiques triompher. Cela fait tant d’années qu’elle annonce cette agression russe ! Mais Jake Sullivan, le conseiller à la sécurité du président Biden, se méfie de cette va-t’en guerre, toujours prête à donner des leçons de morale et de courage à ses interlocuteurs. Son intérim au poste de secrétaire d’État adjoint se termine sur un refus du Congrès de voter de nouveaux milliards d’aides à l’armée ukrainienne. La crise migratoire au Texas et la guerre à Gaza ont renversé la vapeur, tandis que le retour de Donald Trump se profile côté républicains. Devant le CSIS et sur CNN, Victoria Nuland tente de convaincre les industriels américains que le financement de la guerre sera bon pour leur économie. Aussitôt, ses détracteurs l’accusent d’inconséquence et de cynisme. Après plusieurs mois de chantage à la démission auprès de Blinken et Sullivan, elle finit par prendre sa retraite. Avec elle, c’est toute une génération de néoconservateurs formée dans les années 1980 qui sort de l’arène.

À propos de l’auteur
Michel Chevillé

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